À l’affiche d’Inju de Barbet Schroeder, l’acteur porte un regard singulier sur son métier. Définitivement zen.

ENTRETIEN JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS, À VENISE.

Entretien Jean-François Pluijgers, à Venise.

C’était il y a une vingtaine d’années et sous les traits de Momo Groseille, Benoît Magimel faisait une entrée remarquée dans le paysage cinématographique français. Le postulat posé par le titre du film d’Etienne Chatiliez, La vie est un long fleuve tranquille, l’acteur allait bientôt s’employer à le démentir, semblant s’amuser à déjouer les attentes – mais n’en pavant pas moins méthodiquement le chemin de la reconnaissance.

Crut-on voir en lui un acteur générationnel, passant de Déjà mort, pour Dahan, en Selon Matthieu, pour Beauvois? Ce serait oublier un peu vite qu’il avait entre-temps tourné avec André Téchiné et Diane Kurys. Refusant les chapelles, Magimel s’acoquinerait ensuite aussi bien avec Michael Haneke qu’avec Gérard Pires, avec Harry Kleven qu’avec Claude Chabrol. Ou, aujourd’hui, Barbet Schroeder, pour un Inju déroutant. Un Schroeder pour qui on est, avec le comédien, dans le domaine de l’évidence:  » C’est l’acteur qui m’intéresse le plus en France…  » Point barre.

Aller dans la contradiction

Lorsqu’on le rencontre sur la terrasse d’un palace du Lido – Inju a été présenté la veille en compétition à la Mostra -, on est frappé par la sérénité décontractée de Magimel. Sa disponibilité aussi, au service d’un point de vue bien affirmé sur son métier, lui qui, à presque 35 ans, a passé plus de la moitié de son existence sur les plateaux de cinéma.  » J’ai appris et je me suis construit à travers les films, approuve-t-il. Quand j’ai débuté, j’ai trouvé cela génial. Mais je me suis dit également que cela ne pouvait pas être aussi facile que cela, il y avait forcément un piège. La difficulté, quand on commence enfant, c’est de durer.  » Et donc de poser les bons choix, ceux qui permettront de construire sur du solide. A cet égard, Magimel ressert une anecdote parlante:  » Quand j’avais une quinzaine d’années, j’ai vu Pirates de Polanski. Il y avait dans ce film un formidable acteur, Cris Campion, dont c’était le premier rôle. Le film n’a pas marché et il a disparu. J’en ai déduit qu’il ne fallait pas faire de film énorme en début de carrière. Lorsque, à 15 ans, on m’a proposé un film avec Depardieu en tête d’affiche, j’ai refusé, c’était trop tôt.  » Une décision qu’il n’eût jamais à regretter.  » Mieux vaut commencer avec des films moyens qu’avec des films exceptionnels, sinon on ne peut qu’être déçu par la suite, on ne peut que redescendre.  »

Avisé, Magimel s’est, lui, employé à ne pas brûler les étapes:  » Chaque âge amène une nouveauté, une nouvelle ère, observe-t-il . C’est ça qui est bien dans ce métier: c’est un éternel recommencement, on n’est jamais totalement arrivé.  » Et de compléter la réflexion par une autre:  » Quand j’avais 18 ans, j’avais besoin d’être en contradiction avec mon physique d’ange, comme on pouvait dire. J’avais besoin de m’endurcir, de montrer une part violente, d’affirmer ma virilité. Maintenant que j’ai 35 ans et que mon visage s’est durci, que je me sens plus homme, je vais beaucoup plus vers des choses sensibles. J’essaie d’aller dans cette contradiction-là, voilà ce qui m’intéresse.  »

Michel Simon, vous connaissez ?

