Titre - Broker (Les Bonnes Étoiles)
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Hirokazu Kore-Eda
Casting - Song Kang-Ho, Dong-Won Gang, Doona Bae
Durée - 2h09
Le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda a tourné Broker en Corée. Il livre une variation inspirée sur ses sujets de prédilection, la famille recomposée en premier.
Hirokazu Kore-eda serait-il en passe de devenir le globe-trotter du cinéma? Après la France et une villa de la banlieue parisienne pour La Vérité, voilà que le réalisateur japonais a mis le cap sur la Corée pour Broker (Les Bonnes Étoiles en version française), un film qu’il a tourné en coréen avec des acteurs du cru. “Ma tournée internationale est interrompue, sourit-il toutefois, alors qu’on le retrouve confortablement installé dans le cadre cosy d’un hôtel du Quartier Latin. J’ai déjà tourné mon prochain film au printemps et à l’été derniers au Japon. Et là, j’en suis au montage.” Si sa filmographie a pris, depuis quelques années, un tour cosmopolite, c’est, explique-t-il, pour répondre à l’invitation de comédiens: “Ce sont les acteurs qui m’ont donné envie d’aller en Corée, et c’était pareil pour la France: j’y ai tourné parce que Juliette Binoche avait proposé que l’on travaille ensemble. Ça me tentait, donc je suis venu. Pour la Corée, les acteurs Song Kang-ho et Gand Dong-won, que je connaissais déjà par les festivals, m’ont proposé de faire un film ensemble. J’avais déjà travaillé avec Doona Bae (sur Air Doll, où elle interprétait le rôle-titre, NDLR), on avait envie de recommencer, et voilà.”
Quant à savoir ce que ces expériences à l’étranger lui ont apporté qu’il n’aurait pas pu trouver au Japon, le réalisateur de Still Walking se montre nuancé: “À vrai dire, et j’en ai été le premier surpris, tourner à l’étranger ou au Japon, c’est en fin de compte vraiment la même chose. À chaque nouveau film, ce sont de nouvelles surprises et de nouveaux apprentissages. Il y a des choses que je réussis moins bien que d’autres, donc je me remets chaque fois en question. J’apprends sur chaque film, et il s’est passé exactement la même chose à l’étranger. Le fait d’avoir tourné dans un autre pays n’a absolument pas changé ma façon de travailler, donc les apprentissages, les découvertes et les remises en question ont été exactement les mêmes que si j’avais tourné au Japon.” Et de compléter: “Il est trop tôt pour moi pour comprendre vraiment ce que ces deux films m’ont apporté. Peut-être que dans quelque temps, je verrai ce qu’ils ont changé pour moi ou ce que j’attendais de ces expériences à l’étranger. Est-ce que ces deux films que j’ai tournés dans une langue qui n’est pas la mienne sont autant mes films que les autres, etc.? Ces questions, je n’arrive pas à y répondre pour l’instant. Il faudra que le temps passe pour que je réalise quelle a été leur place dans ma filmographie.”
Le phénomène des boîtes à bébés
On ne parlera en tout cas pas de rupture, Kore-eda déployant dans Broker les thématiques qui lui sont chères, au premier rang desquelles la famille, sous ses multiples déclinaisons. Non sans prêter, une fois encore, une attention toute particulière à ceux qui évoluent dans les marges de la société -un motif qui parcourt son œuvre de Nobody Knows à Shoplifters. Ainsi, dans le cas présent, de deux “courtiers” faisant main basse sur un nourrisson laissé par une mère désemparée devant une boîte à bébés, l’histoire se chargeant de les réunir dans un van défraîchi sillonnant la Corée pour trouver une famille d’accueil au marmot, espèces sonnantes et trébuchantes à la clé. Ce qui n’ira pas sans diverses péripéties et autres contretemps, deux inspectrices de police suivant leur progression en ne perdant rien de leurs manigances. “J’ai eu cette idée de boîte à bébés en 2016, mais le film ne s’est fait que très récemment. Il a fallu beaucoup de temps pour que tous les paramètres soient ajustés, explique Kore-eda. J’ai découvert l’existence d’une boîte à bébés au Japon (il en existe quelques exemples en Belgique, NDLR) quand je faisais des recherches pour Tel père, tel fils. Je me suis beaucoup intéressé à la question de l’adoption et au système en vigueur au Japon, et c’est au cours de ces recherches que j’ai découvert qu’une telle boîte avait été installée il y a une vingtaine d’années à Kumamoto, au sud du pays. J’ai appris par la suite qu’il y en avait également en Corée, où elles étaient plus répandues, le nombre de bébés qu’on leur confie y étant dix fois plus élevé -je crois qu’ils en sont à 300 bébés abandonnés dans ces boîtes chaque année. C’est donc presque un phénomène de société, sachant aussi que tout le système d’adoption y est beaucoup plus développé qu’au Japon, où ça reste très difficile d’adopter ou de faire adopter des enfants. Pour toutes ces raisons, il m’a semblé intéressant que l’histoire se déroule en Corée.”
