Bamako, l’Afrique, les migrants… Songhoy Blues entrent en résistance musicale

Aliou Touré: "Les gens veulent être libres, faire la fête. Ils en ont marre de la peur, ils veulent s'en débarrasser. Vivre leur vie comme à Paris ou New York". © JOSH CHEUSE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Protégés de Damon Albarn, les Maliens de Songhoy Blues invitent Iggy Pop et une chorale de mioches. S’ouvrent à la soul et au rap. Combat rock…

Quand il débarque avec un peu de retard (la faute à l’avion) dans les bureaux de sa maison de disques, chapeau sur la tête et sourire aux lèvres, Aliou Touré a la dégaine d’une rock star mais sans l’arrogance et l’attitude capricieuse qui l’accompagnent trop souvent. Tout en humilité, le discours malin et articulé, le chanteur de Songhoy Blues défend la cause malienne, revient sur son improbable parcours et décortique Résistance, deuxième album qui, après la révélation Music in Exile, varie les plaisirs. Les pieds sur terre et le poing levé.

Résistance

« Le but, c’était d’aller plus loin dans nos idées et dans nos combats. On s’est engagés à se battre pour quelque chose. à se battre pour un peuple qui réclame ses droits. Un peuple meurtri. Nous voulions poursuivre cette lutte musicale, aller jusqu’au bout avec nos textes. Ce n’est pas Songhoy Blues qui résiste, mais tout un pays. Nous ne sommes que des ambassadeurs, des messagers. Au Mali, on s’assied avec les amis et on débat des sujets d’actualité, des sujets quotidiens… Ça nous permet de recueillir les points de vue des uns et des autres. De savoir ce que le peuple pense de ce qui se passe chez lui mais aussi de ce qui arrive dans le monde en général. C’est ce message-là que nous transmettons. Quand les gens parlent, que ce soit à la télé, dans les trains ou les cabarets, leur état d’esprit est résistant, même si chacun résiste à sa manière… Sur chaque titre de l’album, un thème différent est traité. Mais dans chaque thème, il y a une forme de résistance. On marche surtout sur l’actualité, ce qu’on voit tous les jours. »

Bamako

« J’ai étudié le Droit à Bamako. Je ne me voyais pas avocat… Mais oui j’en suis peut-être un: celui, en musique, de la cause malienne. Dans la forme, le titre qui porte le nom de Bamako est un morceau d’ambiance qui fait bouger et invite à la fête. Mais c’est aussi une chanson qui résiste. « Samedi soir à Bamako sur ma moto. Il est 21 heures o’clock. Me voilà sur la route. Mais tous les restos et clubs de la capitale sont déjà sold out… » On décrit une beauté de la ville, et pas le faux reflet, inversé, qu’on a l’habitude de voir à la télé. Pour vous, Européens, Bamako est une zone rouge. On interdit même aux gens d’y aller. Trop dangereux? Nous, on dit que c’est faux, archi faux. On est en train de freiner drastiquement notre économie. Le tourisme dans un pays qui n’exploite pas de pétrole est fondamental… Un samedi soir, à Bamako, tout le monde est dehors. Tous les clubs sont ouverts, il y a de la musique live partout, les stations services marchent. Le DJ, le barman, les groupes, les commerçants…: tout le monde gagne son pain. Mais si on décrète un état d’urgence, ce même monde se retrouve au chômage technique. « Un seul arbre qui tombe, le bruit fait scandale. Mais la forêt entière qui pousse, on entend que dalle… » Les mauvaises nouvelles font plus de buzz que les bonnes. Nous, on invite les gens à se passer de ce qu’ils voient à la télé et à découvrir la réalité pour de vrai. Nos textes montrent l’évolution de la situation. Au début, on parlait du djihad, du coup d’Etat… Maintenant, les gens veulent être libres, faire la fête. Ils en ont marre de la peur, ils veulent s’en débarrasser. Vivre leur vie comme à Paris ou New York. Le 11 septembre était le plus grand désastre du XXIe siècle mais le monde entier continue de se bousculer aux portes des États-Unis. Pourquoi nous empêche-t-on à nous de vivre notre vie? »

