Album - Protector
Artiste - Aoife Nessa Frances
Genre - Folk
Label - Partisan/Pias
Singer-songwriteuse ascendant dream-poppeuse, Aoife Nessa Frances retrace sa vie, son œuvre et la fabrication d’un deuxième album céleste.
Vendredi. 9 heures 30 du matin heure anglaise. Aoife Nessa Frances (McCarthy à l’état civil) est dans sa chambre d’hôtel londonienne. Elle a l’air un peu crevée, elle a passé la veille sur la route. Mais elle cause avec beaucoup de sincérité, d’enthousiasme et de disponibilité. La date est un peu particulière. Elle coïncide avec la sortie de Protector, son deuxième album. “C’est assez surréaliste mais ça fait du bien, avoue-t-elle de l’autre côté de l’ordinateur. Je trouve ça excitant. Un peu comme un jour d’anniversaire.” C’est elle pour le coup qui est venue avec le cadeau. Bien emballé, il renvoie en huit petits joyaux aux grandes heures et aux plus beaux timbres de la dream pop. Aoife Nessa Frances sonne comme la petite sœur d’une Hope Sandoval. Elle rappelle aussi Angel Olsen, Aldous Harding, Cate Le Bon… “Je les apprécie toutes, et la chanteuse de Mazzy Star m’a clairement influencée. Mais je suis surtout une grande fan de Nico. Sa voix. Sa manière de l’utiliser. Simple, vulnérable.”
La sienne est naturellement assez profonde. Aoife est née à Dublin en 1991. “Je suis une enfant des années 90. J’ai grandi près de la mer et cette ville m’est chère. Elle change beaucoup. Énormément d’espaces artistiques d’ailleurs disparaissent. Mais elle reste musicale et créative. Elle est remplie d’art, de poésie.” La poésie, tous les groupes irlandais qu’on croise, de Fontaines D.C. à The Murder Capital, en parlent. “Elle coule dans notre sang. J’aime beaucoup Samuel Beckett, les tournures de phrases de James Joyce.”
Aoife a grandi dans un environnement extrêmement musical. Son père est luthier et sa mère, actrice, grattait du Leonard Cohen et du Joni Mitchell sur sa guitare à la maison. “Ils nous ont toujours encouragés à créer, à jouer d’un instrument. Mon père est plutôt rock, ma mère clairement folk. Toutes ces influences m’ont bercée. Dans la famille de papa, de toutes façons, ils sont tous d’une manière ou d’une autre artistes. Tu trouves des peintres, des réalisateurs…”
Expérience spirituelle
Aoife est une cinéphile et a étudié le 7e art. Les Quatre Cents Coups, Bande à part, l’œuvre de Bergman… Elle évoque les vieux films qu’elle regardait adolescente, parle de leur beauté, des émotions qu’ils lui ont procurées. “Ce que tu absorbes à cet âge-là reste marqué en toi pour le restant de tes jours.” Extrait de son premier album, le titre Blow Up fait clairement référence à Antonioni et n’est pas qu’un clin d’œil. “J’ai vu le film pendant mes études. J’en regardais plein. Je m’adonnais à l’écriture automatique mais j’ai pu remonter le fil et me rendre compte que je réagissais sans doute à ce long métrage, dérangée par les relations entre les photographes misogynes et les mannequins. Il y a tellement de sagesse dans ton esprit et dans ton corps quand tu les autorises à s’exprimer. Ces pensées sont à l’intérieur. Il faut juste se laisser de l’espace pour qu’elles sortent.”
Si Aoife est passionnée de cinéma, elle est plus accro encore à la musique. Ado, elle a vu The Prodigy et Primal Scream en concert. James Brown, les Who et Kanye West en festival. Elle griffonnait les noms de ses groupes préférés sur les murs de sa chambre: Eels, Nirvana, les White Stripes, dEUS… “Je ne savais pas qu’ils étaient belges. C’est le deuxième CD que j’ai acheté de ma vie. Les parents super jeunes et cool d’une amie nous les ont fait découvrir en même temps que Sparklehorse, My Bloody Valentine, Sonic Youth…”
La jeune trentenaire irlandaise explique avoir travaillé dans un magasin de disques (Freebird Records) et des restaurants, puis aussi comme assistante personnelle dans le cinéma et la télé. Elle confie son admiration pour Patti Smith, la plus grande performeuse qu’elle ait jamais vue, dont elle admire la liberté. Et revendique l’influence des musiques répétitives, drony et expérimentales. “Le Velvet Underground, Neu!, Harmonia… C’est sans doute à cause de tout ça que je fais de longues chansons. Je suis vraiment intéressée par la méditation. J’aime me perdre. Je ne sais pas si les gens s’en rendent compte mais c’est omniprésent dans ma démarche.”
Protector a germé au printemps 2020. Quand Aoife est partie chercher le calme à County Clare, dans une région rurale sur la côte ouest de l’Irlande. “C’est une expérience intéressante que de devoir créer à nouveau après avoir sorti un album mais je ne cherchais pas tant à faire un disque qu’à écrire des chansons. C’était une manière d’exprimer et de traiter des sentiments qui m’avaient traversée. J’ai laissé les mots sortir. Puis je les ai mis en forme, sculptés.”
L’Irlandaise qualifie son écriture et son enregistrement d’expériences spirituelles. Protector reflète un changement dans sa vie et le rapport à ses proches. “J’ai ressenti un amour plus profond que jamais. La pandémie a peut-être accéléré les choses. On n’avait pas l’habitude de se parler et de passer du temps avec les gens de cette façon auparavant. Mais je partais déjà dans cette direction. Le suicide d’un oncle a changé ma famille et nous a rapprochés. On a vécu quelques expériences de perte. C’était triste mais beau.”
Aoife dit ne pas reconnaître la personne qui chante sur son premier album. “Sans doute parce que je ne la suis déjà plus. C’est une fameuse tâche que d’enregistrer un disque. Et j’ai tout mis dedans. Ma musique, c’est moi. Elle est extrêmement intime mais elle me permet d’avancer. De lâcher prise comme quand on arrive enfin à parler de quelque chose. Tous les êtres humains changent. On meurt. On grandit. On est des gens différents tous les deux jours. Et c’est une très bonne nouvelle, je pense.”
En concert Le 11/11 au Botanique et le 12/11 au Sonic City Festival (Courtrai).
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