Ah que coucou… c’était Johnny

La marionnette de Johnny Hallyday dans Les Guignols de l'info. © Canal +
Nicolas Bogaerts Journaliste

Johnny Hallyday a toujours détesté son double télévisuel. Mais sa marionnette aux Guignols de l’info l’a non seulement rendu encore plus attachant, mais l’a révélé auprès d’une génération. Récit.

En 1989, lorsque la première mouture des Guignols de l’info, émission emblématique de Canal +, apparaît sur la chaine cryptée sous le nom les Arènes de l’Info, Johnny Hallyday fait partie des premières marionnettes fabriquées, aux côtés de celles de Patrick Poivre d’Arvor, de Christine Ockrent (qui disparaitra bien vite de l’émission) et de Serge Gainsbourg. Autant dire que le rockeur, qui se fait déjà surnommer le Taulier, fait partie des Dinosaures du PAF. Johnny a toujours détesté son double télévisuel. Profondément. Il mettra du temps avant de comprendre que la caricature qui enfle ses traits de caractère, réels ou supposés, va non seulement le rendre encore plus attachant auprès de son public, mais va le révéler auprès d’une génération pour laquelle il n’était qu’un vestige de l’ère glaciaire des années 60-70. De là à dire que, de la même manière qu’ils ont envoyé Chirac à l’Élysée en 1995, les Guignols ont, dans le même temps, relancé la carrière de Johnny…

Johnny Latex

Ce qui sera moqué de Johnny, ce ne sont pas ses opinions politiques de droite fluctuantes -après tout, il est l’artiste populaire par excellence- ou ses propos anti-impôts, l’heure n’étant pas encore à la satire politique acérée qui vaudra aux Guignols le titre de meilleurs éditorialistes de France. Non, ce qui caractérise la marionnette de Johnny qui apparaît tous les jours en prime time dans l’émission Nulle Part Ailleurs, c’est sa bêtise crasse et forcément exagérée (quand il porte son épouse vers le lit nuptial, il lui fracasse la tête contre le chambranle de la porte), son idiotie infantile (il pige systématiquement tout de travers, façon Tournesol sous cocktail amphétamines/Valium), son phrasé et ses expressions qui, paradoxalement, vont en faire un personnage culte, en latex comme dans sa version en chair et en os. Puisque Johnny, c’est avant tout une voix, l’imitation qu’en livre Yves Lecoq est à ce point sidérante qu’elle deviendra un canon, une influence incontournable pour les apprentis imitateurs qui peupleront ensuite le PAF. Laurent Gerra en tête, dont le personnage de Johnny est une copié/collé/édulcoré de la version Canal + (à certains égards, plus abruti encore).

Ensuite viennent les textes. C’est François Rollin (aka le Professeur Rollin) qui, le premier, est chargé d’écrire le personnage de Johnny. Son idée est de sortir le personnage de Johnny de son image première. À son vocabulaire réduit et sa syntaxe rudimentaire, Rollin va ajouter une dimension surréaliste et absurde, en affublant Johnny d’une fascination monomane pour une petite boite noire à reconnaissance vocale. Dès qu’il s’en approche en faisant « Ah que Coucou! », un oeuf en sort et lui répond « coucou », dans un grand éclat de rire gras du rocker. La boite à Coucou est née un soir d’août 1989, et le gag va se répandre comme une trainée de poudre.

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Ah que je t’aime

En plus, des cours de récré à la machine à café, tout le monde reprend le gimmick « Ah que », qui signe les débuts de phrases de la marionnette et rentre peu à peu dans le langage courant. On est à la limite de l’entrée dans le Larousse. L’origine de ces deux mots se perd dans les mémoires des uns et des autres. Longtemps, il a été répété que ce tic de langage avait été repéré par les auteurs des Guignols dans la chanson Que je t’aime (1969, ressortie en version live en 1988). D’autres versions le font remonter aux premiers tubes, La Bagarre ou Elle est terrible (1963). Finalement, la syntaxe qui collera le plus au chanteur -avec sa prononciation des « ou » en « u »- ce « Ah que » qui le rendra populaire chez les plus jeunes, est peut être tout autant né sous la plume de potaches de Canal + que dans la poussée de fièvre incontrôlée d’un concert ou d’un enregistrement. Peu importe, elle fait corps, depuis les années 90, avec le personnage XXL sous lequel s’est abrité Jean-Philippe Smet.

