Booba/Kaaris: tout brûle comme il faut là où il faut, Madame La Marquise

Booba aux Ardentes 2017 © Olivier Donnet
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Cet été, beaucoup de bêtises ont été dites sur la bagarre entre les rappeurs Booba et Kaaris à l’aéroport d’Orly. Quelques petites choses plus intelligentes aussi. De retour pour une quatrième saison, Crash Test a choisi de souligner et d’honorer ces dernières. Rap-game, boucs émissaires et pompiers pyromanes, c’est le Crash Test S04E01.

Dans le désert médiatique du mois d’août et à la suite de la bagarre à l’aéroport d’Orly entre la bande à Booba et celle à Kaaris, un seul média, du moins à ma connaissance, a posé la seule question qui méritait vraiment d’être balancée sur la place publique: les rappeurs doivent-ils réellement donner l’exemple? C’est le Mouv, sous la plume de Genono, qui a pour le coup oublié d’être con comme tous les autres et a ainsi choisi de ne pas succomber aux raccourcis faciles et aux lynchages crétins. « Théoriquement, commence l’article, la réponse devrait être très simple: non, pas plus que les footeux, et moins que les ministres en exercice. » Dans les faits, ce n’est pourtant pas si simple. Il semble même acquis qu’un rappeur doive davantage se montrer socialement responsable que d’autres personnalités médiatiques. Quand Frédéric Beigbeder et Simon Liberati sont par exemple chopés par les flics en pleine rue le pif dans la coco, ça fait bien jaser, aussi parce que ces mecs sont des divas nées sachant très bien où appuyer pour faire jaser, mais personne n’irait sérieusement penser qu’ils donnent un exemple néfaste à leurs lecteurs et qu’ils trahissent la confiance du public. Au moindre fait divers impliquant des rappeurs, ce qui, en France, irait pourtant seulement chercher dans la dizaine de faits violents en plus de trente ans d’histoire du genre, les médias, la twittosphère et même souvent les politiques sont en revanche généralement très rapides pour dégainer la responsabilité « sociale » et « le mauvais exemple pour la jeunesse » des mecs qui se collent des pains ou foutent des baffes à des singes. C’est qu’il ne faudrait surtout pas que ce bourre-pif boute le feu aux banlieues, n’est-ce pas, Madame La Marquise…

Personnellement, je ne pense pourtant pas que Booba et Kaaris se balançant des gnons sur la tronche dans un duty-free va changer grand-chose à la société. Ça me fait même carrément marrer. C’est Groland. En revanche, ce qui ne m’a pas fait rire du tout durant cet été, c’est l’affaire Benalla, les sorties du Pape sur l’homosexualité et les considérations sur la lingerie pour hommes de Theo Francken. Des célébrités qui se crêpent le chignon à l’aéroport, ça reste dans ma vision périphérique, ça ne me fait pas craindre un « retour aux heures les plus sombres de notre histoire », ça ne me donne pas envie de vivre au fond de la forêt avec des armes et des stocks de ravioli. Qu’un artiste suivi par des millions de jeunes ait une responsabilité sociale est débattable mais je pense que cela doit rester un choix personnel. Quand je travaillais encore dans la presse musicale, je parlais souvent de ça avec des rappeurs. MC Solaar, par exemple, prenait assez à coeur son rôle de role-model positif. D’autres surjouaient les crapules alors que c’étaient fondamentalement de braves bites. Je ne sais plus qui avait aussi décidé de lever le pied sur les insultes aux flics et les appels à lancer des cocktails Molotov sur les bagnoles de patrouille dès que passé sur un gros label, parce que conscient que ce genre de « cinéma » qui passe très bien dans l’underground était fondamentalement vain et tenait plus du jeu tribal que du commentaire social pertinent. Tant qu’à être massivement entendu, autant ne pas dire trop d’âneries, avait décidé le gars (ou le groupe, je ne sais plus). Mais d’autres, au contraire, restaient fiers de leurs fronts bas et de leurs idées courtes. Et alors? On bombardait le Kosovo à l’époque et Poutine butait du Tchètchène aux toilettes et de la journaliste dans les cages d’escaliers. Il y avait donc de bien meilleures raisons de s’indigner, de craindre pour le vivre-ensemble et de se sentir mal que la portée sociale d’une culture post-adolescente et de ses codes morveux. Hashtag panique morale.

