Rintarō, éditions Dargaud/Kana
Ma vie en 24 images par seconde
256 pages
Grand maître de l’animation japonaise (Albator, Astro le petit robot, Metropolis…), Rintarō sort sa première BD à l’âge de 83 ans. Rencontre avec une légende bien vivante.
Sa première BD? Pas exactement. Au début de sa carrière, Rintarō (Shigeyuki Hayashi) était animateur le jour et mangaka la nuit, grattant des planches dont il n’était pas fier pour arrondir son salaire. On l’apprend dans l’autobiographie Ma vie en 24 images par seconde, qui commence par une enfance dans le Japon d’après-guerre et relate comment Rintarō s’est retrouvé à épauler “le dieu du manga” Osamu Tezuka, à réaliser Albator (1978), à mettre le pied à l’étrier de Katsuhiro Ōtomo (Akira) dans l’animation… L’ouvrage n’est d’ailleurs pas un manga mais une BD à l’occidentale, conçue pour Dargaud et inédite au Japon. Le résultat, qui ne se lit guère pour sa plastique (le style adopté, rough et passe-partout, se rapproche volontairement du story-board), est raconté avec talent, parfois touchant, souvent passionnant.
Dans votre BD, vous parlez beaucoup d’Osamu Tezuka, le père d’Astro, mais très peu de Leiji Matsumoto, celui d’Albator. Étiez-vous proches?
Rintarō: On n’avait pas du tout les mêmes rapports professionnels. Leiji Matsumoto n’était que l’auteur du manga original, alors qu’avec Tezuka, on dessinait côte à côte la version animée d’Astro par exemple. À vrai dire, j’ai coupé des tas de passages à propos de Matsumoto ou d’auteurs comme Shōtarō Ishinomori (Sabu et Ichi), parce que je ne voulais pas m’attarder en enfilade sur toutes les œuvres sur lesquelles j’ai travaillé. Et puis sinon, la BD aurait été un sacré pavé. Mais j’ai des tas d’anecdotes sur eux! Si ma BD a beaucoup de succès et que l’éditeur veut faire un deuxième volume, je mettrai tout ça dedans (rires). Matsumoto n’était pas très bavard, mais quand il faisait vraiment confiance à quelqu’un, il l’appelait son “camarade de combat”. C’est comme ça qu’il m’a appelé, un jour, en me tapant les épaules, donc je pense qu’on avait une relation de confiance. Ce n’était pas facile: au départ, on s’était pris le bec parce qu’il n’était pas d’accord avec la façon dont je voulais adapter Albator en dessin animé. Finalement, on l’a convaincu et il n’est presque plus intervenu par la suite.
La BD se conclut sur la sortie du film Metropolis (l’adaptation d’un manga de Tezuka, NDLR) en 2001. Pourquoi?
Rintarō: J’aurais pu raconter mes 83 années de vie mais je ne trouvais pas ça très pertinent. Je voulais que la BD soit construite comme un film. Mon idée était de me concentrer sur ma carrière dans l’animation et Metropolis synthétise très bien mon parcours. J’ai commencé la réalisation avec la série Astro le petit robot (1963), avant de travailler sur différentes œuvres de Tezuka, qui m’ont beaucoup appris, puis d’enchaîner sur d’autres longs métrages. Arrivé à un certain âge, j’ai vraiment voulu “boucler la boucle” et revenir à Tezuka, pour faire des choses que je n’avais pas encore accomplies. Par ailleurs, mon père, qui m’avait donné le goût du cinéma, est décédé pendant la production de Metropolis. Dans la BD, je raconte la mort de Tezuka mais aussi et surtout celle de mon père. Pour moi, toute fin signifie un nouveau départ et je voulais que la fin de sa vie se trouve à la fin de ma BD.
Vous qui avez traversé l’histoire de l’animation nippone, comment avez-vous réagi à l’arrivée de nouveaux réalisateurs comme Hayao Miyazaki, Mamoru Oshii (The Ghost in the Shell) ou Satoshi Kon (Paprika)?
Rintarō: J’étais curieux des nouveaux films et formes d’expressionhttps://www.youtube.com/watch?v=m28qXxnp2GI&ab_channel=tchernomush. J’ai donc regardé la série Conan, le fils du futur (1978) de Miyazaki ou son Nausicaä (1984), tout comme je me suis intéressé aux premiers films d’Oshii ou de Kon. Je voyais des styles véritablement neufs et différents, mais je me disais à chaque fois que j’avais été un précurseur. Avec le film Galaxy Express 999 (1979), c’était la première fois qu’on concevait un film animé comme si c’était un film en prise de vues réelles: on avait travaillé sur le montage, alors que normalement on ne montait pas un film d’animation, et on avait conçu la musique comme s’il s’agissait d’un film live. Je pense que Miyazaki a pris un chemin différent, qu’il a voulu suivre la voie de Disney, celle de l’animation pure, tandis que pour moi l’animation n’était qu’un outil pour réaliser des œuvres cinématographiques. J’ai sûrement été le premier à le faire et différents réalisateurs m’ont ensuite suivi, comme Ōtomo, Oshii ou Kon.
Aviez-vous des rivaux?
Rintarō: Non, je ne sais pas ce que c’est, la rivalité. Je n’ai même jamais éprouvé de jalousie dans ce milieu. Il y a des gens de grand talent, qui ont créé des choses vraiment extraordinaires, comme Kon ou Ōtomo… Mais je n’en suis pas jaloux. Je les admire, point!
Avec Ōtomo ou d’autres confrères, vous partagez le goût de la destruction de Tokyo dans vos films! Pourquoi cette fascination collective?
Rintarō: (Rires) Je me le demande! Déjà, je ne peux pas le faire dans la vie réelle sans être accusé de terrorisme et arrêté, alors que dans un film j’en ai la permission! C’est vrai que quand je vois Tokyo ou des gratte-ciels, ça me donne envie de les détruire. Il y a un événement qui nous a tous bouleversés, c’était le 11 septembre et la vision des deux tours qui s’écroulent. À l’époque, on s’était appelés entre copains de l’animation: “T’as vu les images, c’est exactement le même mouvement que dans nos films…” Donc oui, c’est étrange mais il existe dans l’animation japonaise cette envie de destruction. En fait, toute chose matérielle finit par être détruite à un moment ou un autre. On le montre chacun avec notre style, on “détruit avec esthétisme”… C’est très agréable à réaliser. La destruction et la création sont intimement liées, c’est un peu la même philosophie que “toute fin signifie un nouveau départ”.
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