Centenaire de James Baldwin: son héritage sous toutes ses formes

James Baldwin, 1968, New York City (Photo by David Gahr/Getty Images) © Getty Images
Nicolas Clément Journaliste cinéma
Michel Verlinden Journaliste
Philippe Manche Journaliste
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Il aurait fêté ses 100 ans ce 2 août. Par-delà sa mort en 1987, l’écrivain new-yorkais exilé en France James Baldwin, grand disséqueur des tensions de la société américaine, n’a cessé d’irriguer la culture sous toutes ses formes.

Sur les écrans

Inspirateur notamment d’un passionnant documentaire signé Raoul Peck qui retrace la lutte des Noirs américains pour les droits civiques (I Am Not Your Negro en 2017, à partir de son manuscrit Remember This House), Baldwin apparaît dans divers docus (dont le Public Speaking de Martin Scorsese) et a lui-même écrit sur le cinéma (voir Le Diable trouve à faire, disponible aux éditions Capricci). Son puissant roman If Beale Street Could Talk a été adapté deux fois pour le grand écran, à 20 ans d’écart: par le réalisateur marseillais Robert Guédiguian d’abord (À la place du cœur, 1998), puis par l’oscarisé Barry Jenkins bien sûr (If Beale Street Could Talk, 2018). À noter que le célèbre acteur queer Billy Porter (la série Pose) s’apprête à incarner James Baldwin dans un biopic qu’il a lui-même coécrit.

A la place du cœur

Essais et romans

La romancière américaine Toni Morrison a déclaré que Ta-Nehisi Coates “a repris le rôle intellectuel laissé par James Baldwin à sa mort”. Né à Baltimore en 1975, l’auteur du best-seller Une colère noire, lettre à mon fils (2015) peut en effet être considéré comme le digne héritier de l’auteur de La prochaine fois, le feu. Cet essai publié en 1963 constitue la grande influence de l’ouvrage de Coates, dont le titre est emprunté à un poème de Richard Wright. Comme Baldwin, l’immense écrivain afro-américain y dénonce la violence raciste, partie intégrante de la culture américaine.

Toni Morrison, Colson Whitehead ou Ayana Mathis s’inscrivent eux aussi dans cette veine explorant une Amérique toujours hantée par le ségrégationnisme. S’ajoutent à cette liste sans fin S.A. Cosby, mais aussi des écrivains blancs comme Greg Iles et sa trilogie du Mississippi ou David Joy.

Ta-Nehisi Coates (Photo by Elias Williams/for The Washington Post via Getty Images) © The Washington Post via Getty Images

Une voix qui résonne

La musique a toujours occupé une place significative dans l’œuvre de James Baldwin. Tout comme dans sa vie. Proche de Nina Simone et de Miles Davis, l’écrivain a d’ailleurs sorti plusieurs albums. The Struggle, par exemple, est un disque de spoken word datant de 1969 -samplé notamment par un rappeur comme Earl Sweatshirt. Publié après sa mort, en 1990, sur le label belge Les Disques du Crépuscule, A Lover’s Question a été conçu avec David Linx et Pierre Van Dormael (frère de Jaco), et la participation de Toots Thielemans, Steve Coleman, etc. La voix de l’écrivain continue toujours de résonner aujourd’hui. Par exemple dans les derniers disques de la chanteuse Jamila Woods ou du rappeur Vince Staples. Cette semaine, la célèbre bassiste Meshell Ndegeocello publie même un album-hommage, No More Water -The Gospel of James Baldwin, sur le label Blue Note: “(James Baldwin) a adouci mon cœur de tellement de manières

David Linx et James Baldwin en session studio

Toiles

En 1940, James Baldwin, 16 ans, tambourine à l’atelier du peintre Beauford Delaney, à Soho. Dans le studio new-yorkais, l’adolescent trouvera en la personne du coloriste afro-américain la preuve vivante que l’art permet de s’extraire de sa condition, ce qui n’est pas sans risque pour une personne racisée à l’époque. Il donnera corps à cette ambiguïté à travers le personnage de Fonny, sculpteur et amant de Tish dans If Beale Street Could Talk. Fécondée par l’œuvre plastique de Delaney, l’œuvre de Baldwin évitera le traitement moralisant ainsi que les oppositions binaires tout en convoquant le registre intime (le corps) et en restituant la complexité humaine. Du vivant de l’écrivain, ce manifeste s’offrira un premier versant visuel à la faveur d’un ouvrage, avec Richard Avedon: Nothing Personal livre un panorama percutant des États-Unis. Par la suite, une floppée de plasticiens citeront Baldwin comme une influence déterminante: Lorna Simpson, Carrie Mae Weems, Glenn Ligon, Theaster Gates… Il reste que la convergence la plus marquante s’opère à travers la figure de David Hammons, dont l’œuvre en appelle à la physicalité (les célèbres Body Prints) et à l’irrévérence (Pissed Off).

© Smithsonian American Art Museum

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