Amis américains

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Initiée par le regretté Bertrand Tavernier, la série L’Ouest, le vrai publie son vingtième titre, Les Pionniers, magistral roman d’Ernest Haycox, l’un des auteurs redécouverts à la faveur de cette remontée aux sources du western.

Il n’y avait sans doute que Bertrand Tavernier ( lire aussi en page 38), cinéphile passionné et inlassable arpenteur de l’imaginaire américain, pour porter semblable projet: une collection littéraire dévolue aux romanciers de l’Histoire de l’Ouest ayant inspiré l’un des genres fondateurs du cinéma hollywoodien, le western. Lancée en novembre 2013 chez Actes Sud avec Terreur apache, de W. R. Burnett, et Des clairons dans l’après-midi, d’Ernest Haycox, L’Ouest, le vrai célébrait son vingtième titre quelques semaines avant la disparition du réalisateur, avec la parution de Les Pionniers, de ce même Haycox -l’un des rares titres de la série à n’avoir pas été porté à l’écran, en dépit de ses évidentes qualités cinématographiques.  » On peut comprendre que les studios aient renâclé devant l’ampleur du livre, le nombre de personnages, qui conviendraient mieux à une série télévisée, observait Tavernier dans une postface à son image, généreuse. Mais respecter l’approche d’Haycox, son réalisme, son âpreté, ne fût-ce que dans le premier tiers, pour restituer ce qu’endurent les colons, filmer ces radeaux chargés de bétail, de chariots qui menacent sans cesse de sombrer, de se disloquer, ces pluies torrentielles, ces montagnes d’eau, ces bourrasques de neige, demanderait une énergie hors du commun et des moyens considérables. » Foi de connaisseur.

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La Frontière, de l’intérieur

Haycox compte parmi ces auteurs quelque peu négligés dans le domaine francophone que L’Ouest, le vrai a permis de redécouvrir. Avec une trentaine de romans et d’innombrables nouvelles, l’écrivain de Portland est l’une des figures incontournables de la littérature western. Son oeuvre a par ailleurs été régulièrement portée à l’écran: ainsi, par exemple, de la nouvelle, Stage to Lordsburg, à l’origine de Stagecoach de John Ford (1939), ou des romans Le Passage du canyon par Jacques Tourneur en 1946, Man in the Saddle par André De Toth en 1941, ou encore Des clairons dans l’après-midi par Roy Rowland un an plus tard.

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Publié à titre posthume en 1952 , Les Pionniers ( The Earthbreakers) est le quatrième de ses ouvrages traduits dans le cadre de la collection . Haycox y retrace le quotidien d’une caravane de pionniers partis du Missouri pour rejoindre les terres, réputées plus hospitalières, de l’Oregon. Et d’accompagner les colons progressant laborieusement dans des conditions parfois dantesques afin de valider leur passeport pour l’inconnu – » Les cinq mois de voyage avaient prélevé leur tribut de foi et de chair« , écrit l’auteur, dans un récit dont le réalisme se gorge à l’occasion de lyrisme. Avant, une fois la caravane arrivée à destination, de changer de ton, Haycox excellant à restituer de l’intérieur la vie qui s’organise sur la Frontière, alors qu’il s’immisce dans l’intimité d’une petite communauté dont il veille à faire exister chacun des personnages, féminins notamment. Non sans traduire les conflits qui s’y nouent, le sens du collectif s’y heurtant à l’occasion aux intérêts particuliers, la vision humaniste à la dureté d’une réalité charriant son lot de violence. Soit, inscrit dans une nature souveraine, un témoignage vibrant sur la colonisation de l’espace américain, doublé d’un roman porté par un souffle puissant. L’on comprend que Tavernier, non content de resituer l’oeuvre dans le paysage du western (ne voyant jamais que La Piste des géants, de Raoul Walsh, et Convoi de femmes, de William Wellman, pour soutenir la comparaison avec les premiers chapitres du roman), ne mégote pas son enthousiasme à l’endroit de Haycox, qualifiant Les Pionniers de chef-d’oeuvre. Et considérant l’auteur,  » dans sa dernière période, non seulement comme un des plus grands auteurs de westerns, mais comme un des très grands romanciers américains, dans la lignée des James Fenimore Cooper, Jack London et Larry McMurtry (l’auteur, disparu il y a quelques jours lui aussi, de The Last Picture Show et de Lonesome Dove, traduits chez Gallmeister, mais aussi du scénario de Brokeback Mountain, d’Ang Lee, NDLR). Un de ceux qui dynamitent les conventions, les clichés, font éclater les limites, les barrières qu’on installe devant tout un type de récits dits populaires, comme s’ils risquaient de contaminer la littérature dite sérieuse. »

