Album - Un amore debole
Artiste - Ada Oda
Genre - Rock
Label - 62TV Records
Un ancien BRNS s’acoquine avec la fille de Frédéric François pour surmonter la crise de la trentaine et faire sonner le rock belge en italien. Avanti!
Bouffe bio et musique qui dépote… C’est à une table de Super Fourchette, un resto, disquaire et café concert du centre de Bruxelles, que le noyau dur d’Ada Oda a fixé rendez-vous. Le choix n’est pas anecdotique. C’est là que le jeune groupe est monté pour la première fois sur scène il y a tout juste un an. “J’étais déjà venu voir des groupes ici, raconte le souriant César Laloux, l’ancienne pile électrique de BRNS. J’aime vachement bien la vibe. Charlotte, la tenancière, joue dans Tuvalu. Elle vend plein de cassettes et de vinyles de petits labels. Symboliquement, c’était un endroit cool pour se rencontrer. D’autant qu’on garde un bon souvenir de ce moment. Souvent, les gens vont aux premiers concerts pour critiquer, casser du sucre. Là, le public avait été cool avec nous et il était reparti avec la banane.”
C’est clair que les chansons en italien des Bruxellois foutent le smile en même temps que des fourmis dans les jambes. Ada Oda est né dans le Périgord. “Au premier confinement, ma copine de l’époque m’a proposé de la suivre chez sa mère, explique César. On croyait qu’on y allait pour quinze jours et finalement on y est restés deux mois. J’avais pris mon ordi et mon clavier midi. Je m’étais dit que j’allais en profiter pour refaire de la musique. J’avais un peu abandonné l’idée.”
Laloux joue, crée, compose. Il enregistre des maquettes. Puis, de retour au pays, il essaie de trouver quelqu’un pour mettre des textes sur le projet, des mots sur ses morceaux. “J’ai d’abord contacté un mec de Ping Pong Tactics, un groupe flamand plein de charme et super lo-fi qui chante un peu faux. Le type est un poète. Il ne l’a pas trop senti. Et puis, je me suis souvenu que j’avais un peu parlé musique avec Victoria un an auparavant sur Tinder. Elle avait un projet mais ça avait l’air de traîner la patte.”
Victoria, c’est Victoria Barracato. La fille de Frédéric François, on y reviendra. “César m’a envoyé un message en me disant qu’il avait trouvé l’amour, que ce n’était pas pour ça qu’il me recontactait. On ne s’était toujours pas rencontrés. Mais il cherchait un chanteur ou une chanteuse pour poser sa voix sur ses maquettes. J’étais à ce moment-là repliée chez mes parents à Wanze. J’ai commencé à balancer deux ou trois mots en italien et je me suis enregistrée. Il m’avait demandé de parler plus que de chanter. Je trouvais ça bizarre. Je pensais que ça n’allait pas le faire. Au début, je n’avais même pas trop compris ce qu’il me demandait.”
Leur premier album, Un amore debole (”Un amour faible”), a un côté secoué, des couleurs no wave. “Tu es toujours un peu influencé par ce que tu aimes. Mais je voulais y aller en freestyle, explique César. M’éloigner un peu de ce que j’avais fait auparavant. Proposer quelque chose de plus nerveux. J’avais découvert pour le boulot des trucs un peu plus fous. Je pense à Milk TV, à Pega. Des gens un peu plus fougueux. Des trucs un peu plus niche, un peu moins tièdes.” “Ton monde, du moins celui-là, a un peu rencontré mon univers italien à moi”, complète Victoria.
César n’aime pas parler de post-punk. “C’est une étiquette que les gens collent sur les affiches pour vendre des tickets de concerts.” Et il n’avait à la base même pas exclu le français et l’anglais. “Disons qu’il y avait une volonté de s’en écarter si possible. Comme Victoria s’appelle Barracato, je me suis dit: tiens, peut-être qu’elle cause italien… Si elle avait porté le nom de sa mère par exemple, on aurait pu y aller en polonais.” “L’idée était de sortir des sentiers battus, ponctue la jeune femme. Parce que ce genre de musique a quand même une grosse propension à l’anglo-saxon. En Italie où tous les groupes de rock essaient de chanter en anglais, on s’étonne qu’un groupe étranger essaie de chanter en italien. Ça les a touchés en fait qu’on emprunte leur langue.”
“A posteriori, je pense que ça nous sert plus que ça nous dessert, poursuit César. J’ai le nez sur la Belgique mais j’ai vraiment le sentiment de manière générale que les gens aujourd’hui ont beaucoup moins peur de s’exprimer dans leur langue. Ici, ce n’est pas le cas. Mais Victoria pouvait quand même se le permettre. Elle le parle assez bien pour que ce soit crédible et ça faisait sens qu’elle se l’approprie.”
