Dans un milieu généralement enclin à arrondir les angles, rencontrer Emmanuelle Seigner a assurément quelque chose de rafraîchissant; le genre à dire franco ce qu’elle pense, le tout servi à point et accompagné d’un grand rire. Un exemple? L’interroge-t-on sur ce que lui apporta Godard, le premier à lui proposer un vrai rôle, en 1984, dans Detective, qu’avait tout juste précédé une apparition dans L’année des méduses, qu’elle vous répond, sans ambages: « Je ne me suis pas très bien entendue avec lui. Il m’énervait, ses films, ce n’était pas du tout mon truc. Je l’ai rencontré dans un hôtel, il m’a engagée tout en étant assez horrible avec moi, n’arrêtant pas de me faire comprendre qu’il m’avait choisie à cause de mon physique. Après, il a écrit un livre où il me prédisait une grande carrière dans les films pornos, ce qui était vachement sympa. Ce n’était pas une bonne rencontre, à part que ça fait classe, sur un CV, de commencer sa carrière avec Jean-Luc Godard. »

Chez les Seigner, on est acteur depuis plusieurs générations, lignée entamée par un grand-père sociétaire de la Comédie française, et poursuivie par une tante, le virus se propageant ensuite de soeur en soeur -Mathilde, pas vraiment langue de bois elle non plus. Et puisqu’elle avait cela dans le sang, Emmanuelle s’est employée à apporter un démenti cinglant au plan de carrière que lui avait taillé le réalisateur de Vivre sa vie, sa filmographie égrenant les noms de Michel Deville, Julian Schnabel, Dario Argento, Jerzy Skolimowski ou, bien sûr, Roman Polanski, dont elle partage l’existence en plus d’avoir tourné trois films avec lui, et bientôt un quatrième, Venus in Fur. Période faste d’ailleurs, que celle-ci, qui vient de la voir aligner des seconds rôles dans trois réussites incontestables des derniers mois: Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé, Dans la maison de François Ozon et L’homme qui rit de Jean-Pierre Améris. Dans ce dernier, l’actrice incarne une duchesse tentant d’attirer Gwynplaine, le héros de l’histoire, dans ses filets, en une déclinaison historique de la femme fatale. « C’est une salope, mais assez drôle, et cela m’a plu, assure-t-elle avec gourmandise. Il y a une souffrance, mais je trouvais le personnage marrant et un peu extrême, c’est ça que j’aimais bien. » Le reste est question d’affinités, en quoi la cinéphilie d’Améris a eu tôt fait de la rassurer: « Ses références, Freaks, Citizen Kane, c’est le cinéma que je préfère. En France, on a tendance à faire un cinéma très réaliste, très chiant, très laid souvent, et pour moi, le cinéma, ça doit faire rêver. C’est cela aussi qui me plaisait dans ce projet. »

Insatiable, Emmanuelle Seigner a aussi enregistré dans l’intervalle son troisième album en compagnie d’Adam Schlesinger, des Fountains of Wayne -« un disque très rock, limite punk, en anglais ». Juste retour des choses, pour une actrice dont l’idole d’adolescence n’était autre que Lou Reed, et qui confesse que « le truc le plus immense qui lui soit jamais arrivé » reste sa participation au Berlin de Julian Schnabel. On évoque ces actrices françaises venues à la chanson -les Mélanie Laurent et autre Lou Doillon- qu’elle rétorque Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson ou Juliette Lewis: « C’est un peu le même métier, chanter, jouer: c’est interpréter. Frank Sinatra était chanteur et acteur, Marilyn Monroe a chanté, même pour le président… » Emmanuelle Seigner s’en est, pour sa part, tenue à signer l’appel pour l’ancien président Sarkozy, un geste tout sauf anodin: « Je regrette beaucoup que Nicolas Sarkozy n’ait pas été élu, et dans cinq ans, je pense que je ne serai pas la seule, assume-t-elle. Je sais que dans ce métier, ils sont plutôt à gauche, donc voilà, ils vont tous me détester. Mais je m’en fous, je n’ai jamais été quelqu’un de lisse. J’ai toujours fait des choix du coeur, et pas pour faire bien, ni politiquement correct. Cela ne me dérange pas. » Mais cela, on l’avait deviné…

J.F. PL.

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