Titre - Beef
Réalisateur-trice - Une série créée par Lee Sung Jin
Quand et où - Disponible sur Netflix
Casting - Avec Steven Yeun, Ali Wong, Joseph Leee
Un simple accrochage vire au pétage de plombs puis à l’escalade obsessionnelle dans cette décapante série Netflix à l’insondable noirceur.
Au volant de leur véhicule, deux automobilistes sous pression frôlent le crash et s’invectivent sur le parking indifférencié d’un magasin de bricolage. Cette scène, d’une banalité affligeante, semble chaque jour vouloir encapsuler les frustrations et les colères de notre époque. C’est le point de départ, plus-familier-tu-meurs, de Beef (ou Acharnés pour la VF), nouvelle proposition Netflix cornaquée par Lee Sung Jin, producteur et scénariste vu notamment aux génériques des séries d’animation Undone et Tuca & Bertie. Sauf qu’ici, les choses ne vont pas en rester au simple stade des grossièretés et du majeur fièrement tendu. Insatisfaits et dépressifs, chacun pour des raisons très différentes, Danny (Steven Yeun, vu récemment dans Nope de Jordan Peele et l’excellent Minari de Lee Isaac Chung), un entrepreneur en galère, et Amy (la très mordante humoriste Ali Wong), une riche et talentueuse femme d’affaires, se lancent d’abord dans une course-poursuite absurde, rapidement avortée, dans les rues de Los Angeles puis dans une surenchère de mesquineries et de coups bas rageurs et revanchards. Soit le début d’un implacable bras de fer à distance qui les voit littéralement se consumer de haine…
Au bord de l’abîme
Il y a quelque chose du craquage total de Michael Douglas dans Chute libre (1993) dans le pétage de plombs en forme de sortie de route qui ouvre et irrigue Beef (terme qui pour les Américains ne signifie pas seulement “bœuf” mais aussi “grief”, “litige” ou “doléance”). Les nerfs en pelote et le cerveau proche de l’aliénation pure, ses deux protagonistes se débattent dans la douleur entre questionnements intimes et idées noires, se pourrissant la vie mutuellement dans une spirale infernale aux conséquences mortifères. Au carrefour de ces existences en pagaille farcies de petites jalousies et de grandes rancœurs, la série, sans jamais rien hystériser inutilement, observe ce qui se passe quand on s’abandonne à ses pulsions mauvaises. Fine étude de caractères ouvrant sur une dimension quasiment métaphysique, elle s’attache à remuer toute cette fange d’instincts putrides qui marine à l’intérieur, ces sentiments vils et honteux planqués sous le vernis des apparences.
Absolument dénuée de gras, Beef ose les virages à 180 degrés et gagne en puissance à mesure que défilent les épisodes, allant même parfois jusqu’à convoquer l’humour acide et déjanté des frères Coen période Fargo (1996). Cette plongée sans concession au cœur de la très composite communauté asio-américaine de Los Angeles offre en tout cas une vision amère et désenchantée du rêve américain, où tout le monde, gagnants comme perdants, finit logé à la même enseigne: celle d’un mal-être existentiel insidieux aux racines profondes. Au bord de l’abîme, donc, voire carrément tout au fond.
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