Bamako, l'Afrique, les migrants... Songhoy Blues entrent en résistance musicale

Gao

« Toute la famille est à Gao. Ma dernière visite remonte à un an. J’ai été surpris au début: il y a des séquelles d’après-guerre, et beaucoup de militaires dans les rues. Du coup, il y a aussi beaucoup plus de bars, d’alcool, de drogues, de tout… Gao, c’est le front. Et ça a changé la mentalité des jeunes. Ça a créé beaucoup d’emploi: comme il y a des milliers de militaires, il faut des interprètes, des cuistots… Mais c’est comme une sucette, une tétine qu’on donne à un enfant pour qu’il arrête de pleurer et qui finit par se rendre compte que ce n’est pas du lait. Tous les jeunes bossent pour le compte des Nations Unies, mais ce n’est pas éternel: après, tout le monde retombera dans le chômage et ça engendrera une autre crise. La drogue est devenue monnaie courante: tout ce que tu peux imaginer… Ça voyage de gauche à droite. Gao est un carrefour. C’est la plaque tournante du trafic. J’ai vu à Gao des jeunes qui roulent et fument des ficelles dans la rue. Ça n’est jamais arrivé au Mali… Et quand un agent viendra à leur rencontre, ils lui diront: « Où étais-tu quand les Djihadistes nous occupaient? » Même les gosses n’ont plus peur de personne. »

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Bandits armés

« Il faut bouger, s’épanouir. Même les prisonniers font la fête derrière les barreaux… On n’a aucune raison d’avoir peur: c’est ça l’état d’esprit actuel, au Mali. Le Djihad en tant que tel n’existe pas: je préfère parler de bandits armés. D’inconnus. Parce qu’on ne sait vraiment pas qui est qui. Personnellement, j’ai quitté avant qu’ils prennent la région mais mes camarades ont vécu la situation. C’était atroce. Maintenant, ça ressemble à une espèce de guerre froide: chacun son coin. Et de temps en temps, un bandit vient faire exploser un truc ou agresser quelqu’un. Mais juste pour faire du buzz: il y a souvent plus de peur que de mal… Prendre un vol pour New York ou Bamako est plus dangereux que d’être sur le front à Gao… »

Iggy Pop

« Depuis la sortie de notre premier album, Music In Exile, on n’a pas arrêté de tourner. On est tout le temps sur la route. Ce qui nous a offert l’occasion de rencontrer énormément d’artistes et d’accumuler beaucoup d’expérience, via les musiciens dont on a fait la connaissance à travers le monde mais aussi via les cultures qu’on a explorées. Ça nous a aidés à élargir notre musique. En enregistrant le morceau Sahara, Tim, du label, a suggéré d’inviter quelqu’un. On connaît Iggy, on connaît son histoire: c’est vraiment un emblème. « Quoi? On peut avoir Iggy Pop? Dans un studio, ensemble? » Bon, ça, fallait pas trop rêver non plus. Finalement, il a fait ça de chez lui. Mais quand on a entendu le résultat, on était sûrs que c’était bien Iggy… On va essayer d’être un jour sur scène ensemble. C’est vraiment une icône du rock, tu ne peux qu’être fier de l’avoir sur ton disque! Au Mali, ceux qui le connaissent ne vont jamais nous croire. « Non non non. Vous avez fait un montage. Vous avez piqué sa voix sur une autre chanson. » Ils vont vouloir des photos… »

L’Africa « Damon Albarn » Express

« Après un an dans les clubs et cabarets de Bamako à jouer toutes les nuits, à courir les mariages et les baptêmes, on a voulu grandir un peu pour atteindre les médias: il fallait qu’on enregistre. On a été voir un oncle, Barou Diallo, qui avait été musicien de feu Ali Farka Touré. Il a un studio chez lui. On lui a dit: « Tonton, on veut une maquette. Pourriez-vous nous aider à l’enregistrer? » Et il nous a répondu: « écoutez fistons, Africa Express vient de passer. Vous devriez les contacter. » On ne connaissait pas. Pas plus que Damon Albarn, d’ailleurs. Quelqu’un est venu nous voir dans un cabaret, nous a inscrits sur la liste. Et après une semaine de spectacles, une quarantaine de groupes, on nous a appelés pour nous dire que Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs, qu’on ne connaissait pas non plus, voulait travailler avec nous. On a joué Soubour. Il a pris sa guitare et nous a accompagnés: on l’a mis en boîte en trois prises. Quand Damon l’a entendu, il a décidé de nous emmener à Londres. à Bamako, on entendait les gens crier « Damon, Damon! » Mais on ne savait pas qui il était parmi tous ces Blancs… Après, on a eu l’occasion de découvrir Blur, d’entendre sa musique, de découvrir son histoire… De le rencontrer et de visiter son studio. Damon et son projet sont un défibrillateur pour la musique malienne: sans des projets comme celui-là, les artistes sont morts médiatiquement. Il a atterri avec plus de 100 personnes en pleine crise. Imaginez-vous, en 2012-2013. Quand ça partait dans tous les sens… Chapeau! »