On y verra aussi l’expression de la maturité. Une maturité qui se traduit encore par une propension à travailler avec des réalisateurs s’employant à pervertir un système – qu’il s’agisse de Michael Haneke, Claude Chabrol ou aujourd’hui Barbet Schroeder:  » Ce sont des gens qui arrivent à être dans une folie un peu ordinaire, décalée, je trouve cela intéressant. J’aime aussi travailler avec les anciens. Ils ont beaucoup à nous apprendre, même si ce sont des univers qui nous sont complètement étrangers. Travailler avec Chabrol ou Schroeder est important pour moi – nous sommes à une période charnière où des mondes sont en train de disparaître, une race d’hommes aussi, et je suis attaché à cela.  »

Se confessant volontiers mélancolique, et même nostalgique, Magimel s’avère proprement intarissable lorsqu’il s’agit, dans la foulée, d’évoquer sa passion pour le cinéma français d’antan:  » J’ai toujours aimé le cinéma d’avant-guerre, Michel Simon, Jean Gabin, ces acteurs extrêmement modernes. Quand j’étais gamin et qu’on parlait de cinéma, mes copains n’en avaient que pour les Américains, De Niro, Pacino. Et moi, je leur disais:Michel Simon, vous connaissez? C’est un acteur immense, il a inventé l’Actors Studio, ce ne sont pas les Américains (…). Il ne faut pas y voir du chauvinisme, mais il faut regarder autour de soi. Jules Berry, Brasseur sont les acteurs qui m’ont fasciné, gamin, parce que des amis m’ont initié au cinéma. Mais j’adore aussi le cinéma américain des années 70. Moi, j’ai envie d’évoluer dans tout, je n’ai pas envie de m’enfermer dans un genre, ni de travailler uniquement avec des gens de ma génération. Quelqu’un comme Chabrol m’a appris à me détendre, à aborder ce métier différemment.  »

Sans £illères, mais plus encore avec une indispensable distance:  » Il ne faut pas toujours accorder trop d’importance aux choses. Et se méfier des certitudes: on n’est jamais sûr de rien, il faut se remettre en question régulièrement, essayer d’avoir des approches différentes. Evitons d’être trop sûrs de soi: le doute fait beaucoup plus avancer que les certitudes.  » Etat d’esprit qui permet aujourd’hui à Benoît Magimel de naviguer, avec un égal plaisir, de Michel Houellebecq à Barbet Schroeder, de La possibilité d’une île à Inju.  » Je me sens désormais plus serein par rapport à ma place dans le cinéma français. C’est pour ça que j’ai eu envie de tourner le film de Michel Houellebecq – être là uniquement à son service. Gérard Depardieu avait fait la même expérience avec Marguerite Duras pour Le Camion . Arrêtons avec cette politique du succès, il y a de tout au cinéma.  »

Le cinéma n’est pas un passe-droit

Inju, justement, s’avère un objet de cinéma tout à fait singulier.  » Au début, j’avais fait une lecture assez simpliste du scénario, celui d’un thriller, d’un simple film de genre. Mais avec Barbet Schroeder, cela ne peut pas être aussi simple, forcément. Il y a des lectures différentes, débouchant sur l’envie de découvrir des choses…  » Du reste, l’expérience du tournage elle-même aura déjà été fertile en découvertes:  » Travailler au Japon est extrêmement complexe. Pas sur le plan technique – on fait des films de la même façon partout dans le monde -, mais parce que tourner à Tokyo demande énormément d’autorisations. Quand on tourne dans une rue, on doit demander l’autorisation à chacun des habitants. Il y a un tel souci et un tel respect de l’autre que l’on ne peut pas tourner comme l’on veut. Alors que partout, le monde s’arrête pour le cinéma et on vous déroule le tapis rouge, là-bas si quelqu’un arrive dans la rue où vous tournez, vous vous arrêtez pour le laisser passer sans lui demander de presser le pas. J’ai trouvé cela formidable. J’adore le respect, et cette société m’a beaucoup plu pour cette raison: le respect de l’autre passe avant tout. Le cinéma n’est pas un passe-droit ou, en tout cas, ne devrait pas l’être.  »

Star mais lucide, Benoît Magimel. Zen, également, jusque dans sa façon d’envisager son travail d’acteur:  » C’est un métier qui pousse à la connaissance de soi – on s’intéresse à l’être humain, à la nature humaine et à ses contradictions. Comme la psychanalyse, c’est un métier qui ouvre à la connaissance parce qu’on doit faire le travail de comprendre nos personnages. Et je pense que cela impose la tolérance aussi, parce qu’on a besoin de les aimer, aussi désagréables et antipathiques soient-ils.  » Un précepte d’application dans la vraie vie?  » Je crois. Plus jeune, j’étais très dur, très sauvage. Mais à un moment donné, on décide d’arrêter d’être con, et on essaie d’être un peu indulgent, de se méfier des apparences et des jugements hâtifs.  »

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