Je t’aime à l’italienne
Avant Ada Oda, Victoria n’a jamais eu de groupe. Elle a appris le piano au conservatoire de Huy et la guitare à l’Atelier Rock où le groupe jouera en décembre. Elle s’est entraînée adolescente sur du Guns N’Roses mais a étudié le cinéma. “J’ai bossé et je bosse encore un peu dans l’audiovisuel. Caméras, éclairages… Plutôt des trucs techniques même si j’ai réalisé des clips et des documentaires.” Elle n’a pas trop envie d’en parler. Elle a été assistante caméra sur des grosses comédies françaises mais s’est détachée du milieu. “Ça ne me parlait plus trop. J’ai progressivement lâché et César est arrivé.”
Victoria montre beaucoup moins de réticences à évoquer son paternel. Elle est née un soir de 1990, alors que son père interprétait Je t’aime à l’italienne sur la scène de l’Olympia. “À chaque concert, il raconte l’anecdote. Il a composé il y a très longtemps une chanson pour moi. Et chaque fois avant de l’entonner, il dit: “Alors, il y a 32 ans, j’étais sur la scène de l’Olympia. J’avais relié un téléphone des loges à l’hôpital…” Il paraît qu’il sortait de scène après chaque morceau: “Alors, c’est bon, elle est née?”Je suis arrivée vers 22h30. Il était en train de terminer son tour de chant. Une semaine après, je le rejoignais à Paris.”
Les ventes de disques du chanteur de charme sont estimées à près de 15 millions d’exemplaires en France. Ce qui fait de lui le troisième chanteur belge le plus vendu de l’Histoire derrière Adamo et Jacques Brel. “J’ai grandi là-dedans. Avec la famille, on allait tout le temps à ses concerts. Je pense l’avoir vu une centaine de fois. Je connais tout par cœur. Lui est quand même déjà passé à deux des nôtres. Je pensais qu’il ne viendrait pas, mais il s’est ramené discrètement à la dernière minute. Il n’est pas du tout du style à faire la fête. Mais là, attention, il avait commandé un cocktail. Et il le brandissait et criait. J’ai un papa très protecteur. Au KulturA, il est même aller voir l’ingé son: “Un peu plus fort la voix quand même.””
Victoria n’a pas été bercée que par la musique de son père. Dans toutes les réunions de famille, c’était la fête autour des grands classiques italiens et siciliens. “C’est marrant, pratiquement tout le village de mon père aémigré en Belgique. Il ne reste quasiment plus personne là-bas. Donc lui n’a jamais vraiment voulu y retourner. Il avait l’Italie à Liège. On était dedans quand même. La culture est très très forte dans ce genre de famille.”
Si son padre était branché chansons traditionnelles (“J’en ai fait découvrir quelques-unes au groupe dans la voiture lors de notre tournée”), ça parlait français à la maison. Une volonté d’intégration. Mais Victoria a pris des cours particuliers d’italien dès l’âge de 8 ans. La première initiative personnelle de sa vie. Elle évoque Lucio Battisti, parle de son amour pour le cinéma de Paolo Sorrentino et ses personnages hauts en couleur. “J’ai l’impression de les connaître. Limite qu’ils font partie de ma famille. J’imagine qu’il s’inspire de son entourage. Ses films sont souvent délirants. Je peux aussi faire le lien avec Fellini, ses personnages fracassants.”
“Moi, l’Italie, c’est un pays où j’essaie d’aller chaque année en vacances, rebondit César. C’est celui où on mange le mieux, où la langue est la plus jolie, où les gens sont les plus beaux et les mieux habillés. L’an passé, je suis allé y faire deux mois de bénévolat.”
Crise de la trentaine
On parle beaucoup, surtout chez les hommes, de la crise de la quarantaine. Un amore debole célèbre à sa manière celle de la trentaine. “Il représente une période où on avait tous les deux des coups de mou. Où on était dans le creux de la vague sentimentale et professionnelle. Victoria se réorientait et moi, j’avais décidé d’arrêter la musique. Un peu déçu par mes derniers échecs.” Sans regrets toutefois par rapport à son départ de BRNS. “Je pense avoir arrêté pour les bonnes raisons. Artistiquement, je ne m’y retrouvais plus à 100% et je n’avais pas envie de freiner le projet. On s’est quittés au bon moment et en super bons termes. Mais ce que j’ai fait après, en français, avec ma copine de l’époque, c’était autre chose. Ce groupe, Mortalcombat, n’était pas une bonne idée. J’avais envie de regoûter au succès. De revivre les mêmes trucs et donc de faire en sorte que ça marche. En plus, je suis arrivé avec une proposition musicale alors qu’il était déjà trop tard. J’essayais de copier des choses qui étaient un peu en vogue à ce moment-là en France mais qui en fait n’intéressaient pas grand monde.”
