DÉFENSEUR DU PATRIMOINE, GARDIEN DE LA TRADITION, POKEY LAFARGE MET LE JAZZ DE LA PREMIÈRE HEURE, LES STRING BANDS, LE COUNTRY BLUES ET LE WESTERN SWING À L’HONNEUR. VOYAGE DANS LES ROARING TWENTIES. LE 14/11 À L’AB.

A l’image de ses albums, il semble tout droit sorti d’une machine à remonter dans le temps. Un voyageur qui n’aurait pas eu l’occasion de se changer, encore fringué et looké, le cheveu plaqué et gominé, comme au début du siècle dernier. Né à Bloomington, dans l’Illinois, il y a 30 piges, et installé à Saint-Louis, Missouri, Drew Heissler, nom de scène Pokey LaFarge, est un ardent défenseur de la roots music américaine et un personnage pour le moins singulier et décalé dans une industrie ignare, amnésique ou poussiéreuse quand il s’agit de retourner au-delà des années 50…

Pokey, c’est le pré-rock’n’roll. Le jazz des origines, les string bands, le western swing et le country blues… Une plongée en apnée dans les années 20 et 30. Une immersion dans les Roaring Twenties (les années vrombissantes) et la décennie de la Grande Dépression certes, mais pas seulement. S’il adore Jimmie Rodgers, Bob Wills, Bing Crosby, Emmett Miller et Louis Armstrong, LaFarge admire aussi un Lefty Frizzell, un Merle Haggard ou un Tom Waits. « Frizzell est mon chanteur country préféré de tous les temps. Un songwriter exceptionnel… Et il a commencé à enregistrer en 51, raconte l’anachronique LaFarge dans les coulisses du Pukkelpop. Je n’ai jamais été fan de musique moderne et je n’ai jamais apprécié la merde que nous vendent les médias de masse. La pop culture m’a toujours semblé artificielle. Déjà gamin, j’étais en quête d’artistes plus vrais, de choses plus profondes. »

Heissler a été exposé à la musique dès son plus jeune âge. Sa culture, il la doit en partie à l’un de ses grands-pères membre du St. Louis Banjo Club. Puis aussi au patron d’une pizzeria où il avait ses habitudes.

« J’ai découvert très tôt le blues et le bluegrass. C’était pur, c’était honnête. Et pas seulement: c’était aussi de la musique américaine. Je me suis tout de suite senti concerné. » Parce qu’il y a chez Pokey LaFarge une vraie fierté d’être américain. Une farouche envie aussi de combattre les idées reçues -et elles sont nombreuses- relatives à son pays. « Il n’est pas faux que beaucoup d’Américains sont gros, glisse-t-il avec humour. Mais si nous l’étions tous, nous ne raflerions pas la moitié des médailles aux Jeux Olympiques d’hiver comme d’été. Personne ne semble réaliser que les Etats-Unis ne sont comparables à aucun autre pays au monde. Ils sont tellement grands géographiquement, tellement vastes dans leur diversité. Les étrangers basent leur opinion sur l’avis et les stéréotypes de touristes de 50 ou de 60 ans qui n’en ont rien vu. »

Un monde de bois et de briques

Ses chers Etats-Unis, Pokey LaFarge les connaît. Il les a explorés en long, en large et en travers via le prisme de la littérature américaine dont il est fanatique -« avant que mon monde devienne celui de la musique, j’écrivais et rêvais de devenir auteur« -: les récits de Kerouac, de Mark Twain et de son écrivain préféré John Steinbeck: « Quand tu ouvres un de ses bouquins, la première chose qui s’en dégage, c’est l’authenticité. Il a vécu cette vie. Il ne se l’invente pas. Ce que l’on peut aussi affirmer des grands de la country, du blues et du folk. »

