A la télé cette semaine, des portraits de Madness et de Michelle Perrot, une exploration politique de l’Amérique latine et les héritiers de Papa Wendo.
Madness: prince du ska, roi de la pop
Mercredi 25 juin à 22.30 sur Arte
Documentaire de Christophe Conte.
4/5
Ils sont arrivés à un moment où le single, alors un 45 tours, était roi et ont sorti quelques-uns des plus grands tubes des années 80 (Our House, One Step Beyond…). Ils ont déclenché des tremblements de terre (avis d’une sismologue à l’appui), joué sur le toit de Buckingham Palace pour le jubilé de diamant d’Elisabeth II. Et ils ont eu un temps pour fans, à leur grand dam, des membres du Front national britannique alors qu’ils dressaient des ponts entre Londres et Kingston.
Enfants de la classe ouvrière originaires de Camden Town, les membres de Madness ont secoué la pop anglaise au tournant des années 1970 et 1980 avec leurs cuivres pétaradants, leurs synthés cinglés et leurs rythmes rebondissants. Gang soudé qui évoluait en vase clos, voulait prendre du bon temps et amuser les gens mais sans éviter les sujet plus graves, Madness incarne de joyeuse manière l’influence de la culture jamaïcaine sur la musique britannique.
A la fin des seventies, alors que The Clash et les Ruts ont ouvert la voie, débarquent en fanfare les groupes 2 Tone. Sous genre et mouvement musical d’un genre nouveau porté par le label du même nom et son patron, le fondateur des Specials Jerry Dammers, 2 Tone raconte le mélange du Blue Beat et du punk. La rencontre entre la première génération d’enfants caribéens ayant grandi au Royaume-Uni et les petits blancs becs anglais qui a donné naissance au ska britannique.
Désormais abonné aux documentaires musicaux (sur Bowie, les Kinks, les Whot, le glam…), l’ancien journaliste des Inrockuptibles Christophe Conte retrace le parcours d’un band pas comme les autres et la révolution musicale qu’il a accompagnée.
L’histoire de Madness, c’est l’histoire de potes d’enfance pour la plupart issus de familles monoparentales, des logements sociaux et de l’école publique (ce qui a fortement imprégné leur philosophie). Celle de mecs qui ne voulaient pas devenir célèbres. «Juste faire autre chose que piquer des pièces dans les cabines téléphoniques ou des clopes aux marchands de journaux.»
En s’appuyant sur de savoureuses images d’archives (qui s’apparentent à un citytrip dans l’Angleterre des années 80) et les témoignages de grandes figures du mouvement, Prince du ska, roi de la pop évoque également la violence politique et sociale d’une époque, le Thatchérisme, et la montée de l’extrême droite via une musique qui a essayé comme elle le pouvait de gommer les distinctions entre les genres et les couleurs de peau.
Amérique latine, un continent sous influences
Mardi 24 juin à 21.00 sur Arte
Série documentaire de Delphine Jaudeau et Jean-Baptiste Péretié.
4/5

L’Amérique latine serait le laboratoire de notre monde violemment inégalitaire et toujours plus polarisé. Ce constat, à tout le moins ce postulat, sert de point de départ au documentaire maousse costaud en trois épisodes réalisé par Delphine Jaudeau et Jean-Baptiste Péretié.
Le tandem brosse en long, en large et en travers le portrait historique et politique d’un bout de continent à jamais tiraillé entre élans démocratiques et traditions autoritaires. Manœuvres américaines sournoises et malveillantes, dictatures renversées, révolution par l’alphabétisation… Au Brésil, au Chili, au Panama, au Nicaragua, au Venezuela et en Colombie, des hommes et des femmes racontent leur combat et une Amérique latine fracturée sans cesse confrontée aux interventions de son puissant voisin états-unien. Exilé chilien, opposant au chavisme, sandiniste de la première heure, proche de Lula, conseillers à la Maison-Blanche et agents de la CIA éclairent de leur expérience et de leur savoir cette série passionnante, solidement documentée, bien construite, nourrie par des archives parfois très violentes et des témoins de premier plan.
Michelle Perrot: dans l’intimité des chambres
Dimanche 22 juin à 22.55 sur France 5
Documentaire de Teri Wehn Damisch.
3,5/5

Elle s’est d’abord intéressée aux ouvriers, aux prisonniers, aux prostituées et autres laissés pour compte de la société. Michelle Perrot, qui vient de fêter le 18 mai ses 97 ans, n’en est pas moins avant tout reconnue comme la grande historienne du féminisme en Occident. Si elle a (co)écrit de nombreux ouvrages sur le sujet (Histoire des femmes en Occident, Les Femmes ou les silences de l’histoire…), la prof d’unif et militante féministe remportait encore en 2009 le prix Femina avec un essai (Histoire de chambres) qui, de l’accouchement à l’agonie, questionnait ce théâtre de nos existences.
Ce tout petit espace intime dans lequel on passe grosso modo la moitié de nos vies. La productrice et réalisatrice Teri Wehn Damisch (89 piges) s’inspire des réflexions de l’historienne pour l’inviter à se raconter en tant que femme. Alors qu’elle se promène dans les chambres de la maison de Nohant où a vécu George Sand qui fut sa première héroïne, Michelle Perrot s’étend sur sa vie et son œuvre, et évoque Colette, Simone de Beauvoir, Brigitte Bardot et le succès du mouvement #MeToo. «L’histoire demeure une science largement virile, dans son exercice comme dans son contenu», déclarait-elle il y a quelques années dans les colonnes du Monde. Intéressant et singulier.
Bakolo Music International
Samedi 21 juin à 22.40 sur La Trois
Documentaire de Benjamin Viré et Tom Vantorre.
3,5/5

Né en 1925 à Kinshasa et mort en 2008 à l’âge (faites les comptes) de 83 ans, Antoine Wendo Kolosoy, dit Papa Wendo, fut l’un des pères fondateurs de la rumba congolaise et l’une des premières stars de la musique africaine. En 1948, il a créé son propre orchestre, le Bakolo Music International, qui mélangeait la rumba à la biguine, au cha-cha et au tango et a compté jusqu’à une trentaine de membres. Le champion du monde de voile, courtier maritime et réalisateur Jacques Sarasin avait déjà consacré un documentaire à la légende, On The Rumba River, sorti juste avant son décès. Une plongée dans les rues boueuses de Kin tandis que Papa Wendo essayait de réunir d’anciens complices.
Bakolo Music International en est quelque part la continuation posthume. Les Belges Benjamin Viré et Tom Vantorre suivent au quotidien le groupe vieillissant qui tente de perpétuer l’héritage du patron comme il le lui avait demandé. Du studio congolais aux routes d’Europe en passant par l’hosto («Un jour tu es bien, tu es bien portant, tu es content / Un jour tu as mal, c’est général, c’est l’hôpital…»), ce docu touchant et dansant raconte le parcours du combattant, la tradition, l’esprit de famille, le poids de la religion… Y’a d’la rumba dans l’air.