Comme souvent chez le réalisateur nippon, la dimension sociale n’occupe pas le premier plan de l’histoire, qu’il préfère réserver aux émotions et sentiments des protagonistes. Pour autant, elle en constitue le déclencheur, en plus d’infléchir les motivations des un(e)s et des autres. “Au Japon comme en Corée, l’existence de ces boîtes divise les opinions. C’est très tranché, il y a les pour et les contre, sans qu’il n’y ait vraiment d’accord sur leur bien-fondé. Au Japon, il y a, en gros, ceux qui considèrent que l’existence de ces boîtes encourage les mères à abandonner leurs enfants facilement dès qu’elles en ont assez, et estiment donc que c’est une mauvaise chose -c’est ce que résume Su-jin, la policière, lorsqu’elle dit en substance “si c’était pour l’abandonner, il ne fallait pas accoucher”. Et puis, ceux qui pensent que l’existence de ces boîtes permet de sauver la vie du bébé et bien souvent de la mère également. C’est aussi ma sensibilité, même si j’ai veillé, dans le film, à présenter les différents points de vue. J’avais envie de montrer que toutes ces opinions existent, pour permettre à chaque spectateur de se positionner. Il y a des fluctuations: quand on regarde le film, on ne ressent pas toujours la même chose, notre point de vue peut évoluer, et c’est ce qui m’intéressait.”
Regards masculin et féminin
Hirokazu Kore-eda imprime à cette histoire son regard empreint d’humanisme. De même qu’il observait avec bienveillance les protagonistes de Shoplifters, leur arnaque à l’assurance-pension et leurs menues combines et autres vols à l’étalage, il se refuse à porter le moindre jugement sur ceux de Broker, ces “entremetteurs” qui, s’ils s’adonnent stricto sensu à un trafic d’enfant, n’en restent pas moins avant tout des braves types que la société n’a guère épargnés. Le film, l’on s’en doute, leur ménagera la possibilité de s’amender, non sans changer de point de vue en cours de récit, se féminisant presque insensiblement. Un glissement tout sauf anodin, à une époque où l’on tend à distinguer regards masculin et féminin. “Je n’ai pas forcément eu l’intention d’inscrire ce film dans l’air du temps, ni de porter de façon consciente un regard plus féminin sur les choses, souligne-t-il. Au départ, j’avais écrit un synopsis beaucoup plus simple, l’histoire d’une mère qui abandonne son enfant dans une boîte et de deux entremetteurs qui décident de vendre le bébé, les circonstances faisant qu’ils se retrouvent à embarquer dans une même voiture et partent ensemble. Au fur et à mesure de l’écriture, le personnage de la policière qui enquête sur ces entremetteurs a pris une place plus importante. Elle a fait le choix de ne pas avoir d’enfant, c’est elle qui, au départ, a un regard très critique sur cette femme qui abandonne le bébé qu’elle a eu. Et petit à petit, elles se découvrent l’une et l’autre en tant que mère. C’est une trame un peu souterraine qui a pris de l’importance, sachant qu’il y avait deux histoires qui se déroulaient en parallèle: en surface, celle de la famille recomposée, avec les entremetteurs et la jeune femme qui font famille. Et, en-dessous, cette histoire de femmes, et de découverte de la maternité qui s’est imposée. Peut-être que si le regard féminin a pris de l’importance, c’est parce que, pour moi, c’était vraiment la colonne vertébrale du film.” De quoi, en tout état de cause, reprofiler le film avantageusement. Si le personnage de Sang-hyeon (qu’interprète lumineusement Song Kang-ho, le père de Parasite) est le moteur de l’action, qu’il entraîne avec bonheur par des chemins de traverse, celui de Su-jin (joué avec une densité rare par Doona Bae), en serait le cœur, par qui Broker atteint à une bouleversante émotion. Un équilibre délicat et souverain, pour un film assurément né sous une bonne étoile…