Pokey a énormément bourlingué aussi, pour avoir toutes ces histoires à partager. Son diplôme en poche, il a fait du stop à travers les Etats-Unis. Gagné sa croute en jouant sur les routes, les trottoirs et dans les piétonniers… « J’ai expérimenté ce que je raconte dans mes chansons. C’est ce qui les légitime. Voyager m’a aussi permis de comparer et d’expertiser. »

Dans un monde où la quantité a pris le dessus sur la qualité, où tout est jetable, où les industriels construisent volontairement des équipements à durée de vie limitée, Pokey LaFarge fait du bien par où il passe. Le retour aux racines qu’il symbolise est lié à deux concepts fondamentaux: l’identité et le savoir-faire.

« Dans le temps, tu pouvais dire dans quelle région voire dans quelle ville tu te trouvais sur base de ce que tu entendais. Aujourd’hui, tout se ressemble. On vit dans un monde globalisé. Avec un ordinateur, tu as accès à tout ce que tu veux… Il y a un problème d’authenticité. Les choses ne viennent plus des mêmes endroits qu’avant et surtout, c’est lié, elles ne reposent plus sur le même savoir-faire.  »

Or LaFarge, il veut du solide et du durable. Enregistrer et écouter de la musique de qualité. Manger des aliments et porter des vêtements qui le sont tout autant.

« Je me suis toujours fringué comme aujourd’hui. En tout cas, je le fais depuis longtemps. C’est venu avec la musique je suppose. Le musicien imite ses héros. Tout ce que je porte est fait aux Etats-Unis. Je n’enfile rien qui soit fabriqué par des gosses en Chine. Encore ce combat contre la production de masse. Puis aussi contre une certaine forme d’esclavagisme en Asie. Sans me voiler les yeux sur le fait qu’on y avait recours chez nous dans le temps… Certains des trucs que je porte ont été faits expressément pour moi en Amérique. Et ils peuvent durer 100 ans. Avec tes t-shirts chinois, tu fais deux mois. Ça n’a aucun sens à mes yeux. C’est la même chose avec les maisons. Je veux du costaud… Pas une baraque en kit. Je ne veux pas vivre dans un monde en plastique. Mon monde à moi est fait de bois et de briques. »

White Label

LaFarge n’est pas qu’un passionné de musique à la culture pointue. Il est aussi féru d’Histoire. Un héritage de son autre grand-père, qui lui a raconté tout ce qu’il savait sur la Guerre de sécession et sur 40-45. « Je m’intéresse énormément à l’origine des gens. Parce que ça dit beaucoup plus de ce qu’ils sont aujourd’hui que ce qu’ils veulent bien reconnaître. Tout ce que nous avons et savons là, maintenant, à la seconde, toi comme moi, vient du passé. C’est la base de tout apprentissage. Il y a tellement de gens qui s’escriment et s’épuisent à le négliger, à le rejeter, à volontairement l’oublier à cause de toutes les mauvaises choses qui sont arrivées… Malheureusement, ils tirent par la même occasion un trait sur toutes les bonnes. Moi le passé, j’ai choisi de l’embrasser. Pour ma propre culture générale mais aussi afin de repérer ce qu’on devrait en conserver. »

Il en est persuadé: de plus en plus de gens aux Etats-Unis s’y intéressent aujourd’hui et regardent dans le rétroviseur, fatigués par notre monde globalisé. « Ils sont lassés de cette production de masse insatisfaisante et envahissante. Beaucoup de gens pensent qu’on fait des bières de merde chez nous mais c’est parce qu’ils n’en connaissent que deux ou trois. Celles qui sont distribuées partout. Or, il y a des milliers de brasseries aux States. Je m’aventurerais même à dire qu’on a les meilleures bières du monde. Tout doucement, on prend conscience de notre patrimoine. On protège nos vieux bâtiments. On met en valeur notre bonne vieille musique. Mais elle n’est pas de retour: elle n’a tout simplement jamais disparu. »

Effet O Brother?

