Plusieurs fois primé au Japon, ce manga à l’écriture ciselée marie l’art du rakugo (spectacle humoristique traditionnel) à une comédie humaine intimiste.
Les mangas n’ont plus rien d’une niche. Selon les derniers chiffres de l’institut GfK, environ une bande dessinée sur deux vendue en France est d’origine japonaise. Comment prendre cette nouvelle? Chacun le décidera. Mais tout le monde constatera que l’offre a atteint une richesse vertigineuse. Ainsi, le lecteur avide de nouvelles expériences n’aura qu’à contourner, en librairie, les murailles des blockbusters plan-plan et les empilements de clones barbants pour découvrir nombre de trésors au charme plus discret. Ou plus complexe. Le Rakugo, à la vie, à la mort appartient à ceux-là. Publié entre 2011 et 2016 au Japon, auréolé de trois récompenses prestigieuses en ses terres (Prix du meilleur manga au Japan Media Arts Festival, Prix du manga Kôdansha, Prix culturel Osamu Tezuka en catégorie « Nouveau talent »), il nous arrive en cinq tomes au format double, dont le second paraîtra en ce mois de novembre.
Jouer n’est pas tuer
Années 1960. Kyoji, ancien gangster un peu paumé, sort de détention et ne pense qu’à une chose: devenir le disciple de Yakumo, un maître du rakugo dont il a découvert le jeu virtuose lors d’une représentation en prison. Problème: Yakumo ne prend strictement aucun disciple. Autre problème: Kyoji n’abandonnera jamais. S’installe alors une relation à la fois comique et touchante, autour de laquelle gravitent plusieurs âmes hautes en couleur comme Konatsu, la fille d’un maître décédé dans d’obscures circonstances… et qui accuse Yakumo de l’avoir assassiné. Voilà tout un entrelacs de relations humaines. Et en toile de fond, le rakugo, cet art menacé de désuétude, cette sorte de sit-down comedy en kimono qui peine à trouver un nouveau souffle. Une discipline par ailleurs si codifiée, si typiquement japonaise, qu’il y a de quoi réfléchir à deux fois, trois fois, mille fois avant de publier ici une oeuvre sur ce thème. D’où l’immense mérite de l’engageante traduction de Cyril Coppini, lui-même conteur rakugoka au Japon (l’un des rares Occidentaux dans ce cas), déjà derrière la version française du Disciple de Doraku, autre charmant manga sur le sujet qui était passé relativement inaperçu. Un sort qu’on ne souhaite pas voir se répéter avec Le Rakugo, à la vie, à la mort, qui a l’avantage de posséder un ton plus pop et avenant, enrobé d’une élégante touche féminine. La touche Haruko Kumota. Dans ses planches, la saveur provient -c’est son sel- du sens de la situation et de l’écriture fine des personnages et dialogues, ainsi que -c’est son piment- d’une ligne simple mais espiègle, qui trace des corps souples et à la délicate sensualité. Des épices, de l’humour, de l’amour. Une note de tragédie. En somme, un menu complet et gourmet.
Le Rakugo, à la vie, à la mort (tome 1)
Comédie dramatique. De Haruko Kumota, éditions Le Lézard noir, 304 pages. ****
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici