O’Horten est le nouveau film du réalisateur norvégien, maître ès ovnis cinématographiques décalés mais ouverts sur le monde.
C’est un peu comme le Jacques Dutronc de La publicité: essayer Bent Hamer, c’est l’adopter, tant il se dégage des films de ce cinéaste norvégien un charme incontestable. Irrésistible même, pour peu que l’on soit sensible à un univers en subtil décalage, empreint aussi d’une poésie un brin désuète encore que résolument en prise sur le monde. Ainsi de O’Horten ( voir notre critique page 28), son cinquième long métrage, que le réalisateur de Eggs et autres Kitchen Stories était venu présenter, en octobre dernier, au Festival de Gand – une manifestation dont il repartira avec le prix de la mise en scène.
O’Horten raconte l’histoire d’Odd Horten, un conducteur de train à la veille de la retraite – sujet inusité qui s’est imposé pour ainsi dire fortuitement au réalisateur. « Habituellement, je pars de quelque chose de très précis pour me frayer un chemin vers l’extérieur, explique-t-il. Ici, ce fut plutôt l’inverse. Rien n’a été consciemment planifié, je ne connaissais rien aux cheminots. Et à l’arrivée, il se trouve, incidemment, que je parle de personnes d’un certain âge, comme dans « Eggs ». L’idée était aussi d’évoquer un homme que la retraite coupe de son réseau social: d’un jour à l’autre, on bascule dans un nouvel univers – on se retrouve parmi les retraités, et on se voit catégorisé comme vieux. Je trouve ce sujet intéressant, mais j’espère toutefois que le film représente tous les stades de la vie, chaque fois que l’on a l’opportunité de changer quelque chose. »
A cet égard, O’Horten brasse un éventail de possibles, lesquels prennent souvent la forme, chez Hamer, de petits événements incongrus surgissant inopinément dans la vie de ses protagonistes. De quoi donner à son oeuvre une coloration résolument insolite: « Il faut qu’Odd fasse des choses qu’il ne ferait pas dans sa vie et dans des circonstances normales. En un sens, c’est l’essence même du film. Je mélange ce qui est vraisemblable, et ce qui ne l’est pas, et j’espère que le spectateur l’acceptera. Cette combinaison d’ouverture poétique et de précision m’attire. »
Trouver sa voie
Avec, en toile de fond, cette invitation séduisante à essayer de faire de nos rêves une réalité – celle-là même que formulait aussi Charles Bukowski dans Factotum, précédent film de Bent Hamer qui y modelait à sa façon, et à l’abri des clichés, l’image du sulfureux écrivain américain. « Quoique l’on veuille changer dans la vie, même si cela touche à de vastes questions politiques, on doit commencer par soi-même. Il faut trouver sa propre voie, ce qui est le résultat d’un long dialogue. L’essentiel est de garder l’esprit ouvert, et de faire les choses à sa façon. »
Un constat qui, dans le chef de Bent Hamer, tient de la profession de foi. Mélancoliques et baignés d’humour absurde comme d’universelle solitude, d’ailleurs, ses films adoptent l’allure de délicieux ovnis cinématographiques. Evoque-t-on une famille de cinéma qu’il esquive, joliment: « Je tire mon inspiration de tout ce qui m’entoure. Il y a beaucoup de bons cinéastes, et de bons films. Mais des mauvais films aussi… »
Jean-François Pluijgers
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