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Bouleverser les conventions

Ernest Haycox n’a pas eu l’exclusivité des faveurs de Tavernier, loin s’en faut, L’Ouest, le vrai accueillant de multiples écrivains, familiers pour certains des amateurs de westerns. Ainsi, par exemple, d’A. B. Guthrie Jr., l’auteur de La Captive aux yeux clairs ( The Big Sky),  » texte fondateur de « l’école du Montana » magnifiquement porté à l’écran par Howard Hawks, ou de L’Irrésistible Ascension de Lat Evans ( These Thousand Hills), adapté par Richard Fleischer celui-là, sous le titre français Duel dans la boue. De Charles O. Locke, dont La Fureur des hommes devint From Hell to Texas, d’Henry Hathaway, et d’Alan Le May, dont Le Vent de la plaine a inspiré John Huston, le romancier étant également l’auteur de La Prisonnière du désert, dont John Ford tirerait l’un de ses plus beaux films, mais aussi de nombreux scénarios, pour Cecil B. DeMille, Raoul Walsh et d’autres. Ou encore de Luke Short, dont les deux romans parus dans la collection, Femme de feu et Ciel rouge, ont été transposés au cinéma respectivement par André De Toth ( Ramrod, en 1947) et Robert Wise ( Blood on the Moon, en 1948). Et d’autres, comme Niven Busch, écrivain new-yorkais actif à Hollywood des années 30 au milieu des années 50, à qui l’on doit notamment les scénarios de la version de Tay Garnett du Facteur sonne toujours deux fois et de La Vallée de la peur, formidable western hanté de Raoul Walsh. L’auteur également des romans-westerns Duel au soleil, adapté par King Vidor en 1946, et Les Furies, dont Anthony Mann confiait, en 1950, le premier rôle à Barbara Stanwyck.

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Inscrit dans un ranch-empire du Nouveau-Mexique à la fin du XIXe siècle, ce roman oedipien retraçant l’affrontement entre une fille et son père tyrannique dans un déferlement de passion, bénéficiait, il y a quelques mois, d’une traduction française. L’occasion, pour Bertrand Tavernier, de s’attarder sur les parentés thématiques à l’oeuvre dans les westerns de Busch – » une même ampleur de vision, une même puissance narrative, une même attirance pour les époques troublées où des mutations historiques, sociales, économiques sont en train de bouleverser des valeurs établies. Les passions des personnages semblent faire corps avec l’immensité, la majesté de ces somptueux paysages arides, rocailleux ou bucoliques du Texas ou du Nouveau-Mexique et partagent une même démesure. C’est comme si elles se nourrissaient de leur violence tragique pour arriver à un état d’incandescence émotionnelle où tout, des sentiments au décor, est plus grand que nature (…) » À quoi s’ajoute la place centrale qu’y occupent les femmes -ainsi de Vance, l’héroïne des Furies:  » Nous n’avons pas affaire à une de ces femmes objets si nombreuses dans le western pulp ou de série, une de ces femmes qui se contentent d’être juste la compagne, l’accompagnatrice, la récompense du héros masculin. Mais au contraire une vraie héroïne fière, intelligente, qui veut être maître de son destin, qui tient tête à une société, à un monde d’hommes et qui n’hésitera pas à bouleverser les convenances, les conventions, la morale. » Manière de souligner la modernité de l’oeuvre, Busch étant incontestablement un auteur à (re)découvrir.

