S. A. Cosby, éditions Sonatine
Le Sang des innocents
400 pages
Nouveau poids lourd du roman noir américain, S.A. Cosby situe l’action de son troisième opus, le fiévreux Le Sang des innocents, dans un Sud rural rongé par un racisme obscène.
En 2020 sortait le polar bien poisseux Les Routes oubliées, signé par un auteur né il y a un peu plus de 50 ans à quelques miles de Richmond, l’ancienne capitale de la Confédération sudiste, en Virginie, terreau de l’électorat de Trump. En 2021, ce solide gaillard qu’est S.A. Cosby livrait avec La Colère un roman toujours aussi noir mais plus engagé. L’Afro-Américain y racontait l’histoire de deux pères -l’un blanc, l’autre noir- partis en guerre contre les assassins de leurs fils, tués pour avoir vécu en couple et s’être aimés.
Ce début d’année voit débouler en français Le Sang des innocents, le nouveau roman de Shawn A. Cosby, adoubé depuis par Dennis Lehane et Barack Obama. Dans une petite ville du Sud profond (Charon), Titus Crown, premier shérif noir élu, a fort à faire face à la haine des Blancs. Lorsqu’un prof de lycée américain pur souche est abattu par un jeune Noir, la communauté se divise et se déchire dans un climat de haine inouïe. L’exploit n’est pas mince pour Cosby de décrire avec autant d’à-propos les cauchemars d’une Amérique qui s’apprête visiblement à élire une nouvelle fois Trump le 5 novembre prochain. “Si nous somme honnêtes avec nous-mêmes, concède S.A. Cosby lors d’un cordial et chaleureux entretien Zoom, et que nous voyons quelqu’un comme Trump pour ce qu’il est, il ne devrait pas gagner, mais je crains une flambée de violence de la part de ses partisans qui n’accepteront pas sa défaite.” Par contre, Shawn revendique haut et fort l’ancrage social et surtout politique de son dernier roman. “Les écrivains sont chargés d’écrire, de raconter des histoires. Écrire, c’est utiliser des situations imaginaires pour s’approcher au plus près de la vérité. Le Sang des innocents a vraiment été conçu sous un angle politique. Je pense d’ailleurs que tout art quel qu’il soit est un acte de protestation politique. Lorsque nous créons, nous montrons et exprimons au monde nos convictions politiques et nos émotions. Par contre, je ne suis pas certain que le lecteur souhaite qu’un livre ne contienne que les opinions politiques de son auteur. Le premier devoir d’un écrivain, c’est de divertir et de le faire à travers une histoire intéressante. Et à l’intérieur de celle-ci, vous pouvez utiliser un sous-texte politique pour parler de choses vraiment importantes, du moins je l’espère.”
Juste un mec normal
Ce n’est évidemment pas un hasard si dès le début de l’un des meilleurs romans américains de ce début d’année, le lecteur fait face à une tuerie dans un établissement scolaire. Pour l’écrivain, il s’agit avant tout d’expliquer pourquoi l’Amérique est devenue d’une certaine manière insensible aux fusillades en milieu scolaire. “C’est exact. Mais tout de suite, alors que vous pensiez que ça allait être un livre sur une fusillade dans une école, nous passons à quelque chose de complètement de différent. C’est en quelque sorte la façon dont nous procédons aux États-Unis. Nous avons une fusillade, quelques jours plus tard, nous passons à la suivante et nous devenons complaisants face à ce type de violence et c’est triste. Ça m’affecte de constater que nous sommes devenus si habitués à traiter la violence armée de cette façon. Nous n’essayons pas de résoudre le problème, nous l’acceptons. Simplement.”
On a beau connaître via des auteurs comme John Grisham, Greg Iles ou Wiley Cash -dont il n’est pas trop tard de mentionner l’excellent Les Ombres de Oak Island, sorti aux éditions du Seuil-, une certaine Amérique nostalgique de la guerre de Sécession et du Ku Klux Klan, c’est bien la première fois, à notre connaissance du moins, qu’un auteur imagine un shérif afro-américain dans une ville foncièrement raciste. “Les shérifs afro-américains ne sont pas nombreux dans les États du Sud, certes, mais j’en ai rencontré deux, dont l’un dans ma province natale. Il m’a beaucoup aidé à définir la façon dont Titus voit son travail et ses responsabilités. C’était essentiel à mes yeux que le lecteur comprenne que Titus ne prend pas son poste à la légère. Il est comme une espèce de chevalier qui veut défendre et protéger tous les habitants de sa ville, quels que soient les sentiments à son égard de ceux qui le détestent. Je pense que Titus est un personnage fort parce qu’il serait facile pour lui, en tant que shérif afro-américain, d’ignorer ses concitoyens blancs ou de ne vouloir protéger que les membres de sa communauté. J’espère que les lecteurs comprendront que Titus est vraiment un homme bon.”
Point de sentiment de revanche dans le chef de S.A. Cosby face à un succès aussi mérité que justifié. “L’écriture m’a aidé même dans les moments les plus sombres, quand je vivais dans ma voiture et que je n’avais pas un dollar pour m’acheter un café. Elle m’a aidé à m’ancrer et à me centrer et je mesure la chance que j’ai de vivre grâce à mes livres et de voyager pour les promouvoir. Vous savez, je ne me prends pas au sérieux. Je prends l’écriture au sérieux, oui, mais je suis juste un mec normal, a regular guy. C’est marrant parce que lors de dédicaces, des gens viennent, me tendent le livre à signer et ils sont agités, exaltés et je leur dit qu’il n’y a pas de quoi être excité. Je n’ai rien de spécial. Mon écriture est singulière, mes livres aussi, ça je peux l’entendre, mais moi…”
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