Et si les nouvelles technologies nous emprisonnaient dans la nostalgie…

Michael Jackson, Elvis ou Amy Winehouse ressuscités grâce aux hologrammes. Bientôt, avec l’IA, la mort ne sera plus qu’un mauvais souvenir…
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On les croit tournées vers l’avenir, et pourtant, à bien y regarder, c’est plutôt vers la nostalgie que les nouvelles technologies nous poussent. Morts ressuscités, vieux tubes mis à jour, sequels… Le futur, c’est le passé.

En découvrant l’autre jour au saut du lit le diaporama concocté par mon iPhone en piochant –sans mon autorisation– dans le fouillis de plus de 13.000 photos entassées dans sa mémoire, je me suis demandé si le but caché des nouvelles technologies n’était pas de nous emprisonner dans le passé. Même si c’est contre-intuitif. On associe en effet naturellement les innovations au futur. Logique. Depuis toujours, le cinéma et la littérature qui ensemencent notre imaginaire font rimer inventions avec conquête de nouveaux espaces, dépassement de soi, comme si l’humain était programmé pour aller de l’avant, rouage complice d’un mouvement perpétuel qui le dépasse.

Et c’est vrai que les grandes découvertes de l’ère industrielle s’inscrivaient dans cette perspective. L’électricité, le train, la radio, le téléphone, l’avion, la télévision ont élargi nos territoires, repoussé les limites, permis de conquérir de nouveaux espaces, à la fois géographiques et mentaux. Pas toujours pour le meilleur, mais toujours avec l’idée que la rédemption ou une forme de récompense divine se trouve derrière l’horizon, du côté de l’inconnu.

Mais depuis la dernière révolution majeure, celle d’Internet, la réalité a peu à peu dévié de ce schéma. Même si on continue à cultiver en apparence le goût de l’aventure, et à voir dans chaque découverte spectaculaire la preuve de la persistance de ce mythe, dans les faits, le carburant de cette course technologique n’est plus la quête d’un ailleurs fantasmé, transcendantal, mais plutôt la nostalgie, le repli. Comme si l’intrépide explorateur d’hier s’était affalé dans un canapé pour ressasser en boucle ses souvenirs. 

Musk rêve certes d’aller sur Mars, mais la plupart des applications concrètes exploitent notre mal du pays de l’enfance ou nous entraînent sur des terrains connus, balisés, rassurants: ici, des portraits de soi (plus jeune, plus souriant, plus épanoui) enrobés d’une petite musique sirupeuse, là des tubes d’hier exhumés par la Gen Z, là encore des concerts d’hologrammes de stars disparues. La madeleine de Proust n’est plus un mets raffiné que l’on croque au hasard, elle est vendue par paquets de six au supermarché numérique.   

Des journalistes et sociologues ont théorisé ce renversement: on parle de «rétromania», de «foreverism». En multipliant les franchises, les prequels, bref en repassant les plats, l’industrie culturelle s’est mise au diapason de ce rétropédalage. Une volte-face derrière laquelle il serait tentant d’imaginer la main d’un projet machiavélique visant à nous anesthésier et à nous soumettre au Dieu machine. Alors qu’il s’agit sans doute plus prosaïquement de la conjonction d’intérêts économiques et d’un penchant naturel à la nostalgie. 

L’IA va encore accentuer le mouvement, en proposant une solution –vivre dans une bulle artificielle de jolis souvenirs– au problème de saturation que la technologie a elle-même engendré. Rien d’étonnant, le recyclage est inscrit dans l’ADN des outils génératifs qui ne font que plagier ce qui existe déjà. Comme un perroquet, qui ne parle pas mais imite à la perfection. La tech promet ainsi de ressusciter nos morts en recréant leur voix, leur façon de parler, et même leur manière de penser. Une rupture épistémologique qui annihile l’expérience douloureuse mais fondatrice de la perte. Avec le risque, à terme, de finir comme ces animaux dans les zoos qui à force d’être nourris, sont devenus incapables de survivre dans leur milieu naturel. Nourris, blanchis mais malheureux…

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