Bloodline, une histoire de famille au gout de cendres et de sang

Kyle Chandler dans Bloodline © Netflix/Saeed Ayani
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Netflix accueille Bloodline, la nouvelle création des concepteurs de Damages. Une histoire de fratrie au goût de cendres et de sang, dominée par Kyle Chandler et Ben Mendelsohn.

Signe des temps, et de la place qu’elles ont conquis dans le paysage audio-visuel: la Berlinale ouvrait largement sa sélection aux séries télévisées en février dernier, présentant un échantillon de productions en provenance d’horizons divers. Parmi celles-là, Bloodline, nouvelle création KZK (pour Todd A. Kessler, Daniel Zelman et Glenn Kessler, les concepteurs de Damages notamment), dont étaient présentés les deux premiers épisodes, en prélude à la diffusion de l’intégrale de la première saison à compter du 20 mars sur Netflix. Inscrite dans le décor faussement idyllique des Keys, en Floride, Bloodline tient du drame tortueux, le retour au pays du mouton noir de la famille ayant le don de rouvrir les plaies du clan Rayburn. Parmi d’autres qualités (lire par ailleurs), la série peut tabler sur une distribution impressionnante où l’on retrouve, aux côtés de Sissy Spacek et Sam Shepard, excusez du peu, Kyle Chandler et Ben Mendelsohn, dans le rôle, le premier de John, le frère « responsable »; le second de Danny, un concentré instable, celui par qui le scandale semble devoir inévitablement arriver. Des emplois apparemment sur mesure -Chandler affecte un profil de gendre idéal (l’agent du FBI de The Wolf of Wall Street, c’était lui), là où l’Australien Mendelsohn, de son vrai nom Paul Benjamin, a ce que l’on appelle communément une tronche de cinéma, estampillée « bad guy » en l’occurrence, et vue de Animal Kingdom en Exodus-, et d’ailleurs assumés jusqu’en promo, où on les rencontre à la suite en mode speed dating: treize minutes pour l’un, quatorze pour l’autre, en jouant les prolongations. Roule ma poule…

Sous les eaux dormantes

« Mon dernier job sur une série à la télé, c’était Friday Night Lights, il y a quelques années déjà, commence Kyle Chandler, un acteur dont le parcours s’est partagé équitablement entre petit et grand écran, de Homefront à Zero Dark Thirty, en passant par King Kong ou Grey’s Anatomy. J’avais ensuite pris quelque peu mes distances, mais j’avais envie de renouer avec cette façon de travailler. Quand Todd, Glenn et Daniel sont venus me voir à Austin pour me proposer le projet, je n’ai guère hésité. Et je n’ai eu qu’à m’en féliciter. » Et d’étayer son propos: « Au cinéma, même si on travaille ensemble, le réalisateur arrive avec une vision bien distincte, et on essaye, en tant qu’acteur, de l’assister dans le processus de création. C’est différent dans une série, où le processus est beaucoup plus collaboratif, et où on a l’occasion de vraiment s’approprier son travail. » « Quand on s’engage dans une série au long cours, on a beaucoup plus de temps pour nuancer les choses et approfondir son personnage, observe pour sa part Ben Mendelsohn. Il faut aussi se placer dans une perspective plus vaste, et le façonner dans la durée, c’est là le défi principal. »

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Une même dynamique en suspension préside à Bloodline, dont le moteur narratif principal consiste à se jouer (et se défier) des apparences. Et de plonger sous la surface des eaux dormantes -le vernis de respectabilité qui protège les Rayburn en l’occurrence, mais semble devoir se fissurer toujours plus avant. Jusqu’à faire apparaître les tiraillements sapant la fratrie -ressort dramatique inépuisable remontant pratiquement à la nuit des temps, et dont cinéma comme télévision ont su faire leur miel. Animal Kingdom, le film magistral de David Michôd qui révéla Ben Mendelsohn, sondait, du reste, de pareilles mares familiales. « C’est un genre propre, un peu comme le grand guignol, relève le comédien. Ces histoires génèrent un sentiment de danger qui capte l’attention. Partant, elles constituent l’un de ces purs plaisirs de cinéma ou de télévision, au même titre que la comédie ou la romance. » « Une nuit que l’on tournait une scène, Ben et moi, à ce stade où l’on en était encore à travailler sur qui sont vraiment les personnages, j’ai réalisé que John éprouvait un mélange d’amour et de haine à l’égard de Danny, le ressentiment lié à son départ se confondant avec le fait qu’il lui avait manqué. Et c’est exactement ce dont il retourne avec les liens du sang: on peut haïr son frère tant et plus, on va toujours l’aimer également. Il s’agit évidemment d’un terrain extrêmement fertile pour le storytelling », ajoute Kyle Chandler.

