L’info n’a pas fait deux lignes dans les canards. Et pourtant, elle est le symptôme d’une rupture de civilisation majeure. Oui, carrément. Encyclopædia Universalis, la Rolls des ouvrages de référence qui avait presque réponse à tout avec ses 30 volumes écumant le savoir mondial, celle que tout bibliophile digne de ce nom se devait de parquer dans son salon pour autant qu’il en ait les moyens et la place, sort une ultime version imprimée avant de continuer l’aventure en mode dématérialisé. Elle ne fait en réalité qu’emboîter le pas à sa grande soeur Britannica qui avait déjà pris cette décision radicale en mars. Pas de quoi arracher ne fût-ce qu’un soupir aux ados collés à l’écran de leur smartphone et qui ont enterré le livre depuis longtemps. Ce ne sont pas les écolos qui sont venus à bout de cette cathédrale de feuilles dont chaque exemplaire devait coûter une forêt nordique. Mais bien la révolution technologique. Face à la concision numérique, qui permet de faire tenir la bibliothèque entière sur un simple disque, face surtout à la concurrence gratuite et participative du Web en général et de Wikipédia en particulier, l’édition papier n’a paradoxalement pas fait le poids. Bientôt au tour des dictionnaires? En attendant celui de la presse et des romans? On aimerait ne pas croire les Cassandre qui annoncent la fin de l’ère Gutenberg mais on sent bien que le vent tourne. A coups d’innovations séduisantes et sous la pression des digital natives, qui ont déjà le CD musical à leur tableau de chasse, les mentalités se font rapidement à l’idée de troquer un fétichisme contre un autre. Celui des objets singuliers contre celui d’une tablette magique donnant l’illusion de tenir le monde dans ses mains. Même des lecteurs de toujours, amateurs d’art de surcroît, donc sensibles à la forme et au toucher, commencent à s’étonner qu’on puisse conserver par milliers ces encombrantes reliques d’un autre temps quand le Kindle ou le Kobo n’en font qu’une bouchée. La chute de l’empire encyclopédique est un symbole important dans la guerre des deux mondes. Car jusqu’ici, sur le front imprimé, les troupes faisaient de la résistance. Il y avait bien ici et là des brèches, notamment du côté de la presse, quelques batailles perdues aussi mais pas encore de défaite irréversible. La perte de cet outil unique en son genre, héritier d’une longue tradition de transmission du savoir, est donc un coup dur. Attention, on ne tire pas sur les joujoux numériques pour le plaisir -on avoue même un petit penchant geek-, on redoute juste cette lame de fond qui confie l’ensemble de la chaîne culturelle à une interface désincarnée, le Web, dont l’enveloppe est poreuse, et l’existence à la merci de la fée électricité. Un virus féroce ou une panne générale et c’est la planète entière qui perd la tête. Ce jour-là, qu’on ne souhaite évidemment pas, ceux qui auront résisté aux sirènes du tout-numérique, et gardé quelques livres sous le matelas, auront encore de quoi se nourrir l’esprit. Et même se chauffer si besoin!

PAR LAURENT RAPHAËL

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