Thierry Smolderen et Jorge González réhabilitent le whodunit, courant classique du polar à l’anglaise, dans un étrange roman d’espionnage.
Prof de scénario et d’Histoire de la bande dessinée à l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême, coordinateur du master bande dessinée à l’université de Poitiers, essayiste et rédacteur d’articles pour des revues BD prestigieuses, Thierry Smolderen est un homme pour le moins occupé. Comme un bon professeur d’art, il a encore le temps d’éprouver la matière qu’il enseigne en écrivant des scénarios. Pas beaucoup, mais de qualité. Il nous entraîne ici dans un roman d’espionnage qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y est question d’un plan visant à éliminer le baron von Richtenbach, responsable de toute l’industrie d’armement du IIIe Reich. Cette tâche est confiée… à deux auteurs de romans policiers à succès de l’époque: l’Anglaise Margery Allingham et l’Allemand Ernst Bornemann, qui a fui le nazisme. Afin d’atteindre leur cible, les deux romanciers vont imaginer un stratagème leur permettant de se rapprocher du baron via son cercle d’intimes en excitant leurs passions, leurs croyances et en profitant de leurs points faibles.
Discrétion et mise en abyme
En bon Belge, Smolderen ne pète pas plus haut que son cul. Il n’en fait pas des tonnes, n’alourdit pas la narration sous une couche de savoir historico-scientifique. Si son récit est de facture plutôt classique, il arrive à ne pas verser dans la nostalgie primaire, tout en mettant en oeuvre une structure scénaristique centenaire: le whodunit. L’écrivaine Margery Allingham, moins connue que sa contemporaine Agatha Christie, était passée maîtresse dans l’art de ce type de roman policier mettant à contribution le lecteur qui, avec les mêmes indices que l’enquêteur de papier, tentait de résoudre l’énigme avant la fin du livre. Il crée par ailleurs une vertigineuse mise en abyme. D’abord, en faisant se rencontrer personnages fictifs et réels (on laisse le soin au lecteur de mener sa propre enquête); ensuite, en parsemant son récit de multiples énigmes: devinettes que Margery et Ernst s’échangent par courrier, résolution d’un crime « en chambre close » pour le scénario d’un film réalisé par un proche du baron, mort étrange d’un personnage clé du récit… Pour mettre tout ça en musique, le choix du dessinateur s’est porté sur l’Argentin Jorge González. Comme pas mal d’auteurs d’outre-Atlantique, le décor n’est pas son fort. Il pallie ce manque en développant une technique au pastel combinée à du collage. Cela permet à ses aplats monochromes d’acquérir une grande profondeur. Les différentes ambiances n’en sont que plus exacerbées, parachevant ainsi le caractère inquiétant et parfois étrange de ce Cauchemars ex machina.
Cauchemars ex machina
Espionnage. De Thierry Smolderen et Jorge González, éditions Dargaud, 128 pages. Parution le 14/01. ****
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