A mi-chemin du drame familial et du thriller, Bloodline en joue à plein, tout en veillant à maintenir des zones d’ombre où s’engoufrent ses protagonistes, une ambivalence bienvenue prévalant ainsi à la série, revendiquant une ambiance trouble. Comme Alfred Hitchcock avait coutume de le dire, au meilleur le méchant, au meilleur le film, précepte parfaitement assimilé par les auteurs, et qui vaut à Ben Mendelsohn de trouver ici un de ces emplois sur le fil comme il les affectionne à l’évidence. Et auxquels il semble destiné depuis qu’Animal Kingdom a imprimé un virage à 180° à son parcours, quelque 25 ans après ses débuts. « A croire que le film de Dave Michôd a mis en lumière quelque chose que les gens n’avaient pas décelé en moi auparavant. Avec des effets en cascade: on me propose beaucoup de variations sur ce modèle, mais je ne m’en plains pas. C’est même plutôt flatteur, puisqu’on considère en général qu’il faut être un bon acteur pour jouer le « bad guy ». » Sa composition, sinueuse et ambiguë à souhait, vaut d’ailleurs mieux que de longs discours…

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Un médium d’auteurs

Avec son casting d’enfer, Bloodline vient par ailleurs confirmer que le format séries a désormais la cote auprès des acteurs. Pour autant, Kyle Chandler se refuse à établir une hiérarchie entre télévision et cinéma. « L’un et l’autre m’ont valu mon lot de satisfactions. J’ai débuté à la télévision, et quand j’étais gamin, j’imaginais qu’il y avait une clé magique détenue par la screen actors guild (le syndicat des acteurs, ndlr) et qui donnait accès aux films. J’ai fini par en tourner, le processus est différent, tout comme l’état d’esprit y régnant. Ce sont juste deux univers de travail fort différents. » « Cela revient un peu à comparer des pommes et des oranges, renchérit Ben Mendelsohn. Pour moi, les séries sont avant tout un médium d’auteurs. Des gens avec un véritable talent se voient donner la latitude de s’exprimer, et ce qui ressort, dans les meilleures séries, c’est la qualité de l’écriture. Avec un bon créateur comme auteur principal, le résultat peut être très fort, comme le montrent The Sopranos ou The Wire, des séries d’une incroyable richesse. Les séries ont pris une ampleur considérable ces dernières années parce que, après une période où régnait le conservatisme, les gens se sont enfin fait à l’idée que l’on pouvait faire des programmes intelligents, et qu’il y avait un public pour les regarder. »

Bloodline ***

Bloodline, une histoire de famille au gout de cendres et de sang
© Netflix

« We’re not bad people, but we did a bad thing. » Le secret, la culpabilité et les histoires de famille constituent traditionnellement de puissants moteurs de fiction. Un précepte aujourd’hui à l’oeuvre dans Bloodline, la nouvelle série imaginée par Todd A. Kessler, Daniel Zelman et Glenn Kessler, les concepteurs de Damages. Inscrite dans le cadre faussement idyllique des Keys, en Floride, l’intrigue gravite autour des Rayburn, un clan respecté dont l’unité va être mise à mal lorsque Danny (Ben Mendelsohn), l’aîné des quatre enfants et mouton noir patenté, réapparaît à la faveur d’un week-end festif, ravivant des blessures anciennes et de sourdes rancoeurs au sein de la fratrie…

La matrice est, somme toute, classique. Tirant un maximum de profit d’un format à rallonge, les auteurs laissent le malaise s’instiller en profondeur, tandis qu’ils déflorent les secrets de la famille Rayburn: Robert et Sally (Sam Shepard et Sissy Spacek), le couple de patriarches tenant un Inn choisi, John, le fils modèle (Kyle Chandler), Kevin, la tête brûlée (Norbert Leo Butz), Meg, l’avocate (Linda Cardellini) et Danny, animé de motivations incertaines. Et de conduire, soutenus par cette distribution rien moins qu’étincelante, le spectateur en de tortueux rivages, ceux d’un marigot où il ne fait guère bon s’égarer. Le drame familial tend insensiblement vers le thriller poisseux, en effet, suivant une mécanique à l’efficacité éprouvée sinon profondément originale, venue titiller le suspense et épaissir le mystère à l’aide de voix off, flash-back et autre flash-forward. Soit, relancé d’épisode en épisode, un schéma narratif habile et, l’air de rien, addictif: de quoi dûment ferrer le spectateur, bientôt pris dans la nasse de ce blues des bayous virant inexorablement au cauchemar.

UNE SÉRIE NETFLIX CRÉÉE PAR TODD A. KESSLER, DANIEL ZELMAN ET GLENN KESSLER. AVEC KYLE CHANDLER, BEN MENDELSOHN, LINDA CARDELLINI. 13 ÉPISODES. SUR NETFLIX À PARTIR DU 20/03.

Quant à la place d’un Netflix dans ce paysage en mutation? « Avec les séries, le temps que le public passe avec des personnages a considérablement évolué. Le cinéma est associé à l’idée de spectacle, au sens large, tandis que la télévision, et les nouveaux modes de diffusion en streaming, impliquent une notion d’intimité, ce qui fait une grosse différence. Netflix y ajoute la permanence: cela n’a plus rien à voir avec ces programmes de télévision qui, une fois diffusés, disparaissent. Ici, un programme mis en ligne le reste. Et la façon dont les gens vont pouvoir regarder une série se trouve bouleversée, du simple fait qu’elle soit disponible, d’une minute à l’autre, dans son intégralité. Dans le chef de Bloodline, avec ses éléments de thriller, j’imagine qu’il s’en trouvera des gens pour enchaîner les épisodes dans un laps de temps fort court. C’est un changement substantiel, assorti d’un bon vers l’inconnu », estime Mendelsohn. « Je n’aurais jamais imaginé être associé à une série qui allait sortir le même jour dans 50 pays, à destination de 53 millions d’abonnés. C’est tout simplement incroyable, et nul ne peut dire où l’on en sera dans cinq ans: on assiste à une mutation exponentielle et accélérée, où l’on dirait que Netflix investissant cet espace, tout le monde veut suivre… », conclut Chandler. Une nouvelle déclinaison de la pensée de McLuhan, voulant que le médium soit le message?

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