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Coupez!

La marionnette et sa bêtise, son anti-intellectualisme primaire, va blesser profondément Johnny Hallyday. Mais ce sont les moqueries dont sa fille Laura est victime, à l’école, qui le mettent en colère. Yves Lecocq raconte en 2014 avoir reçu, à l’époque, la visite de gros bras pour lui faire passer le message. Mais le management finit par comprendre que la caricature est bonne pour son image. Reste à convaincre le principal intéressé. La réconciliation est mise en scène au début des années 90 sur le plateau de l’émission Nulle Part Ailleurs de Philippe Gildas, qui abrite les Guignols de l’info. Johnny est mal à l’aise. On le jurerait assis sur un gros tas de punaises lorsque sa marionnette débarque à ses côtés. Tout le monde s’est mis d’accord sur la punition symbolique censée solder les comptes: Johnny coupe le nez de son avatar de latex, qu’il a toujours jugé beaucoup trop volumineux et insultant. Applaudissements. Mais derrière cette réconciliation de façade, la blessure narcissique et les ennuis de sa fille sont toujours vivaces et, pour la vedette, ça piquera toujours un peu. Pourtant, il sous-estime le fait que, dans l’opinion, son image va considérablement gagner en sympathie. Alors que le Johnny du prime time en clair, qui tance PPDA, symbolise la beauferie et l’anti-intellectualisme française mais aussi une certaine idée du « bon sens populaire » devient un incontournable des Guignols, une icône du petit écran, la carrière d’Hallyday va prendre un nouveau départ.

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La nouvelle idole des jeunes

À la veille des années 90, Johnny reste aux yeux de la plus grande partie de la jeunesse une figure de la génération des Yéyé et du rock-variétoche des années 70, un vestige d’une musique très papa-maman. Son retour en grâce dans le TOP 50 de la seconde moitié des années 80, favorisée par ceux qui y régnaient ou y faisaient régner leurs poulains, Michel Berger et Jean-Jacques Goldman, n’y aura pas changé grand-chose. Rien d’étonnant à ce que dès lors, dans une émission satirique lancée par de jeunes trublions dans le sillage des Nuls d’Alain Chabat, l’idole des jeunes d’hier s’en prenne plein la tronche. Sauf que, tout comme Chirac, Tapie ou Sylvester Stallone, il va y avoir, dans l’image populaire de Johnny, un effet Guignol qui va traverser les années 90 et les années 2000. Soudain, les gamines et les gamins le regardent tous les jours sous ses traits de latex, qui, régulièrement, se transforment au gré des mues capillaires ou chirurgicales du chanteur. Ils reprennent ses expressions, ses envolées vocales. Ils rient des mésaventures et des lapsus d’un personnage plus lunaire, maladroit et touchant que bête et méchant. Même lorsqu’il se réjouit, sous l’ère Sarkozy, de pouvoir rentrer de son exil suisse et se réinstaller en France pour « pas payer mes impôts ». Au mitan des années 90, les Guignols auront contribué à reconstruire un pont entre les jeunes et les plus anciennes générations sur le cas de Johnny. S’il est redevenu une vedette qui transcende les différences du public et ses caricatures, un chanteur populaire transgénérationnel qui fait partie du paysage et qui a forgé le langage d’une jeune génération qui lui sera, si pas acquise, en tout cas le plus souvent très indulgente et admirative, c’est en partie à cette marionnette, dont la bêtise traduisait mal la tendresse que lui vouaient secrètement ses créateurs, qu’il le doit.

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