Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

C’EST UN GAMIN JUIF DE BONNE FAMILLE QUI RACLE LE BLUES ÉLECTRIQUE DU CHICAGO PAUVRE ET BLUFFE MUDDY WATERS AVANT DE CONVERTIR DYLAN À SA GUITARE INCENDIAIRE.

Mike Bloomfield

Box 4 CD/DVD « From His Head To His Heart To His Hands »

DISTRIBUÉ PAR SONY.

8

Dans le troisième CD du coffret, il y a ce moment précieux de 1980 où Dylan se fend d’un large compliment public lors d’un concert à San Francisco: le barde misanthrope présente Mike Bloomfield avec une prolixité et une générosité rares. Le morceau The Groom’s Still Waiting At The Altar déroule son gospel dylanisé alors que Bloomfield y pratique des incisions de guitares dans son style circonflexe, humide et profond, spleen et orageux, blues. Si Dylan a, ô miracle, le compliment facile ce soir-là, c’est que Bloomfield est pour lui un emblème. Celui du scandale de Newport Folk Festival de juillet 1965 lorsque Bob oublie le protest acoustique et déverse une orgie électrique sur un public médusé. Au coeur de ce tsunami culturel, Bloomfield s’abreuve de riffs crus, impies et inédits. Il est de fait dans sa nature de déplacer les frontières, comme l’expose le documentaire DVD au joli titre de Sweet Blues incorporé au box: né dans une famille nantie du nord de Chicago, Bloomfield n’a pas 20 ans lorsqu’il fréquente les bars et clubs, plutôt borgnes et strictement « noirs »,du sud de la cité. Muddy Waters, BB King et les autres comprennent vite que ce bleu-bite ne se contente pas de citations: son jeu de guitare coulant, sa dextérité acrobatique, ont la colère et la mélancolie sang-mêlé des précurseurs. Et un surplus de jeunesse moderne. On est au début des années 60 et Bloomfield semble tout désigné pour débuter une carrière supérieure.

Regrets éternels

Une fois qu’il a décliné d’être permanent chez Dylan, le virtuose s’embarque pour The Paul Butterfield Blues Band, groupe racial mixte -en 1965, c’est quasi inédit-, histoire de suivre l’harmonica acide de son leader. Là, comme dans la formation Electric Flag un peu plus tard dans la décennie, on note son vibrato généreux et un style élargi aux couleurs des musiques orientales plutôt qu’aux feedbacks et distorsions modes. Purisme poreux puisque Bloomfield puise aussi dans les réserves funky-soul de l’Amérique, à l’instar de ce Just A Little Something, daté de 1968. Sur les disques réalisés avec le mythique musicien-producteur Al Kooper -ils occupent l’intégralité du second CD-, Bloomfield est fascinant de facilité, créant des fleuves d’arpèges sensuels, narratifs, parfois relevés d’un nuage de psychédélisme (cf. His Holy Modal Majesty). Même les travaux acoustiques seventies du troisième CD attestent d’une technique fine et aérienne, un truc que le travail, seul, ne permet pas. Alors pourquoi Bloomfield ne devient-il pas un autre « God »à la Clapton? Peut-être parce qu’il manque d’une voix (à la Hendrix), de gimmicks (à la Jeff Beck) ou de tubes (à la Peter Green). Plus prosaïquement, il manque de temps, mort en 1981 à l’âge de 37 ans d’une overdose. Accidentelle comme on dit. Reste cet intéressant document pour avoir des regrets.

PHILIPPE CORNET

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