Deepti Kapoor, Robert Laffont
Age of Vice
592 pages
Avec Age of Vice, l’Indienne Deepti Kapoor livre l’affolant premier volet d’une trilogie dans un pays à l’aube du nouveau millénaire empoisonné par l’opulence, la criminalité, la corruption et les inégalités.
Présentation express de cette ancienne journaliste à l’hebdomadaire anglophone The Week, dont le vertigineux deuxième roman Age of Vice est en cours d’adaptation via FX Studio pour la plateforme Disney+. Née à Moradabad, dans l’État de l’Uttar Pradesh au sein d’une famille qu’elle qualifie de “classe moyenne”, Deepti Kapoor grandit à Bombay, au Bahreïn et à Dehradun avant d’étudier le journalisme à l’Université de Delhi en 1997 et de poursuivre en décrochant un master de psychologie sociale. C’est lors de ses pérégrinations nocturnes, au moment où l’Inde comme le reste du monde basculent dans un nouveau millénaire, qu’elle puise sans le savoir ce qui deviendra plus de 20 ans plus tard le bien nommé Age of Vice. Soit une fresque dantesque, hypnotique et décadente qui capture ce que Deepti Kapoor décrit comme une période de “tous les excès où l’argent coulait à flots. C’était comme en Union Soviétique après la chute du mur”, raconte-t-elle dans le salon d’un hôtel lyonnais où l’autrice, qui vit la plupart du temps à Lisbonne, était invitée de la 19e édition du festival Quais du Polar. “McDonald’s a débarqué, un centre commercial gigantesque a vu le jour et Delhi s’est transformé à une vitesse folle.”
Age of Vice, assurément l’un des thrillers de l’année avec son petit frère de São Paulo, Brazilian Psycho de Joe Thomas, est érigé autour de trois personnages. Ajay, vendu par sa famille alors qu’il était enfant, est aujourd’hui le domestique fidèle de Sunny, le deuxième protagoniste. Sunny, c’est un sacré lascar, comme on dit. Hédoniste, fêtard invétéré, le charismatique et fédérateur jeune homme croule sous l’argent. Avec le rêve secret de prendre la place du patriarche à la tête d’un véritable empire mafieux. Quant à Neda, jeune journaliste rapidement attirée par Sunny, elle a tout aussi vite le cul entre deux chaises, pour dire les choses simplement. À Age of Vice de graviter autour de ces trois individus et de capturer au plus près l’essence d’un pays émergent aux codes brutaux et impitoyables à coups de phrases au scalpel et de scènes d’anthologie d’une extrême violence. “J’avais deux vies, se souvient l’autrice. J’étudiais et ensuite je travaillais pour le magazine en journée et la nuit, je côtoyais une faune décadente, vidant des réfrigérateurs colossaux remplis de champagne. J’ai connu des mecs comme Sunny et même si je n’étais pas dupe de la provenance de l’argent, je ne posais pas de questions. Je profitais du moment présent en sachant qu’un jour ou l’autre, il faudrait m’en exfiltrer. Lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce qui deviendra Age of Vice, je savais qu’un personnage comme Sunny allait me permettre d’aborder les inégalités au sein de cette société.” Et d’ajouter, entre deux gorgées de thé vert, que “les acteurs du roman sont composés d’hommes et de femmes que j’ai connus. Je me suis souvenue qu’en parlant avec quelqu’un ne fût-ce que cinq minutes, il allait m’être utile rien que dans sa manière de parler, de bouger ou de se vêtir”.
Vie monastique
Purement fictionnel, Age of Vice respire donc le vécu. “Lorsque j’évoque la mafia dans le roman, c’est une mafia à petite échelle mais des cartels extrêmement puissants sont présents dans le domaine de la construction. Les permis de bâtir se négocient âprement entre politiciens et entrepreneurs comme en Russie avec les oligarques à grand renfort de pots-de-vin. Les hommes de main qui cassaient hier quelques jambes et rackettaient pour le compte de politiciens corrompus deviennent eux-mêmes politiciens afin d’avoir encore plus de pouvoir. Aujourd’hui, la mafia est du même côté que la loi alors que les Soprano étaient à l’opposé.”
Pour Deepti Kapoor, l’heure du changement sonne au milieu de sa vingtaine. Elle quitte Delhi et le journalisme pour s’installer à Goa et mener une vie aussi austère que sa précédente vie n’était qu’excès. “J’ai étudié le yoga, je l’ai enseigné et je menais une vie monastique. Je me réveillais à l’aube, je m’entraînais durement et ensuite, je lisais parce que gamine, je n’avais lu que Dickens et j’exagère à peine.”
Au bord de la plage, sous les palmiers de cette ancienne colonie portugaise, Deepti se plonge dans Marguerite Duras. Ce sera une influence majeure de Un mauvais garçon, publié en 2015 aux éditions du Seuil, une histoire passionnelle, vénéneuse et destructrice entre une jeune femme et un homme plus âgé. Elle poursuit son “éducation littéraire” avec Cormac McCarthy, Paul Bowles, Raymond Chandler, John le Carré, Salman Rushdie ou Arundhati Roy. Après avoir laissé infuser des dizaines et des dizaines de romans, elle se lance dans l’écriture de ce qui deviendra Un mauvais garçon. En 2017-2018, et aux deux tiers du processus créatif de Age of Vice, elle coince. “Je me demandais ce que j’allais faire avec tous ces personnages, ça m’angoissait. Lorsque j’en ai parlé avec mon éditrice, elle m’a encouragée à me lancer dans une trilogie. C’est vrai qu’il y a de quoi faire évoluer ces hommes et ces femmes en parallèle de l’évolution sociale et politique de la société.” Pour l’heure, c’est l’adaptation en série de Age of Vice qui prime sur l’écriture du deuxième opus, annoncé pour 2024 et plus vraisemblablement 2025. “Pas question de le faire à la Slumdog Millionaire, que nous avons eu du mal à regarder, parce que pas authentique pour un sou avec ces Indiens parlant anglais…” Pas folle la guêpe!
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