Serge Coosemans

Attaques à Paris: petits coeurs avec les doigts, pouces levés, message à l’humanité

Serge Coosemans Chroniqueur

À temps anormaux, détournement de chronique: plutôt que de descendre le cinéma US contemporain comme il l’avait prévu jusqu’à vendredi soir, Serge Coosemans vous invite cette semaine à vous asseoir et à la fermer. Pour votre bien. Crash Test S01E12.

Quand on est comme moi « saltimbanque médiatique spécialisé dans la sous-culture » bien davantage que chroniqueur avec un avis sur tout ou poule-pondeuse d’expertises sociales, jouer directement du pipeau après un tel drame que celui de Paris, sous un tel climat, est toujours délicat. Déjà, je ne peux décemment pas faire comme si rien ne s’était passé vendredi soir, délivrer ma petite chronique hebdo, culturelle, légère et trublionne, sans prendre en compte que le monde dans lequel nous sommes entrés avec pertes et fracas il y a 3 jours n’est pas, n’est plus, celui dans lequel nous vivions jusqu’ici. Oui, nous sommes encore descendus d’un étage ou de deux ou de dix en direction de l’enfer et non, je ne pense pas que si on arrête momentanément nos activités normales, les terroristes gagnent. Déjà, parce que dans une période traumatique comme celle-ci, il n’existe pas d’activité normale. Surtout dans les médias et sur les réseaux sociaux, où à l’horreur succède l’indécence; où le deuil, le recueillement, la dignité et la réflexion sont largement zappés (pas partout, bien heureusement) au profit du brouhaha débilitant, des vociférations démagogiques, du narcissisme maladif, du nationalisme réactionnaire et du militarisme bigot. Bref, l’acte de guerre est déjà devenu marchandise sur laquelle faire son beurre. Ce qui est à vomir.

Ma mission, en temps normal, est de vous faire marrer et de proposer sur ce site des réflexions un peu provocatrices, un peu borderline, parfois surjouées, ayant pour principaux sujets la pop-culture et les web-phénomènes. À temps anormaux, nouvelle assignation: détourner ce média de son usage premier pour délivrer un message de la plus haute importance. On dit souvent qu’un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche et je n’ai ce lundi qu’une seule envie: m’asseoir, me taire et me prétendre plus intellectuel que je ne le suis réellement; prétention que je n’ai pas en temps normaux, quoi qu’en pensent certains. Fermer ma gueule et ne pas vraiment dire pourquoi. Peut-être pour laisser monter l’inspiration et attendre le bon riff, l’argumentaire béton qui pourrait éviter au con qui marche et aux intellectuels qui galopent d’aller droit au casse-pipe; de nous y traîner par le col, surtout. Mais peut-être aussi en guise de protestation. Contre les médias, contre les réseaux sociaux, contre l’usage intempestif des smartphones en zones de guérilla. Contre les charognards de l’info, contre les dessins qui ne disent rien sinon l’amplitude de l’ego de leurs auteurs (coucou Joann Sfar). Contre les prières et contre les drapeaux, contre les pianistes s’appropriant Lennon. Contre les discours lénifiants, contre tous ceux « ne trouvant pas les mots » mais parvenant malgré tout les doigts dans le nez à placer 15.000 signes espaces compris ou 80 gazouillis sur Twitter. Contre Sarkozy, Mélenchon et Le Pen, pour qui tout drame est une trampoline. Contre BFM-TV, contre Morandini, contre toute la malhonnêteté, la bêtise et le narcissisme 2.0.

Stopper le terrorisme est une mission de barbouzes, de militaires, de flics et de politiques. Tenter de rester un minimum droit dans un monde de traviole, alors que tout vous invite pourtant à partir en sucette, reste par contre une affaire avant tout personnelle. Si je peux aujourd’hui servir à rappeler que cet enjeu-là n’est absolument pas négligeable dans un contexte désormais anormal, anxiogène et très probablement amené à devenir rapidement plus moralement tortueux encore que les années Bush-Blair, je n’aurai pas sacrifié un billet que je ne suis de toute façon pas parvenu à écrire sur la pop-culture, les web-phénomènes et les carambolages pour rien. Petit coeur avec les doigts, gros pouce levé, et à la semaine prochaine (ou celle d’après) pour une descente en flèche du cinéma contemporain hollywoodien.

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