starmania

Bernard Jeannot-Guérin : « Starmania est un spectacle fondateur »

Starmania 1979 © getty images
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Docteur en langue et en littératures françaises, spécialiste de la comédie musicale française, Bernard Jeannot-Guérin connaît bien Starmania. « Plus que d’être visionnaires, Berger et Plamondon avaient surtout très bien compris leur présent, qu’ils ont traduit dans une forme intemporelle.« 

Toujours aussi populaire, Starmania n’a pas seulement passé l’épreuve du temps. Il a aussi réussi à devenir un sujet d’étude universitaire. En octobre 2021, un colloque international de trois jours était ainsi organisé à l’Université d’Angers. À l’origine du projet, Bernard Jeannot-Guérin, docteur en langue et en littérature françaises et en arts du spectacle, spécialiste de la comédie musicale française et consultant scientifique sur la version 2022-2023 de l’opéra-rock.

Il a 13 ans quand il tombe sur les chansons de Starmania. Depuis, il n’a cessé d’y revenir. Aussi bien sur scène -“J’ai pratiqué la comédie musicale pendant 20 ans”- que dans ses réflexions scientifiques. “Dès 2013, je me suis lancé dans une thèse sur la comédie musicale française.” Un travail de 700 pages, dans lequel Starmania occupe une place centrale. “Pour moi, c’est vraiment un spectacle fondateur.”

En quoi le récit musical imaginé par Berger et Plamondon crée-t-il exactement une brèche? “Il faut se remettre dans le contexte des années 70. Il y a déjà eu des opéras-rock auparavant, aux États-Unis d’abord, dès 1965, et puis avec l’exemple sans doute le plus célèbre du Tommy de The Who en 1969. Mais des opéras-rock à la française, à l’époque, on ne sait pas trop en faire. Il y a eu un premier test en 1973 avec La Révolution française. C’est un succès. Mais ses auteurs -Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil- ne théorisent pas vraiment leur démarche. Starmania, c’est l’inverse. Le processus de création démarre dès 1974, et une semaine avant la première, Plamondon est encore en train d’écrire des intermèdes… Avec l’idée, non pas d’aligner une suite de tubes, mais de créer une véritable architecture opératique.

Une plume nord-américaine

Ce n’est pas la seule ambition du duo. “Ils voulaient également non pas proposer un show à l’américaine, mais un spectacle à la française qui soit à la hauteur des productions américaines.” Avec cette spécificité: là où les créations US sont d’abord testées devant un public avant d’être éventuellement gravées sur disque, Starmania effectue le trajet inverse. Il sort d’abord sous forme d’album, laissant au public le soin de combler les trous de l’histoire”. Problème: le disque ne se vend pas bien. “Il faut dire que Plamondon a une plume très nord-américaine, qui choquait les oreilles. C’est une écriture jeune, virulente, acerbe parfois. C’est Diane Dufresne, diva excentrique, qui a poussé Plamondon à écrire “rock”. Dans une langue qu’au Canada on a appelée l’après-joual -le joual étant le patois des Québecois, et l’après-joual une tentative d’internationalisation de ce dialecte. Le monde est stone, par exemple, c’est ça.

Au départ, Plamondon et Berger misent aussi sur des visages inconnus pour ne pas faire de l’ombre au propos de leur opéra-rock. Mais devant l’accueil très timide du disque, ils sont obligés d’appeler à la rescousse leurs artistes fétiches, France Gall et Diane Dufresne. La sortie du single Besoin d’amour fait le reste. Starmania est lancé et les quelque 25 représentations prévues sont rapidement remplies.

Une tragédie moderne

Quarante ans plus tard, il attire toujours les foules. Parce que derrière les tubes, il a su se montrer visionnaire? “Je lis ça souvent, mais je ne suis pas d’accord. Les thématiques de Starmania peuvent évidemment trouver un écho dans ce qu’on peut vivre aujourd’hui. Mais quand Plamondon et Berger mettent en scène le terrorisme, les manipulations médiatiques, les luttes de classes, etc., c’est surtout parce qu’ils ont lu 1984 d’Orwell; qu’ils sont ancrés dans une époque où les actions violentes sont récurrentes, des Brigades rouges en Italie à la Bande à Baader en Allemagne; qu’ils voient que l’arrivée du thatchérisme relance la lutte des classes en Angleterre, etc. Quant à la question de l’homosexualité, à nouveau, il ne faut pas oublier que Plamondon vient d’Amérique du Nord, où les études de genre voient le jour dès les années 70. »

Bernard Jeannot-Guérin poursuit : « Pour moi, plus que d’être visionnaires, Berger et Plamondon avaient surtout très bien compris leur présent, qu’ils ont traduit dans une forme intemporelle. En lui donnant une esthétique futuriste, certes. Mais si le spectacle fonctionne encore aujourd’hui, c’est parce qu’il parle des grandes problématiques existentielles qui touchent chacun d’entre nous: qu’est-ce qu’être aimé? Qu’est-ce que vouloir faire briller son étoile? N’est-on pas, in fine, seul au monde? Au fond, ce que met en scène Starmania, c’est la tragédie de l’homme moderne, qui doit trouver son chemin, alors que tout dieu, toute transcendance a disparu.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content