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Hors des sentiers battus

L’ironie aura voulu qu’il revienne à l’un des maîtres incontestés d’un genre urbain par essence, le roman noir, d’inaugurer une série ouvrant sur les grands espaces de l’Ouest et du mythe de la Frontière. À savoir William Riley Burnett, l’auteur de classiques comme Quand la ville dort, High Sierra ou Le Petit César, sans même parler du scénario de Scarface, dont Terreur apache ( Adobe Walls, porté à l’écran par Charles Marquis Warren en 1953 sous le titre français Le Sorcier du Rio Grande, avant que Robert Aldrich ne s’en inspire pour Fureur Apache), lançait en 2013 la collection imaginée par Bertrand Tavernier . Dans sa postface au roman (qui suit les efforts d’un éclaireur anticonformiste pour mater une révolte apache avec une petite troupe de marginaux), ce dernier confiait avoir longtemps cantonné Burnett au territoire du polar, avant de découvrir dans une interview que ses romans sur l’Ouest ( Mi Amigo, Saint Johnson et Lune pâle ont été publiés depuis) comptaient parmi ses favoris. Et de s’y plonger sans plus attendre:  » J’ai immédiatement commandé Adobe Walls et ce fut un choc: l’âpreté du récit n’a d’égal que la connivence de l’auteur avec ses personnages, même les plus déjetés, des éclaireurs indiens aux Mexicains ou aux militaires. Burnett est aussi à l’aise que dans les impasses, les bouges de Chicago. » Ce qui n’est pas peu dire. Et cette collection réussit, en s’aventurant hors des sentiers battus, à éclairer un pan insoupçonné de la littérature américaine tout en donnant une furieuse envie de westerns -pas le moindre des mérites de son instigateur…

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Les Pionniers, d’Ernest Haycox, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabienne Duvigneau, 544 pages.

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L’Étrange incident (The Ox-Bow Incident)

La rumeur ayant colporté la mort d’un fermier et le vol de son bétail, les habitants d’une petite ville du Nevada se lancent dans une expédition punitive, bien décidés à lyncher les coupables sans autre forme de procès. (In)justice expéditive à laquelle ils sont quelques-uns à tenter de s’opposer. Adapté du roman éponyme de Walter Van Tilburg Clark, The Ox-Bow Incident, de William Wellman, démontait limpidement les mécanismes de la violence collective, non sans valoir à Henry Fonda l’un de ses rôles emblématiques.

De William Wellman, 1942.

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L’Étrange incident (The Ox-Bow Incident)

La rumeur ayant colporté la mort d’un fermier et le vol de son bétail, les habitants d’une petite ville du Nevada se lancent dans une expédition punitive, bien décidés à lyncher les coupables sans autre forme de procès. (In)justice expéditive à laquelle ils sont quelques-uns à tenter de s’opposer. Adapté du roman éponyme de Walter Van Tilburg Clark, The Ox-Bow Incident, de William Wellman, démontait limpidement les mécanismes de la violence collective, non sans valoir à Henry Fonda l’un de ses rôles emblématiques.

De William Wellman, 1942.

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L’Étrange incident (The Ox-Bow Incident)

La rumeur ayant colporté la mort d’un fermier et le vol de son bétail, les habitants d’une petite ville du Nevada se lancent dans une expédition punitive, bien décidés à lyncher les coupables sans autre forme de procès. (In)justice expéditive à laquelle ils sont quelques-uns à tenter de s’opposer. Adapté du roman éponyme de Walter Van Tilburg Clark, The Ox-Bow Incident, de William Wellman, démontait limpidement les mécanismes de la violence collective, non sans valoir à Henry Fonda l’un de ses rôles emblématiques.

De William Wellman, 1942.

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L’Étrange incident (The Ox-Bow Incident)

La rumeur ayant colporté la mort d’un fermier et le vol de son bétail, les habitants d’une petite ville du Nevada se lancent dans une expédition punitive, bien décidés à lyncher les coupables sans autre forme de procès. (In)justice expéditive à laquelle ils sont quelques-uns à tenter de s’opposer. Adapté du roman éponyme de Walter Van Tilburg Clark, The Ox-Bow Incident, de William Wellman, démontait limpidement les mécanismes de la violence collective, non sans valoir à Henry Fonda l’un de ses rôles emblématiques.

De William Wellman, 1942.

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