LA OLA POUR MATHIEU BOOGAERTS! SEIZE ANS DE CHANSONS DANS LES PATTES, ET UN NOUVEAU DISQUE BRILLANT, LIMPIDE ET ÉPURÉ, MOELLEUX À L’EXTÉRIEUR, FONDANT À L’INTÉRIEUR.

Paris, canal Saint-Martin. Il suffit de remonter la rue du Faubourg du Temple pour s’enfoncer petit à petit dans Belleville. Le quartier popu l’est toujours: il a seulement changé d’Apaches. On y croise les mêmes gueules d’atmos-phère, elles sont juste plus colorées. En face d’une épicerie afro-antillaise (ignames, bananes plantain…), au n°105, la Java n’a pas bougé. Au siècle dernier, Piaf, Fréhel,… y ont joué pour quelques sous « et un plat de lentilles ». Aujourd’hui, l’ancien temple musette vit toujours, entre soirées électro et concerts intimistes.

C’est là aussi que Mathieu Boogaerts y a testé, rodé ses nouvelles chansons, pendant six mois, tous les mercredis soirs. On le retrouve juste à côté, dans le bâtiment voisin, où il a installé son studio. Une vraie planque, en sous-sol, à laquelle on accède par une volée d’escaliers étroite et bas de plafond. « J’avais déjà eu des lieux à moi, mais c’était toujours temporaire. A Bruxelles, par exemple, où j’ai vécu deux ans, je co-louais un stand de tir à Schaerbeek. C’était un endroit incroyable, 200 m2 pour moi, avec 4 m de plafond, pour 150 euros par mois. Sauf que c’était pas chauffé… » (sourires).

De son exil bruxellois, Mathieu Boogaerts a gardé encore quelques traces, comme le mot « drache » qu’il utilise sur On dirait qu’ça pleut, l’un des douze morceaux de son nouvel album éponyme. Le sixième d’une discographie entamée en 1996, avec Super. Seize ans qu’on le connaît donc, Mathieu Boogaerts, qu’on le suit de plus ou moins près: ses mélodies rebondies, son caramel vocal, un groove élastique unique dans le paysage musical français, quelque part entre Brassens et Francis Bebey, fonctionnant à l’économie, voire la parcimonie. « Si j’étais graphiste, peintre, il y aurait beaucoup de blanc. Moins il y a de choses, plus les choses qui sont là sont précieuses, et vivent. Au fond, trop d’idées tue l’idée. »

A l’économie

Pour y arriver, la méthode n’a pas changé. Après avoir collecté des bouts de chansons sur son dictaphone, Mathieu Boogaerts a pris la tangente. « Une Transatlantique à bord d’un cargo. » En quinze jours, la route de fret l’emmène jusqu’à Pointe-à-Pitre. Le temps de poser les bases d’un disque qui sera ensuite enregistré, « pour 85 % », en deux après-midi, dans les conditions du live. C’était en janvier dernier, dans les anciens studios Pigalle.

Plus que jamais, Mathieu Boogaerts, le disque, fonctionne donc sur trois fois rien: à peu de choses près, une guitare, un piano, la basse de Zap Zapha, la batterie de Fabrice Moreau… Minimalisme, épure, mais gros son. Pour expliquer sa science, l’intéressé joue volontiers les idiots savants: « Je peux expliquer comment, mais pas pourquoi. C’est comme quand vous regardez dans votre penderie le matin, et que vous vous demandez ce que vous allez mettre. Il n’y a aucune démarche intellectuelle. » Ce qui n’empêche pas les doutes. Au contraire. « Ce qui est compliqué, ce n’est pas la peur de la feuille blanche. C’est de changer d’avis. Quand vous réécoutez le lendemain, et que tout à coup ce que vous pensiez génial la veille sonne mal. Dans ces moments-là, sans exagérer, je peux m’embarquer dans des phases de dépression terribles, où tout semble vain, nul, sans goût. »

Vivement dimanche!

Il ne faudrait donc pas se méprendre: il est souvent compliqué de rester simple. Les paroles, par exemple. Chez Mathieu Boogaerts, elles relèvent de l’exercice de voltige. Tracés au cordeau, chaque bout de phrase, chaque syllabe, chaque onomatopée y tombent pile poil au bon endroit. L’air de rien, une sorte de poétique mathématique, où les mots sont parfois aussi simples que cruels. Comme dans Avant que je m’ennuie, où l’amoureux-Tarzan demande à sa Jane de rallumer la flamme, menaçant de s’enfuir dans le cas contraire. Un poil macho, la posture? Le chanteur se marre. « Je suis autant l’un que l’autre, j’ai déjà été dans les deux situations. Soit. J’assume. Mais je ne veux pas choquer, ni agresser. En fait, je n’aime pas l’idée de déranger. Dans le train, je suis par exemple celui qui ne supporte pas que son voisin hurle au GSM; au cinéma, je me crispe quand ma copine me parle pendant le film, de peur que cela perturbe le voisin (rires). Quelque part, c’est pareil pour le côté « doux » de ma musique: je ne vous embrouille pas, je ne vous agresse pas avec plein de données. Je vous donne juste les infos pesées, sans vous encombrer. » Né en 1970, fils de soixante-huitards qui l’emmenaient au concert de reggae, pétard au bec, Mathieu Boogaerts n’a finalement jamais eu à faire sa crise d’adolescence. « J’ai vocation à être moderne, à chercher, mais pas à déranger. Je déteste la provocation. De quel droit je m’attribuerais le pouvoir d’agresser les gens? »

D’où le mystère Boogaerts: comment celui-ci, son rond mais pas ronronnant, reste-il encore et toujours aujourd’hui abonné aux marges de la chanson française? « Je ne me plains pas. J’ai juste l’impression que ce que je fais pourrait plaire à tout le monde: aux grands-mères, aux femmes au foyer… Je ne suis pas du tout élitiste. Là, j’ai écrit cinq chansons pour le prochain Vanessa Paradis. Depuis, les propositions affluent. Mais en attendant, pourquoi Marc Lavoine -que j’aime bien en plus, dans le genre chanteur populaire-, pourquoi remplit-il des Zenith et pas moi?… Bah, je commence à m’y faire. Un jour, je comprendrai peut-être. En attendant, si Michel Drucker m’invite pour son émission du dimanche, j’y cours. » Michel, si tu nous lis…

MATHIEU BOOGAERTS, MATHIEU BOOGAERTS, DISTR. TÔT OU TARD/PIAS.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS, À PARIS

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