L’art n’a pas u0026#xE0; u0026#xEA;tre respectable, ni responsable

Si je contemple moi-même la culture qui m’entoure, mes disques, mes films, mes livres, je vois beaucoup de camés. Des types qui ont tué leurs femmes, ont fait de la prison, ont escroqué des pauvres, se sont regardés dans l’abîme et ont pataugé dedans. Des gourgandines, des invertis, des sociopathes. Quelques fascistes de la première heure devenus plus fréquentables après la guerre. Des #metoo, des pédophiles pas que présumés, des gens qui se sont vus interdire à vie l’entrée de certaines villes. Et des bagarreurs, plein. Qu’est-ce que ça change? Rien. Je n’ai jamais tué personne, je ne suis pas fasciste, ma consommation de stupéfiants est celle d’un Bisounours et je peux compter le nombre de baffes que j’ai refilé à des gens sur les doigts de ma droite. Bref, on y revient sans cesse. Comme l’an dernier avec les féministes 2.0, comme jadis avec les ligues de vertu, les Mères de Washington et tous ceux qui lient davantage les jeux vidéo plutôt que les flingues en vente libre aux tueries de masse. Il faut donc continuer à enfoncer le clou, encore et toujours: l’art n’a pas à être respectable, ni responsable. L’artiste n’a pas à être chic pour mériter son public. Et non, une oeuvre ou une personnalité problématique ne va pas pervertir son public. Tout simplement parce que la perception d’une oeuvre, d’un artiste, d’une forme d’art, d’une intention et même d’une personnalité varie considérablement d’une personne à l’autre.

Un rap violent va le plus souvent juste donner envie de plus danser, de se rapprocher de ses amis et même de créer quelque chose de radical, plutôt que de sacrifier au premier degré un poulet avant de mettre le feu au poulailler. C’est donc simplet, bien que vicieux, de décréter que lorsque Booba torgnole Kaaris, c’est inviter la jeunesse à les imiter. Comme pour n’importe quelle bagarre (remember Jacques Martin contre Nicolas Sarkozy, les gens?), chacun interprète les faits à sa façon. En rit. Les déplore. S’en bat les couilles. Et c’est très bien ainsi, vu qu’en fait, les emmerdes « sociales » commencent généralement quand quelqu’un se targuant d’une autorité morale autodécernée vous dit quoi penser de tels faits. C’est d’ailleurs sur quoi insiste bien l’article du Mouv. Car parle-t-on de rap dans les médias mainstream quand sort un bon album du genre ou qu’un rappeur verse des sous à une organisation de charité? Bien sûr que non. Et est-ce vraiment raisonnable de monter en exemple de turpitude sociétale une altercation stupide entre célébrités gogoles quand quasi en même temps « un proche collaborateur de l’Élysée est placé en garde à vue pour violences en réunion et usurpation de fonction »? Non plus. D’où le verdict implacable du Mouv: « l’image renvoyée dans l’une et l’autre affaire contribuent à renforcer le sentiment de stigmatisation éprouvé par une partie de la population française, tout en renforçant d’autre part le sentiment d’impunité de la classe politique. Difficile d’appeler des rappeurs à l’exemplarité morale quand des comportements violents comme ceux de la Place de la Contrescarpe sont tolérés et couverts par les plus hautes sphères de l’État. » Bref, on peut dire que les médias ont encore joué aux pompiers pyromanes avec les habituels boucs émissaires en guise de méchoui. Mais qu’est-ce qu’ils attendent pour mettre le feu, eux? Rien. C’est même leur coeur de métier.

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