En mai, l’ancien guitariste de The Coral, Bill Ryder-jones ouvrira pour les Mumford & Sons au Sportpaleis. Portrait d’un talentueux, génial et modeste angoissé.
Alors que dehors une pluie fine et froide s’abat sur Gand -dont il a entendu parler des exploits en Ligue des champions, lui, le supporter d’Everton qui se rêvait footballeur-, Bill Ryder-Jones effectue son soundcheck dans la Sint Jacobskerk sous un immense Jésus crucifié. Drôle de journée. « Belle et triste. » Sa petite amie fête son anniversaire et l’un de ses musiciens a perdu son grand-père. L’écharpe nouée autour du cou, le visage joufflu et le cheveu désordonné, l’ancien guitariste de The Coral se confie et confesse dans l’obscurité de son van dont il ne trouve pas l’interrupteur.
Fils d’une femme de ménage et d’un directeur de banque reconverti en décorateur de jardins, Bill Ryder-Jones vient de West Kirby, petit bled côtier en banlieue de Liverpool. « Ma mère est une femme formidable, explique le singer songwriter qui avoue s’être fait tatouer Mum, comme tous les bons garçons du Nord. Elle a eu une vie compliquée, profondément affectée par toute la tristesse qui l’a accablée. Mais elle s’est toujours révélée extrêmement aimante. On s’adore tellement qu’on s’engueule souvent. On se ressemble et on boit tous les deux un peu trop. Mon père a lui aussi connu une enfance affreuse. Il vient de la working class. D’un quartier particulièrement dur de Bolton. On a vécu à Manchester avant de s’installer à West Kirby. Ils ont énormément travaillé pour nous permettre de grandir dans un environnement middle class. Un village de pêcheurs, calme et tranquille, où on vit au ralenti et où les gosses n’ont rien à faire. Musique, picole, drogues et foot. Les hobbies typiques de l’Angleterre ouvrière… »
Gamin, Bill aime remplir son sac à dos de CD (Bob Marley, les Beatles, les Beach Boys) et se promener tout seul avec son vélo et son discman dans les collines. A treize ans, il cofonde The Coral dont il est le petit benjamin… « J’étais un peu froussard. Je n’ai pas touché à la drogue avant 17 balais. On a perdu mon frère aîné en 1991. J’avais sept ou huit ans. Il en avait neuf… On vivait dans un assez petit village. L’affaire a fait du foin et sa disparition m’a profondément ébranlé. La plupart de mes souvenirs d’enfance se sont d’ailleurs évaporés. J’ai compris vers 16-17 piges que je n’avais pas fait mon deuil. Je me suis mis à fumer pas mal d’herbe. On a signé un contrat avec une maison de disques. Et je n’ai jamais vraiment exorcisé tout ça. C’est la vie non? Qu’est-ce que tu en penses? Elle ne peut être qu’étrange. Elle est juste absurde de la première à la dernière page de notre existence. »
Table rase
Après avoir brossé l’une ou l’autre tournée de The Coral (on parle alors d’agoraphobie, de stress et de crises d’angoisse), Bill Ryder-Jones finit par prendre la tangente en 2008 et se lance en solo, accompagné d’un orchestre, dans l’adaptation d’un bouquin d’Italo Calvino. « Je ne voulais pas chanter. Avoir à dire quelque chose. Je ne me sentais pas à l’aise à l’idée d’enregistrer un disque. Je voulais utiliser le matériel de quelqu’un d’autre. Composer une bande originale. Mettre mes talents en vitrine. Si par une nuit d’hiver un voyageur est un très bel ouvrage. »
Récits sans fins, débuts de romans laissés en suspens… La réalité a fini par dépasser la fiction. Après avoir enregistré A Bad Wind Blows in My Heart chez sa mère (2013), Bill entre en studio à Liverpool avec James Ford pour plancher sur son successeur. Il passe 2014 à bosser sur un disque qui ne verra jamais le jour. « Mes intentions n’étaient pas assez honnêtes. J’étais perdu. J’avais écrit des chansons qui n’avaient pour moi que peu de sens et de signification. J’étais dans Bowie, le Smog de Bill Callahan. Je voulais un esprit seventies. Mais ça ne marchait pas. Je l’ai réalisé assez tard. »
Assez tôt toutefois pour décider de faire table rase et de remettre son album sur le métier… « Je lui ai consacré tout mon temps et mon argent mais quand je me suis rendu compte que je n’avais plus ni l’un ni l’autre et que je ne voulais pas de ce disque, c’était logique de retourner chez maman. Je sortais et buvais trop. J’ai décidé de me calmer, de rester à la maison et de m’enfermer dans ma chambre. Juste pour le plaisir d’écrire et d’enregistrer. »
Bill y a retrouvé le son qu’il affectionne tant et surtout son goût immodéré des mélodies. « Je me suis souvenu que c’est ce que j’aimais dans la musique et la première mouture de l’album en manquait cruellement. Quand on me dit qu’il sonne comme du Pavement, je me demande vraiment si les gens l’ont écouté. C’est juste le cas d’une chanson. Wilco? Je ne connais pas vraiment. En le faisant, je me suis surtout jeté pas mal de Feelies et de Galaxie 500. Le contenu du disque est assez triste mais l’ambiance au final plutôt enjouée. J’aime mettre les gens à l’aise pour leur permettre d’écouter des choses parfois difficiles à entendre. »
La plupart des chansons de West Kirby County Primary sont liées à des événements qui lui sont arrivés ces dernières années. Daniel parle de son frère parti trop jeune. Tell Me You Don’t Love Me Watching d’une fille qui l’obsédait. « Une fille que je n’ai jamais vraiment rencontrée et dont j’essayais d’attirer l’attention. Ça m’a rendu amer mais comment lui reprocher de ne pas me remarquer. »
Rarement le mot sincérité aura eu autant de sens que pour évoquer l’attitude et la démarche du trentenaire liverpuldien croisé avec les Last Shadow Puppets et les Arctic Monkeys. A la production d’Hooton Tennis Club, des Wytches et de By The Sea… « Mine de rien, en te racontant dans tes chansons, tu te mets dans une position inconfortable. Ceux qui attendent que tu vives en accord avec tes morceaux te poussent parfois à te les coltiner pendant 40 ans. Tu as l’âge de la pension et tu te retrouves, parce qu’ils aiment un titre, à chanter des ex-petites amies dont tu te souviens à peine… Je n’y connais pas grand-chose moi au succès. Tout ce que je peux faire, c’est me montrer fidèle à moi-même. Pour d’étranges raisons, j’intéresserai éventuellement assez de gens pour que ça reste mon boulot. »
WEST KIRBY COUNTY PRIMARY, DISTRIBUÉ PAR DOMINO.
LE 24/05 AU SPORTPALEIS AVEC MUMFORD & SONS.
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