Banks Violette au BPS22: un monde qui s’effondre
Charleroi accueille la première grande rétrospective européenne consacrée à Banks Violette, artiste étasunien à la carrière secouée. Son esthétique binaire tranchée acte les phénomènes d’entropie.
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Cet anodin proverbe emprunté à la sagesse populaire pourrait bien être le fil rouge de The Bees Made Honey in the Lion’s Skull (2005-2023), l’exposition événement que le BPS22 de Charleroi dédie à Banks Violette (Ithaca, 1973). Ce délitement progressif d’un réel rongé par les forces qui s’exercent sur lui est probablement ce dont les hommes, dans leur immense majorité, ne veulent rien savoir. Pour leur plus grand malheur, l’œuvre d’une poignée de plasticiens n’en a cure: elle ne parvient pas à convoquer autre chose. Banks Violette est de ce cénacle, aidé sans doute en cela par un parcours chaotique -il a été d’abord tatoueur, puis a inscrit son nom au frontispice du marché de l’art, avant de tout quitter pour rejoindre sa ville natale dans le but de se sevrer de l’héroïne.
L’indice le plus concret de cette corrosion dont l’intéressé prend acte? L’omniprésence du sel au fil des salles de l’institution carolo. Et s’il fallait trouver un exemple particulièrement emblématique de l’obsession de Violette pour la décomposition, un détour par le vernissage de l’exposition, qui s’est déroulé le 9 février dernier, s’imposerait. Nul ne l’ignore, le lever de rideau sur un travail plastique prend toujours la forme d’un raout badin auquel peu de propos artistiques résistent. De manière habile, Banks Violette est parvenu à contourner cette anesthésie rituelle en faisant planer une insoutenable menace sourde au-dessus du pince-fesses. Une intimidation soulignée par le son étiré des enceintes flanquant l’installation Voidhanger (Twin Channel)/All Tomorrows Graves (2006).
Sous pression
Le cheval de Troie en question consistait en une œuvre composée de seize miroirs, Not Yet Titled/(Mirror Wall) (2007). Le principe? Une sorte de grand mur réfléchissant enserré par des vérins hydrauliques programmés pour faire éclater les vitres en trois heures de temps. Le tout non sans un certain risque pour les visiteurs: les éventuelles projections de verre imposaient à l’audience de se tenir à une distance respectable de la scène. On conviendra que ce n’est pas tous les jours qu’une œuvre peut ainsi péter au visage de qui s’en approche, une manière de rappeler concrètement que l’art doit peser de tout son poids sur le réel. Comme un écho, symptomatique de l’approche dialectique déployée par cet enfant terrible de la création contemporaine, une autre pièce, Pentastar (In the Style of Demons) 6.23.96 (2008) se découvre comme une manière de palissade de panneaux de bois sur laquelle Violette a appliqué une simple couche de résine époxy noire. Paradoxe, cette structure opaque se révèle in fine plus apte à refléter l’environnement immédiat que la vitre brisée. Il reste que cette dernière agit comme un kaléidoscope fécond. “Une vitre brisée m’intéresse en tant qu’événement, en tant que potentiel, en tant que processus. Je pense qu’il y a un plus grand potentiel -poétique, formel, intellectuel- dans la vitre brisée que dans la vitre intacte”, note de manière significative le plasticien dans le guide du visiteur.
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Toute la scénographie qui -refuse la couleur- est articulée selon un rythme binaire d’oppositions simples: noir et blanc, absence et présence, vie et mort, minimalisme et romantisme. Ce dernier antagonisme s’exprime entre autres à travers une série de lustres suspendus, des “thrones” -à mi-chemin entre le dispositif BDSM et l’univers formel de certains artistes conceptuels américains (Robert Smithson, Dan Flavin…)- ainsi que par des détails formels évoquant les représentations picturales d’un Caspar David Friedrich -on pense à ce cercueil brisé présenté dans Sunn O)))/Repeater (Decay/Coma Mirror) (2006) dont la structure angulaire renvoie, comme un double inversé, à Das Eismeer (1824), cette mer de glace sublimée par le natif de Dresde.
Il reste que ce qui fascine le plus dans l’œuvre de Banks Violette, c’est son recours aux sous-culture -le punk, le grunge et les différents genres musicaux issus du métal, à l’instar du drone metal ou du black metal. L’intéressé s’en sert comme un prisme pour interroger la société étasunienne en se demandant ce que ces contre-cultures disent du rêve américain. Ce qui est donné à voir, c’est la catastrophe et la violence implicite, susceptible d’être retournée contre soi, qui sous-tend les élaborations idéologico-symboliques. À ce petit jeu, Violette se montre percutant. Ici, c’est Not Yet Titled (Cobain Guitar) (2006) qui expose une reproduction pétrifiée et brisée, un geste de destruction indissociable de la panoplie underground, d’une guitare Fender dessinée par Kurt Cobain et, comme le rappelle Pierre-Olivier Rollin, le directeur du BPS22, “jamais commercialisée”. Un cliché? Violette assume: “Pour chaque centaine de fois que quelqu’un reproduit le geste chorégraphié d’une rock star qui pique une crise et casse sa guitare, il y a vraiment une fois où c’est transformateur. Cette exception est vraiment fascinante.” Plus loin, c’est Zodiac (F.T.U.)/74 Ironhead SXL (2008-2009) qui donne à voir une Harley Davidson Ironhead 1974, celle avec laquelle s’est tué l’artiste new-yorkais Steven Parrino, à la façon d’une métaphore rêvée d’un rêve américain étalé sur le flanc.
Enfin, on ne passera pas à côté de la magnifique série de dessins réalisés au graphite entre 2002 et 2023. En plus d’être impressionnants de précision, ils semblent résulter d’une impression numérique, ils opèrent ce renversement des valeurs cher à Nietzsche. Ainsi de ce portrait de Béla Lugosi, à jamais associé à la figure maléfique de Dracula, présenté sous forme de Christ souffrant.
the bees made honey in the lion’s skull (2005-2023), jusqu’au 05/05 au BPS22, Charleroi. ****
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