Album - Le Monde réel
Artiste - Dominique A
Genre - Chanson
Label - Pias
Deux ans après Vie étrange, Dominique A sort le magistral Le Monde réel, nouvel album aux mélodies amples et concernées, et publie son premier recueil de poèmes.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, un aveu auquel on ne s’attendait pas forcément. “J’ai beaucoup de sympathie pour Clara Luciani. Elle est dans une forme de classicisme, aussi bien dans la mélodie que dans la voix, qui, moi, me rassure. Parce qu’il faut bien avouer que, sinon, j’ai vraiment l’impression d’être à côté de la plaque par rapport à la pop mainstream contemporaine (sourire).” Décalé, Dominique A? Paradoxalement, son écriture n’a jamais autant raconté l’époque – mouillant le maillot, au point d’oser intituler son quatorzième album, Le Monde réel. Musicalement, cependant, c’est une autre affaire. Avec ses paysages organiques et boisés, ce nouveau disque tranche en effet avec les productions saturées du moment: privilège d’un artiste qui a su s’aménager au fil du temps son propre espace de jeu…
On en parle un soir d’octobre, à Bruxelles, attablé dans un café Art Nouveau du centre-ville. Le lendemain, Dominique A fête son anniversaire. Alors, avant de repartir chez lui, à Nantes, les amis d’ici débarquent au compte-gouttes -Sacha, Philippe, etc. Contraste avec la discussion précédente: en 2020, l’échange avait dû passer par Zoom pour évoquer Vie étrange, disque enregistré en solo, “confiné” à la maison…
Deux ans plus tard, Le Monde réel en prend donc l’exact contre-pied. Réalisé au studio de La Frette -“un ancien manoir au nord de Paris, à l’esprit un peu fantomatique”-, il range les machines pour s’ouvrir sur de larges orchestrations. Autour de lui, Dominique A a rassemblé une bande de musiciens issus du jazz ou des musiques instrumentales. Le plan est clair: le matin, le chanteur amène ses compos au studio, les fait écouter aux autres, qui commencent à travailler dessus. L’après-midi, le morceau est monté, parfois directement enregistré. “Le groupe n’avait jamais joué ensemble. Sur Dernier appel de la forêt, par exemple, qui ouvre le disque, tout le monde est encore sur des patins. On entend la rencontre à l’œuvre, y compris dans les erreurs de jeu. La plupart voulaient d’ailleurs la refaire. Mais je sentais qu’on allait perdre quelque chose en route.”
Pour balises, Dominique A repense notamment aux brisures jazz du Laughing Stock de Talk Talk ou à l’ampleur de L’Imprudence de Bashung. “J’y trouve une spatialisation du son, un panoramique. Le fait qu’ils poussent les murs. J’aime aussi l’idée de déformater un maximum la chanson, sans pour autant la rendre artificiellement sophistiquée. En fait, il fallait que la musique soit bonne. Et si ça nécessite que je m’efface en tant que chanteur, ou que la chanson soit un peu moins “efficace”, pas de souci…”
Souffle de vie
En 2012, Focus confiait les rênes du magazine au chanteur. Qui avait profité de l’occasion pour “commander” un article autour de la poésie, se demandant si le salut du genre n’était pas “ailleurs qu’en poésie”. “Ce en quoi, j’avais tort”, rigole l’intéressé, dix ans plus tard. Comme tout le monde, Dominique A a en effet constaté “une résurgence de la poésie”, “une vraie appétence des gens” pour un format littéraire court et immédiat, “adapté à l’air du temps”. “En 20 secondes, tu peux être bouleversé par un poème. C’est encore plus rapide qu’avec une chanson!”
Lui-même a fini par franchir le pas cet automne. En même temps que Le Monde réel, est sorti Le Présent impossible, premier recueil de poèmes publié aux éditions de l’Iconoclaste. “Ils m’avaient contacté il y a un moment, mais je n’avais pas réagi tout de suite. C’est en sortant de la période d’enregistrement que je me suis retrouvé devant une sorte de vide. Que la poésie a comblé instantanément.” Elle est l’occasion d’une écriture plus intime, “parce qu’il n’y a pas la perspective, comme dans une chanson, de la chanter devant des gens, de manière très directe, et parfois répétée pendant plusieurs soirs de suite”.
Il n’empêche: impossible de ne pas lier les deux formats, tant l’un et l’autre se répondent. Parfois jusqu’à s’affronter. Amusant par exemple de lire le poète écrire “Je dresse un mur de livres face à la vie”, alors que le chanteur cherche de plus en plus à s’y confronter. “Pendant longtemps, l’art engagé m’a toujours semblé être une forme de fumisterie. Comment prétendre parler au nom du commun, alors que vous-même en tant qu’artiste, vous vous en extrayez? C’est quand même un peu gonflé…” Désormais, Dominique A ne fait pourtant plus l’économie de ses inquiétudes sur le chaos du moment -du dérèglement climatique (Dernier appel de la forêt) aux dérives existentielles d’une société saturée d’écrans (Nouvelles du monde lointain). En écoutant les préoccupations du Monde réel, on pense à celles de son copain Philippe Katerine, sur son album Confessions, grand disque absurdo-politique de 2019. “Ah oui? C’est marrant, tu es le premier à me dire ça… C’est vrai que le disque de Philippe m’a pas mal remué… Ce truc d’arriver à dire des choses sans être dans le discours politique, ça m’a interpellé. Je pense qu’on tourne tous les deux un peu autour de ça. Et qu’aujourd’hui, l’âge aidant, on a trouvé une manière d’assumer et de dire les choses, chacun à notre façon.”
Disque moral -mais pas moralisateur-, politique -mais “pas programmatique”-, Le Monde réel consacre l’envie de s’ancrer dans des paysages concrets, y compris en assumant “sa part de naïveté”. En associant aussi le geste -un disque enregistré en collectif – à la parole -“Nous n’irons loin qu’avec les autres”, chante-t-il. Et, surtout, en y insufflant toujours plus de musique. Au moment de célébrer les 30 ans (!) de La Fossette, premier album lo fi devenu culte, Dominique Ané n’a même jamais semblé à ce point immergé dans la matière sonore. Enchaînant les projets, comme épargné par l’usure. “Je vais dire un truc énorme… Mais… je me sens habité. Habité par la musique. Je fais par exemple aujourd’hui des choses que je n’aurais jamais fait il y a à peine cinq ans. Il y a un truc qui s’est ouvert. Je ne dis pas qu’à un moment donné, ça ne se refermera pas. Mais j’ai l’impression que c’est tellement lié chez moi à un souffle de vie, au sens littéral, que la fin de l’inspiration signifierait la fin de la… respiration. Donc je n’ai pas le choix (rires).”
Dominique A sera en concert le 02/02 au W:Hall (Woluwe-Saint-Pierre), le 03/02 au Centre culturel de Libramont et le 07/04 au Manège (Mons).
Le Présent impossible, éditions L’Iconoclaste/L’Iconopop, 128 pages.
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