Altin Gün, psyché et anatolien

On, premier album coloré et festif d'Altin Gün, est composé de reprises de chansons folk traditionnelles turques. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Emmené par des musiciens de Jacco Gardner et de jeunes artistes originaires de Turquie, Altin Gün célèbre la musique psychédélique anatolienne sur un premier album aux parfums épicés.

Groningen. Une froide journée de janvier. Les membres d’Altin Gün squattent une grande maison au bord de l’eau juste en face de l’Oosterpoort, le centre névralgique du festival de découvertes Eurosonic. Il y a beaucoup de monde et un peu de bouffe dans la cuisine. Des journalistes français qui patientent dans un canapé du salon. Les lieux ont des allures d’auberge espagnole. Ça tombe bien: les Hollandais font de la musique turque… Ce qu’on appelle de l' »Anadolu Rock », du « rock anatolien ». Soit des chansons traditionnelles déclinées en mode rock psyché comme ça se faisait dans les années 60 et 70.

Altin Gün (« Âge d’or ») est la créature de Jasper Verhulst. En 2015, le bassiste de Jacco Gardner accompagne le Syd Barrett batave en Turquie pour quelques concerts. Collectionneur de disques, il fouille les magasins d’Istanbul et rentre au pays avec du Erkin Koray, du Selda Bagcan, du Baris Manço… « Il connaissait déjà un petit peu mais ce voyage a nourri son intérêt, commente le batteur Nic Mauskovic. Il a d’ailleurs tellement aimé cette musique qu’il a eu l’idée de créer un groupe pour en jouer. » Nic et le guitariste Ben Rider, eux aussi dans le backing band de Gardner, sont les premiers à embarquer. Rapidement suivis par le percussionniste Gino Groeneveld de Jungle By Night. Pour les chanteurs, Verhulst publie un post sur Facebook et trouve en une petite journée Merve Dasdemir et Erdinç Yildiz Ecevit. Elle est installée aux Pays-Bas depuis peu. Lui a grandi à Arnhem, joue du saz et du clavier… « Je suis né aux Pays-Bas mais j’ai toujours baigné dans la musique traditionnelle turque. Mes parents en écoutaient beaucoup à la maison. Mon père est musicien. Et quand j’étais petit, de 12 à 18 ans, je jouais dans les mariages. Du traditionnel sans le son psychédélique des années 70. Au début, c’était marrant mais c’est devenu assez vite ennuyeux. Les gens veulent toujours les mêmes morceaux. »

Fan de Selda et de Manço, Erdinç avait déjà essayé il y a quelques années de monter un projet proche de ses racines. « Ça n’avait pas marché. Les autres membres du groupe ne sentaient pas vraiment la musique. Ce n’était pas des Turcs non plus, juste des potes d’école. On a essayé des reprises d’Erkin Koray notamment. Ça ne fonctionnait pas. On n’a rien enregistré, rien sorti… Ce n’était pas leur monde. Ils approchaient la musique différemment sans doute. »

Mis en boîte dans leur local de répétition au centre d’Amsterdam, un studio assez ghetto sous un pont dans un quartier friqué du centre, On, le premier album coloré et festif d’Altin Gün, est entièrement composé de reprises. Des réinventions de chansons folk traditionnelles passées de génération en génération mais basées sur les versions qu’en a faites Neset Ertas, le Bob Dylan turc… « Il y a tellement de bonnes choses déjà existantes, reprend Nic. Tu n’as pas nécessairement besoin de nouvelles mélodies. Tu peux faire du neuf avec du vieux. Prends Goça Dünya … J’en ai vu plein de versions sur YouTube. Des déclinaisons très commerciales, très cheesy, avec des clips de rupture sentimentale. » « De quoi ça parle? La langue turque est très différente de l’anglais ou du hollandais, sourit Erdinç. C’est très poétique. Si tu traduis les paroles, elles n’ont pas beaucoup de sens. Disons que c’est une chanson d’amour. »

De BaBa ZuLa à King Gizzard…

Altin Gün, psyché et anatolien

Turkish festival au Rockerill, soirée Turkish psychedelica à l’Ancienne Belgique où Altin Gün partagera l’affiche avec le projet stambouliote BaBa ZuLa… Les événements pullulent, des groupes comme King Gizzard s’intéressent à ces sonorités (pour preuve son album Flying Microtonal Banana)… L’intérêt pour le pays d’Atatürk est évident dans l’industrie musicale. Le label genevois d’Altin Gün, Bongo Joe, compte d’ailleurs dans son catalogue un projet assez similaire. Grup Simsek réunit des musiciens d’Italie, de France et de Grande-Bretagne autour d’une chanteuse germano-turque. « La communauté est assez importante aux Pays-Bas, fait remarquer Erinç. Mais on n’entend pas tant de musique turque pour autant. Il existe beaucoup de musiciens, oui, mais ils font tous la même chose. Et ils jouent davantage pour leurs compatriotes que pour les Hollandais. C’est de la musique de mariage, de restaurant. Il n’y a pas vraiment grand monde pour faire quoi que ce soit d’autre. »

La situation n’a pas l’air bien différente au pays. « On y croise surtout des groupes qui imitent la musique américaine, analyse Nic. C’est comme partout. Aucun jeune aux Pays-Bas ne joue de la musique traditionnelle néerlandaise. Quand tu allumes la radio là-bas, tu entends les mêmes morceaux qu’on joue mais en mode reggaeton, avec une production électronique. Les gens comme nous, eux, écoutent Mac DeMarco. Le festival Le Guess Who? à Utrecht est l’un des premiers événements indie à avoir programmé de la musique turque pour un public mélangé. »

Pour Altin Gün, le timing est parfait. « Les gens se remettent à acheter des disques. Ils fouillent, ont Internet comme plaine de jeu. C’est une bénédiction pour tous les genres. Mais pour la musique turque, c’est aussi une fenêtre sur les publics occidentaux. Selda Bagcan et Mustafa Özkent sont programmés dans des festivals comme le Primavera à Barcelone. Ça commence à intéresser de plus en plus de monde… Les gammes sont mystérieuses et les arrangements du psychédélisme seventies sont groovy. Il y a des congas, plein d’autres instruments… Un peu ce qu’on fait maintenant: rassembler les choses. » Au Guess Who?, les Hollandais dansants ont eu l’occasion de se frotter au chanteur lybien Ahmed Fakroun, pionnier de la « musique wolrd » arabe. « On n’a pas d’autres plans du genre, terminent-ils d’une voix. C’était un événement unique. On a eu trois ou quatre jours ensemble pour répéter. Il n’avait plus joué depuis 25 ou 30 ans. Il était un peu frustré que ce ne soit plus aussi facile qu’avant même si ça sonnait déjà très bien pour nous. Il habite à Bruxelles en fait. Il est doux et mystérieux, lent et sage. Il a un petit coté Yoda. »

On, distribué par Les Disques Bongo Joe. ***(*)

Le 04/04 à l’Ancienne Belgique dans le cadre du festival BRDCST.

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