[la bd de la semaine] Olympia Kyklos, de Mari Yamazaki: la course des miracles
Mari Yamazaki, éditions Casterman
Olympia Kyklos - t. 1 et 2
200 pages
À coups de voyage temporel, d’olympiades et de regard sur le geste créatif, la brillante Mari Yamazaki (Thermae Romae) fait du mieux avec du vieux.
Elle appartient, avec Taniguchi (Quartier lointain) ou Urasawa (Monster), au club des auteurs de manga qu’apprécient les réfractaires au manga. Parce que ça ne ressemblerait justement pas à du manga. Enfin pas trop. Bien sûr, affirmer qu’il existerait « un » style manga, ce serait tout à fait ignorer l’immense diversité graphique et narrative du médium. Mais il est évident que Mari Yamazaki témoigne d’une sensibilité européenne très marquée, capable de séduire des francobelgistes endurcis. Cette sensibilité ne sort pas de nulle part: née au Japon, Yamazaki est partie vivre en Italie à 17 ans, où elle a étudié aux Beaux-Arts de Florence. Elle y a séjourné pendant dix ans avant de poser ses valises au Portugal, au Moyen-Orient ou aux États-Unis. Résultat: une artiste à l’oeuvre riche, avec une appétence particulière pour le monde transalpin, plutôt période antique mais pas seulement (Giacomo Foscari et son Italie pré-fasciste). En français, c’est avec Thermae Romae qu’on l’a découverte: un péplum comique à base d’allers-retours entre la Rome d’Hadrien et le Japon actuel, où l’architecte de thermes Lucius Modestus, involontairement propulsé entre les deux espaces-temps, s’inspire des inventions japonaises pour résoudre ses blocages. Prenez ce pitch, changez quelques paramètres, et vous obtenez Olympia Kyklos: Démétrios, peintre et athlète grec du IVe siècle avant J-C, atterrit de temps à autre au Japon, pendant puis après les JO de 1964, d’où il ramène des solutions à ses problèmes.
Un esprit sain dans un corps nu
On peut soupirer, regretter le copier/coller des concepts. Mais rapidement, l’excellence du titre s’impose. Plutôt que de simplement reprendre son idée, Yamazaki l’améliore – Thermae Romae était vite répétitif, ce n’est pas le cas ici- et l’emmène ailleurs, produisant un stimulant discours sur le sens (ou non) des compétitions sportives et sur l’expression artistique. À ce titre, le tome 2 (à paraître en juin) est une pure déclaration d’amour à l’écriture dessinée, qui met en parallèle la peinture sur céramique et le manga sixties, dont la force d’évocation gagne à être redécouverte. Vraiment, difficile de faire la fine bouche face à cet Olympia Kyklos également très drôle (irrésistible choc des cultures lorsque Démétrios court nu, à l’antique, poursuivi par les policiers motards nippons qu’il prend pour des bandits de grand chemin), émouvant et instructif: une oeuvre ultra complète, en somme, portée par une ligne lumineuse, économe et d’une justesse inattaquable. Tout au plus pourra-t-on avoir l’impression, par moments, de lire une sorte d’outil de soft power à la gloire du Japon, dans la mesure où Démétrios ne cesse de s’émerveiller de cette civilisation et d’y trouver la solution à tout problème. Mais quand on sait que la suite mettra en scène certaines figures historiques dont on taira le nom, tout grief s’efface et seule reste l’excitation.
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