Novembre 89. Le mur de Berlin s’écroule. Jeunes de l’Est et de l’Ouest se retrouvent pour fêter la réunification sur fond de techno. Un club en particulier joue le rôle de catalyseur: le Tresor.

Une culture musicale foncièrement, viscéralement, techno. Des clubs qui ne ferment jamais, prolongeant la fête jusqu’au lendemain midi le long de la Spree. Aujourd’hui plus que jamais, Berlin reste la capitale mondiale des musiques électroniques.

L’histoire parle pour elle. Depuis toujours, l’Allemagne a joué un rôle déterminant dans le développement de la techno et consorts: des recherches de Stockhausen aux fondements posés par Kraftwerk, en passant par l’électropunk de DAF ou le krautrock, musique expérimentale teutonne des années 60-70 qui, de Can à Tangerine Dream, partait du rock pour arriver à des textures plus électroniques. Dans les années 80, à Francfort, le Dorian Gray est le premier club européen à bénéficier du savoir-faire de Richard Long, le metteur en son du mythique Paradise Garage de New York.

Un événement en particulier va jouer un rôle essentiel pour fixer Berlin sur la carte du groove synthétique. A l’été 89, Matthias Roeingh, alias DJ Dr Motte, loue un van VW sur lequel il monte une sono. Il rassemble quelque 150 personnes, qui descendent en dansant la Kurfürstendamm, les Champs Elysées berlinois. Slogan du jour: Friede, Freude & Eierkurchen. Paix, amour et pancakes… La Love Parade est née. A son apogée, elle rassemblera plus d’un million et demi de danseurs…

Techno über alles

Mais le vrai grand chamboulement arrive quelques mois après cette première sortie. Il est historique. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Ce bouleversement incroyable, encore impensable quelques mois plus tôt, ne tardera pas à trouver sa bande-son: la techno.  » One nation under a groove », chantait Funkadelic dans les années 70. La formule convient à merveille pour ce qui se passe alors à Berlin. Le soir-même, la télévision diffuse les images du célèbre violoncelliste Rostropovitch accompagnant la foule qui grimpe sur le mur de la honte, attaquant au marteau la membrane de béton qui a si longtemps divisé la ville. Pourtant, c’est une autre musique que les envolées classiques du virtuose qui accompagnera cette révolution. Dans leur somme Last night a DJ saved my life (éd. Headline), Bill Brewster et Frank Broughton racontent: « La chute du Mur et le chaos régnant à l’Est ont donné accès à une foule d’espaces industriels vides. Le jour suivant était un vendredi et tout le monde avait envie de prolonger la fête. Un week-end extraordinaire s’annonçait, dont on pouvait parier que la bande-son ne serait pas du Beethoven. »

Moins connotée et chargée que le rock, la techno est une musique nouvelle, jeune, révolutionnaire. Un terrain vierge qui convient parfaitement pour illustrer l’excitation, le frisson qui parcourent la jeunesse allemande. « Comme personne ne savait vraiment quelle réglementation était de mise, les clubs fonctionnaient comme ils le voulaient, restant ouverts aussi longtemps que les gens dansaient, jouant un strict régime hard house et techno qui semblait grandir un peu plus chaque semaine » (Ibid). Un endroit en particulier va jouer ce rôle de rassembleur. Installé dans la partie est de la ville, à un jet de pierre de la Postdamer platz, au 126 A Leipziger Strasse, le Tresor va devenir le symbole du pouvoir réunificateur de la techno.

Blade Runner

Le club est le projet de Dimitri Hegemann. Dès 88, il lançait UFO, l’un des premiers lieux à Berlin où l’on peut danser sur de la house et de la techno. Trois ans plus tard, il cherche un nouvel endroit. Dans l’ouvrage Global Techno (éd. Scali), il raconte à Jean-Yves Leloup comment il a trouvé l’espace qui allait devenir le Tresor: « De l’extérieur, cela ressemblait à une sorte de vieux palace ou à un cinéma, mais je n’avais aucune idée de ce qui se trouvait à l’intérieur. Personne n’était jamais entré là-dedans depuis la fin de la guerre. On a forcé la porte et j’ai découvert ainsi, émerveillé, pièce après pièce, ce lieu magique, à l’image d’un archéologue découvrant l’intérieur d’une pyramide. » Hegemann n’a aucune idée de qui peut bien être le propriétaire du bâtiment – des anciens grands magasins Wertheim, complètement dévastés. Il décide néanmoins de s’installer dans les… chambres fortes installées au sous-sol. D’où le nom du club, qui deviendra très vite l’épicentre de la révolution techno allemande.

On y accède en suivant de longs couloirs étroits. A l’intérieur, les plafonds sont bas, et les gouttes de condensation perlent sur les murs, encore décorés des anciens coffres. Le DJ est lui installé derrière les barres en fer qui marquaient l’entrée d’une autre chambre forte. Ambiance Blade Runner assurée… La musique? Une techno pure et dure, telle qu’elle a pu naître du côté de Detroit. Très vite, Hegemann arrive d’ailleurs à inviter les principales figures américaines du genre: Juan Atkins, Jeff Mills, Robert Hood… Il embrasse aussi l’attitude communautaire d’une musique qui, dans l’anonymat du DJ, envoie valser les barrières sociales. Brewster et Broughton toujours: « Quand certains clubs étaient là pour accentuer la division sociale et économique qui restait alors encore d’actualité, le Tresor lui, avec son entrée et ses boissons à prix modérés, faisait partie des endroits qui rassemblaient les gamins de l’Est et de l’Ouest. »

Plus de 15 ans plus tard, le Tresor £uvre toujours. Certes, il a été obligé de quitter les murs de la Leipziger Strasse, aujourd’hui réaffectés en bureaux pour une compagnie d’assurance. Mais en 2007, il a pu rouvrir ses portes, dans une ancienne centrale électrique. Toujours fidèle au son et à l’attitude techno.

Texte Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content