Son dernier album en date, le cinquième, LaFarge l’a sorti sur le label d’un autre historien et artisan. Ardent défenseur des racines de la musique américaine. En l’occurrence chez Third Man Records, la petite et solide entreprise de Jack White… « Il y a une station de radio à Nashville: WSM. Elle a pratiquement 90 ans maintenant. C’est la chaîne la plus influente en matière de country. Celle qui a lancé The Grand Ole Opry, qu’elle programme encore aujourd’hui. La plus vieille émission de l’Histoire de la radio américaine. Lors des nuits les plus dégagées, les gens pouvaient déjà dans le temps entendre Jimmie Rodgers, la Carter Family, et toute cette musique country partout à travers le pays. Jusqu’au Canada. Enfin bref, en l’écoutant, Jack est tombé sur moi et il m’a passé un coup de fil. »

Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. « Il est beaucoup plus bruyant que moi. Mais on a, c’est vrai, une approche relativement similaire de la musique. Nous ne faisons aucun compromis avec qui que ce soit. Même si ça en fout certains en rogne. On ne vit qu’une fois non? Autant faire les choses correctement et comme on l’entend. On aime aussi tous les deux une musique brute. Mais il est bien plus puriste dans la manière d’enregistrer, je dois l’avouer. Je me fous d’adopter quelques technologies digitales. Jack, lui, ne veut pas entendre parler de tout ça. »

Pokey LaFarge n’est pas le seul à se passionner pour la musique de l’entre-deux-guerres. Australien né à Katherine en mars 1974, le guitariste, joueur de banjo, songwriter et raconteur CW Stoneking est lui aussi doté d’une connaissance encyclopédique du blues, du jazz, du hillbilly et des chansons de vaudeville qu’il honore dans ses disques.

Pour certains, le O Brother, Where Art Thou? (2000) des frères Coen a participé au phénomène. A ce regain d’intérêt pour les années 20 et 30. « D’une certaine manière, il a établi une référence moderne à laquelle les gens ont pu se raccrocher. Ce qui était sans doute utile pour tous ceux qui ne connaissaient pas ce genre de musiques auparavant, concède LaFarge. Mais malheureusement, il a aussi suscité des amalgames et des raccourcis. A un moment donné, on nous a, nous les musiciens qui sonnent plus ou moins comme à l’époque, tous catalogués « O Brother« . Alors que je ne ressemble définitivement à aucun des artistes qui figurent sur sa bande originale! Si le film a familiarisé pas mal d’oreilles à des choses qui leur étaient inhabituelles, je n’ai guère l’impression que les spectateurs aient été beaucoup plus loin que ça, qu’ils aient fait des recherches susceptibles de diversifier un petit peu leur univers, de les ouvrir à ces pans entiers et trop méconnus de la musique américaine. »

Petits Belges qui aiment le banjo et l’harmonica, le vieux folk et le bluegrass, les Little X Monkeys apprécient la spontanéité, le côté direct, sans fioriture ni tricherie qui régnaient dans le temps. « Trop d’artistes aujourd’hui abusent d’arrangements studio, note François-Xavier Marciat. Il est de plus en plus courant d’entendre en radio des voix complètement transformées au mix par exemple. Une approche qui plait à certains mais n’est pas reproductible en concert sans l’aide de machines numériques ou autres bidouillages. L’omniprésence de ce type de musiques a peut-être suscité un retour aux sources. »

Comme le contexte actuel peut favoriser le besoin d’écrire et d’écouter des choses simples et vraies… « On ne baigne plus dans le climat euphorique et insouciant des années 80 et 90. Finalement, il y a peut-être plus de similitudes entre ce que l’on vit aujourd’hui au quotidien et le début du siècle passé. »

POKEY LAFARGE, DISTRIBUÉ PAR V2.

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LE 14/11 À L’ANCIENNE BELGIQUE.

RENCONTRE Julien Broquet

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