Broker (Les Bonnes Étoiles)
Après la France pour La Vérité, c’est vers la Corée que s’est tourné le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda pour son nouveau film, Broker. Le début, de nuit sous une pluie battante dans une rue de Busan, pourrait d’ailleurs faire penser à celui de Parasite de Bong Joon-ho. C’est pourtant bien chez le réalisateur de Notre petite sœur que l’on se trouve, pour l’une de ces histoires de famille, mais pas que, dont il a le secret. Tout commence lorsque So-young (Ji-eun Lee), une jeune mère désemparée, dépose son nourrisson devant une boîte à bébés. À quelques dizaines de mètres de là, Su-jin (Doona Bae), une inspectrice de police, n’a rien perdu de la scène, qui ne peut réprimer un commentaire définitif: “Fais pas d’enfant, si tu veux l’abandonner”. Quant à Sang-hyeon (Song Kang-ho), un blanchisseur endetté jusqu’au cou, et Dong-soo (Dong-won Gang), un employé, ils ont tôt fait de mesurer le profit qu’ils pourraient tirer de l’affaire, interceptant illégalement Woo-sung, le bébé, avec l’intention de lui trouver une nouvelle famille, moyen commode d’arrondir leurs fins de mois. Ils sont sur le point de mettre leur projet à exécution lorsque So-young, s’étant ravisée, débarque afin de récupérer son rejeton. Pour bientôt embarquer avec les deux ravisseurs dans un périple insolite à travers le pays, la fine équipe étant suivie par Su-jin et son équipière, Lee (Lee Joo-young), résolues à les prendre sur le fait…
Broker n’est pas sans évoquer Shoplifters, le film qui avait valu à Kore-eda la Palme d’or à Cannes, avec lequel il partage une trame en apparence improbable dans laquelle le réalisateur navigue avec une discrète maestria, un sens aiguisé de la famille recomposée et une bienveillance réaffirmée pour ceux qui évoluent aux marges de la société. Une vision humaniste qui vaut notamment au film de ne jamais juger ses protagonistes, aussi discutables que puissent sembler leurs actions, pour au contraire laisser s’exprimer leur vérité -“chacun a ses raisons”, aurait dit Jean Renoir- et leurs éventuelles contradictions, disposition ne prenant jamais, chez le cinéaste nippon, un tour sentencieux.
Épousant le fil distendu de leurs sentiments et émotions, Broker peut ainsi adopter, à l’occasion, des accents légers et drôles (par la grâce, notamment de l’appoint souriant d’un jeune garçon orphelin s’étant joint à l’expédition), non sans glisser, l’air de rien, vers une profonde mélancolie, culminant dans une scène, pur moment de magie, où le cinéaste convoque l’écho du Magnolia de Paul Thomas Anderson. Laissant la dimension sociologique de son sujet en sourdine, Kore-eda propose une variation inspirée sur la famille que l’on se (re)compose, tout en questionnant, l’air de rien, la maternité. Il signe aussi un drame délicatement bouleversant, cette escapade coréenne, récompensée d’un prix d’interprétation pour Song Kang-ho lors du dernier Festival de Cannes, venant joliment souligner l’universalité de son cinéma, plus que jamais sans frontières…
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