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Quand l’histoire d’amour s’est terminée et le groupe avec elle, César avait décidé de faire une pause. Il devait trouver un boulot et est devenu booker… “C’est le milieu que je connaissais, celui dans lequel je baignais. À l’époque, Victoria et moi avions une vision de la vie et des choses un peu pessimiste.” Cette impression que, passé 30 ans, tout sera plus fade et moins frais qu’avant.
Ça s’entend dans les textes pour ceux qui comprennent l’italien. Ils reflètent les lendemains qui déchantent, les amis qui déçoivent… “Avevo torto (”J’avais tort”) parle de ces gens qui croient qu’ils ont tout compris dans la vie et pensent qu’ils savent tout sur tout, détaille Victoria. Là, pour le coup, le personnage a l’étincelle. Il se réveille et réalise qu’il était à côté de la plaque.” Stanca di te est dédié à ceux qui parlent tout le temps d’eux-mêmes sans jamais écouter les autres. “C’est le genre de comportement qui nous irrite, approfondit César. Il y a pas mal de petites pastilles comme ça de trucs qui nous énervent un peu. On essaie de mettre des mots dessus, de raconter des situations assez concrètes plus que de juger. A posteriori, je pense que le groupe a agi comme un pansement. On était quelque part perdus etça s’est éclairci un peu. On est en train de trouver un sens à ce qu’on vit.”
Le disque a été enregistré entre Andenne, Ixelles et Anderlecht. “À un moment, on s’est rendu compte qu’on sonnait moins parti pris qu’on le voulait. Un peu comme tous les autres trucs de rock belge, sans citer de nom. Alors, on a tout repris depuis le début. On voulait se donner une vraie identité. La musique est assez accessible et solaire. Mais l’album baigne dans un pessimisme un peu ironique. Pas méchant ou noir à s’approprier des problèmes qu’on n’a pas. Plutôt des clins d’œil avec des petits coups de coude dans les côtes.”
Ada Oda a déjà eu l’occasion de tourner en Italie. Dans le cadre du festival We’re Loud organisé par le label garage Slovenly Recordings (notamment sur un bateau à Venise). Mais aussi dans des petites salles et des cafés disquaires. “J’avais peur que mon accent entache un peu leur italien, avoue Victoria. Mais apparemment, ils ont trouvé ça exotique. Un jour en France, une fille est venue me voir et m’a dit: “J’adore Almodóvar.” Elle croyait que je chantais en espagnol…”
Le 02/12 à l’Atelier Rock (Huy), le 04/12 au Cabron (Anvers), le 16/12 au Café Central (Bruxelles), le 17/12 au Rockerill (Charleroi), le 23/12 au Kinky Star (Gand).
Ada Oda
No wave du soleil, post-punk italo-belge, indie rock de bord de mer… Il n’y a plus de saison, qu’ils disaient. Le premier album d’Ada Oda fait in effetti souffler un vent de fraîcheur estival sur la scène du royaume à l’approche des vacances de Noël. Delta 5, ESG, Lizzy Mercier Descloux, Shopping, Gustaf… Un amore debole est un premier disque imparable et exotique, pop (La Maschera) et gentiment énervé (Niente da offrire, Non so che cosa ne sarà di me) qui aime les années 80 et secoue la culture transalpine.
Prodotto In Belgio
Romano Nervoso
Emmené par Giacomo Panarisi et son panneau de signalisation qui indique en toutes circonstances la direction de La Louvière, Romano Nervoso est le parrain du spaghetti rock. Un groupe qui chante souvent en anglais mais aussi régulièrement en italien, qui vante les pâtes de première qualité et se fout de la gueule de Berlusconi. Romano sortira son prochain album en septembre 2023. Un disque qu’il annonce plus psychédélique et macabre qu’à l’habitude. Avec évidemment quelques morceaux dans la langue de Dario Argento et d’Ennio Morricone.
Spagguetta Orghasmmond
Quand le Charly Oleg de Tournai rencontre le Vince Taylor du Frioul (via Marchienne-au-Pont), ça donne l’ovni Spagguetta Orghasmmond. Secondés par le percussionniste Stephen O’Maltine, les ragazzi célèbrent tout en décalage la variété italienne. Ils rendent hommage à Coppi et Bartali, chantent le Geneppi avec des body- builders allemands et prônent L’Amour à Charleroi. C’est l’Italie qui joue au golf sur la scène du festival de Dour et roule des pelles à des poissons vivants au bord des étangs de pêche hennuyers.
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