[la bd de la semaine] Dans le palais des miroirs, de Liv Strömquist: qui est la plus belle
Les années 60 ont sorti le 9e art de l’enfance et de l’adolescence boutonneuse pour arriver à l’âge adulte. Ne restait plus qu’à le confronter… aux femmes.
Depuis une bonne dizaine d’années, les autrices BD occupent le terrain de la revendication féministe et égalitaire. La plus fameuse d’entre elles ne vient pas du sérail franco-belge, ne sort même pas d’une école de dessin. Liv Strömquist nous vient de Suède où, ado, elle a assisté à une conférence sur le féminisme qui a bousculé sa vision du monde. Après des études en sciences politiques, Strömquist s’est employée à écrire des essais sous forme de fanzines d’abord, et de bandes dessinées par la suite. Toute son oeuvre, mis à part Grandeur et décadence qui parle de finance et des inégalités qui en découlent, tourne autour de la condition féminine au travers des relations amoureuses et des inégalités de genre. Au départ d’un exemple bien choisi, l’autrice développe son propos à coups de citations de philosophes, sociologues ou artistes, sans hésiter à faire de grands écarts dans le temps. Son analyse toujours très claire -merci la bande dessinée!- fait apparaître des choses généralement inattendues mais qui nous semblent, du coup, évidentes. Sous des dehors maladroits et brouillons -son dessin approximatif-, elle nous livre un travail scientifique toujours rigoureux, par ailleurs récompensé par l’Université Catholique de Louvain, qui lui a décerné un doctorat honoris causa en février de cette année.
De Sissi aux Kardashian
Il est question ici de l’image de soi. Au départ, il y a le compte Instagram de Kylie Jenner, soeur cadette des Kardashian. L’autrice s’interroge sur les réactions des internautes. Pourquoi la plupart des followers de la jeune femme expriment-ils plus un sentiment de frustration que de gratitude, alors qu’ils pourraient ressentir un sentiment de joie tel qu’éprouvé en regardant un beau coucher de soleil? Liv Strömquist décortique le processus en nous parlant de la théorie du « désir et de la rivalité mimétiques » du philosophe René Girard. Elle remonte à l’impératrice Sissi et à la compétition qui l’opposait à l’impératrice Eugénie, épouse de Louis-Napoléon Bonaparte. Les deux femmes se livraient bataille pour savoir qui était la plus belle et déployaient des stratagèmes pour maintenir leur apparence. Elle cite également la Bible, où la beauté n’entre pas en ligne de compte pour le mariage et remarque par ailleurs que l’évolution de la société a finalement permis au sex-appeal de devenir la qualité ultime. Elle nous parle entre autres de Marilyn Monroe, de Susan Sontag, de Zygmunt Bauman, revient aux Kardashian et repart avec Sissi. Bref, c’est ébouriffant, érudit et comme toujours mordant et drôle. L’UCLouvain ne s’y est pas trompée. Espérons que le prochain festival d’Angoulême non plus.
Dans le palais des miroirs
Essai. De Liv Strömquist, éditions Rackham, 176 pages. ****(*)
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