À Paris s’exposent toutes les facettes d’Agnès Varda
Sous l’intitulé Viva Varda!, la Cinémathèque française consacre une large exposition à Agnès Varda, cinéaste et photographe, femme et artiste féministe et libre dont le rayonnement devait aller bien au-delà de la Nouvelle Vague.
“Je ne veux pas montrer, mais donner l’envie de voir”, soulignait Agnès Varda. Volonté qu’allaient traduire films (une quarantaine de courts et longs métrages, fictions et documentaires confondus), photographies innombrables et installations d’art contemporain. Pour une œuvre polymorphe et éminemment personnelle, dont l’exposition Viva Varda! que lui consacre la Cinémathèque française restitue l’ampleur et l’impact, non sans traduire l’engagement de l’artiste dans le contexte politique et social de son temps, son parcours s’inscrivant au confluent d’un féminisme précurseur et d’une liberté toujours réaffirmée.
Aventures créatives
Si elle est née à Ixelles, au 38 avenue de la Couronne, avant de passer son enfance rue de l’Aurore, à deux pas des étangs, Varda a résidé le plus clair de son existence dans le 14e arrondissement de Paris, au 86 de la rue Daguerre. Un cadre qu’elle a d’ailleurs régulièrement mis en scène, de photographies et autoportraits en Daguerréotypes, et où le parcours muséal imaginé par Florence Tissot et Rosalie Varda, fille d’Agnès, marque un temps d’arrêt, en tant que point de départ de toutes ses aventures créatives. Une expression qui n’est ici nullement galvaudée, Agnès V. débutant comme photographe -sa première expo a lieu en 1954- avant de s’emparer du 7e art, produisant et réalisant la même année le court métrage La Pointe courte. L’occasion pour Varda de s’affranchir des règles alors généralement en vigueur, s’imposant en femme cinéaste à une époque où elles étaient rares, et privilégiant un tournage en décor naturel préfigurant le cinéma de la Nouvelle Vague, auquel on l’a longtemps associée. À quoi s’ajoutera une “révolution” du regard repensant les représentations du couple et des femmes -un processus à l’œuvre de Cléo de 5 à 7, le film qui l’impose en 1962, à Sans toit ni loi, son plus grand succès, Lion d’or à Venise en 1985. Et une trajectoire que l’exposition documente abondamment, photographies (signées de son objectif ou non), carnets, de repérage et autres, extraits, affiches internationales et multiples memorabilia à l’appui. Il y a là, par exemple, le manuscrit de l’article de Godard sur Cléo de 5 à 7 pour les Cahiers. Ou, témoignage d’un projet avorté celui-là, une lettre à Monica Vitti pour La Mélangite. Mais aussi le blouson en similicuir arboré par Sandrine Bonnaire dans Sans toit ni loi. Ou encore, plus insolite, un échange avec Madonna, qui avait pris une option pour un remake de Cléo de 5 à 7, sur le plateau de l’émission Coucou c’est nous! animée par Christophe Dechavanne en 1993.
Si la filmographie de l’artiste en constitue la colonne vertébrale -du Bonheur, qui fit scandale en 1965, à Visages Villages, concocté aux côtés de JR 50 ans plus tard, sans oublier l’épatant docu Les Glaneurs et la Glaneuse, sorti avec le XXIe siècle-, l’exposition a aussi le bon goût de s’en écarter, pour s’attacher à d’autres facettes de son parcours. Et saluer notamment la femme libre et moderne, faisant des choix personnels s’écartant des conventions de l’époque, vivant par exemple en couple avec Valentine Schlegel, ou choisissant d’élever sa fille sans père biologique. Curieuse dans son être comme dans son art, qui côtoiera notamment Alain Resnais et Chris Marker, les cinéastes du Groupe Rive Gauche, sans même parler de ceux de la Nouvelle Vague. Au premier rang desquels son mari Jacques Demy, 30 ans de complicité amoureuse et créative généreusement illustrée, entre nombreuses photos, scrapbook offert pour Noël en 1962, et jusqu’au modèle Dinky Toys MG Midget flanqué de la figurine de Gary Lockwood inspiré de Model Shop, tourné par le réalisateur de La Baie des anges à L.A. en 1968.
Nomade de la création
Si elle s’imposera comme une aventurière des formes, tâtant encore de l’art contemporain avec ses installations photographiques (ses patates-cœurs par exemple) et vidéo, Varda est aussi une nomade de la création en effet. Et le parcours retrace également son attention aux bouleversements politiques de son temps, photographiant la Chine de Mao dès 1957, avant de signer en 1964, Salut les Cubains, au départ de ses clichés pris dans la foulée de la révolution castriste -il faut voir son portrait du “lider maximo”-, puis de participer à l’aventure Loin du Viêtnam. Et de bientôt s’attacher, en artiste de conviction, aux mouvements sociaux et culturels agitant l’Amérique des années 60, Black Panthers en 1968 ou hippies un an plus tard dans Lions Love (… and Lies).
Varda, est partout, en Californie et ailleurs; devant l’objectif polaroïd de Warhol comme en une d’Interview; en première ligne des luttes féministes mais aussi de l’engagement aux côtés des marginaux, un thème qui irriguera sa carrière de Mur Murs en Sans toi ni loi. Et jusqu’aux Glaneurs et la glaneuse bien sûr, documentaire emblématique où elle interrogeait une société produisant à la fois surconsommation et misère, non sans observer son propre vieillissement à l’œuvre. Pas la moins audacieuse des aventures d’une artiste animée par une insatiable curiosité du regard, cette exposition constituant une irrésistible invitation aux voyages avec Varda, de-ci, de-là…
Viva Varda!, jusqu’au 28/01, à la Cinémathèque française, Paris. www.cinematheque.fr
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