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Rap

« Pour Mali Nord, on a pensé à tous les réfugiés qui survivent dans les pays limitrophes, en dehors du Mali. Au Burkina, au Niger, en Algérie, en Mauritanie… Des milliers d’enfants n’y ont pas accès à l’éducation, aux soins… Même pas à la bouffe et à l’eau potable. On a voulu en parler pour que les gens prêtent attention à leur situation. Ils se retrouvent dans l’obligation de s’aventurer pour trouver leur eldorado quelque part dans le monde. Or, cet eldorado est souvent un mirage: certains se retrouvent au fond de l’océan, d’autres meurent dans le désert. Les Nations Unies aident, mais les gens ne peuvent pas continuellement rester dans la mendicité et l’assistance. Personne ne peut être éternellement notre Père Noël… On a invité Elf Kid, un jeune rappeur londonien de 21 ans qui oeuvre beaucoup pour l’Afrique dans ses textes. C’est un Panafricain, on peut dire. Le côté hip hop confère à ce morceau un aspect plus militant encore. »

Soul

« Yersi Yadda, ça veut dire on n’est pas d’accord. Au Mali, les gens viennent avec des armes pour réclamer une part du gâteau, du territoire. Et quoi? Si toutes les ethnies réclament la même chose, on va diviser le Mali en combien de parties encore? C’est absurde. Ce n’est pas la bonne formule. Si tu tues le fils, l’oncle, le filleul de quelqu’un, le père, le neveu, le parrain voudront toujours se venger. Il faut dialoguer, parler… Et puis, cette chanson a une couleur plus soul. On écoute de tout. Personnellement, beaucoup de reggae, de rock, de blues, du hip hop aussi. Ça a commencé avec la musique malienne pure et puis le rap en fait. C’était la radio et les cassettes avant l’explosion d’Internet. Le Web a été déterminant pour la musique malienne: on vit dans une démocratie fictive là-bas. Une démocratie où la plupart des musiques engagées sont censurées par les médias. Pas de radio, de télé pour les textes que les politiques censurent. Internet nous offre accès à tout. Aussi en ce qui concerne la musique, d’ailleurs. »

They Will Have to Kill Us First

« Johanna Schwartz (réalisatrice américaine du documentaire They Will Have To Kill Us First, NDLR) est partie en quête de témoignages au Mali pendant la crise. La musique bannie quelque part: les gens n’avaient jamais entendu ça. Ça a frappé les esprits. Des coups d’État et des rébellions, il y en a partout, mais ça, ça a secoué pas mal de gens. C’est comme ça que la dame est arrivée au Mali et a rencontré des musiciens pour tourner le documentaire. Et nous on venait juste de rentrer de Londres après notre premier voyage. Pourquoi interdire la musique? Ces gens se camouflent derrière la religion et des raisons qu’eux-mêmes ignorent. Vous savez, c’est la jeunesse, ulcérée, qui a chassé les Djihadistes: pas l’armée. Des soldats sont intervenus. Mais des Français, quand ça avait dégénéré. La jeunesse à un moment donné, ça pète. Et donc, cette nervosité se manifeste dans la musique. Dans la guitare. à deux ou trois heures du mat’, dans un club, tout le monde est bourré, tout le monde est debout… Le musicien est obligé d’être avec les gens. Ça amène une sorte d’énergie dans la musique. Au nord du Mali, c’est plutôt blues. Donc avec basse, batterie, énergie, distorsion, ça devient automatiquement du rock. »

The chorale

« Le morceau One Colour est né dans un aéroport. Du fait d’y être traité différemment: dans une queue de 300 personnes, on est régulièrement les quatre seuls Dark… On se demande souvent si notre couleur de peau et notre passeport compromettent notre dignité, notre identité, notre réputation. On nous contrôle spécifiquement. Musulmans? Maliens? Vous allez où? Vous faites quoi? On a raté tellement de vols… Pourquoi? Parce qu’on est noirs, musulmans, parce qu’on vient d’un pays en guerre, d’un pays pauvre? Il fallait un jour en parler dans une chanson. On a jugé nécessaire d’amener des enfants sur ce titre parce qu’ils ne connaissent pas ces différences, ils ont un esprit sain. Ils viennent de l’école française de Londres, ils ont entre 8 et 11 ans et sont de toutes les couleurs. On a enregistré ça dans leur classe. Et leur prof de musique joue du saxo sur trois morceaux de l’album. »

Songhoy Blues « Résistance »

Bamako, l'Afrique, les migrants... Songhoy Blues entrent en résistance musicale

Distribué par Transgressive Records/Pias. ***(*)

L’image de la musique africaine engluée dans la tradition et la variétoche, très peu pour les rockeurs globe-trotters de Songhoy Blues.

Sur son deuxième album, le groupe malien joue avec la soul et le funk (Yersi Yadda), invite l’Iguane (Sahara) et se lance dans le rap (Mali Nord) tout en honorant ses racines (ah, ces sonorités mandingues et touarègues) et en poursuivant le combat. Un combat rock, une résistance musicale qui se terminent -message d’espoir- avec une chorale de gamines et gamins (One Colour). Songhoy rules…

Le 8/07 aux Ardentes (Liège).

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