À Paris avec 4.500 fans hardcore de Final Fantasy XIV
Rassemblant 4.500 fidèles à Paris le mois dernier, le Final Fantasy XIV Fan Fest téléportait les avatars de ce jeu de rôle massivement multijoueur dans notre réalité. Certains s’y rencontraient pour la première fois après des années d’odyssées communes en ligne. Rencontre avec une communauté pas comme les autres.
« Je me trouve moche dans la vie, j’ai donc choisi d’incarner Dragon Knight, un chevalier stylé, ça me change« , lâche abruptement -et un peu par provocation- Minami. Débarquée du vol Tokyo-Paris la veille, cette fan de Final Fantasy XIV Online s’évade jours et nuits de la réalité en plongeant dans ce luxuriant MMORPG entre SF et fantasy. La guerrière virtuelle qui estime son temps de jeu à une centaine de jours cumulés ne regrette pas son voyage « in real life ». Arrivée en France via un tour-opérateur japonais spécialisé en conventions gaming, elle nous présente ainsi, tout sourire, Mihe et Yukie, deux gameuses qu’elle a rencontrées sur place. « Tous les tickets de la convention japonaise étaient sold out« , précise-t-elle tout sourire. « Nous sommes au final une vingtaine sur ce voyage. »
Lové dans le coeur de verre et d’acier de la grande halle de la Villette, le Final Fantasy XIV Fan Fest ne ressemble à nul autre événement gaming. La tension palpable d’un salon de jeu vidéo comme la GamesCom et le stress d’une compétition d’eSport y cèdent la place à une bienveillance générale. Passant du virtuel à la rencontre physique réelle, l’événement sold out a rassemblé ainsi de 4500 visiteurs se livrant facilement en interview. L’impossibilité d’agresser les aventuriers croisés sur les immenses territoires de cet univers aux dix millions de joueurs actifs (l’an dernier) influence probablement cette sollicitude, tout au long des deux jours du festival organisé le mois dernier.
Se jouant en solo ou en équipe, Final Fantasy XIV Online demande en premier lieu de créer un personnage en choisissant sa race et surtout une classe de guerrier, parmi quinze. Un « astrologue » qui guérit son équipe n’aura pas la même position sur le terrain de combat qu’un archer qui tire à distance. Un « chevalier noir » canalisera de son côté les coups de l’adversaire pour protéger l’équipe. Ouvrant des centaines de kilomètres de vallées à la minéralité extraordinaire, dressant des cités impossibles et creusant des grottes tapissées de sols mobiles, ce jeu vu à la troisième personne cultive le sens du merveilleux. Des démons emprisonnés dans les murs de lave d’une salle claustrophobe à des monstres mythologiques japonais, le MMORPG n’abrite pas que des clans (dites « compagnie ») d’hardcore gamers.
Les femmes et les enfants d’abord
« On joue toujours ensemble avec mon mari, le week-end ou en soirée, une à deux heures. On a moins de temps à cause de la famille. Donc on a créé une guilde, Blaue Rose, aux règles d’inscription plus souples. De fil en aiguille, d’autres ex-gamers qui sont devenus parents nous ont rejoints« , note Anne, 31 ans, tout sourire. Originaire de Dortmund, cette mère qui a rencontré le père de ses trois enfants sur Ragnarök (un autre MMORPG) il y a dix ans, aide des anciens combattants à reprendre les armes. « Nous leurs donnons des conseils car ce n’est pas facile de reprendre. Nous avons fini par organiser des micro-festivals pour les familles, des rencontres en week-end au vert, où l’on se retrouve avec une quinzaine d’autres parents. »
D’un minigolf à des courses de Chocobos mécaniques, la partie la plus visible du Final Fantasy XIV Fan Fest déballe plusieurs jeux forains en carton-pâte cheap. L’événement qui occupe un tiers des 18.000 mètres carrés de la grande halle de la Villette, attire toutefois des gamers européens, américains et japonais pour d’autres raisons. Les membres de cette communauté déboursent ainsi 129 euros (pour deux jours) pour faire connaissance « in real life », après des années à combattre et à vivre des épopées en ligne. Une expo, un concours de cosplays et deux concerts s’alignent également dans la programmation chargée de l’événement. Moment phare du festival, la conférence de Naoki Yoshida, le producteur du jeu, s’apparente pour les festivaliers comme à l’arrivée du Messie.
Une large épée à l’épaule, déguisé en combattant, l’homme fort de Final Fantasy XIV est accueilli comme une rock star. Le créateur de 45 ans rit de son âge et avoue que son arme factice est trop lourde. Ses plaisanteries communicatives précèdent les détails de Shadowbringers, la mise à jour du jeu. Le public, dont la vie en ligne dépend de cette présentation, boit ses paroles. « Où se passera le patch 5.0?« , demande Yoshida. « Sur la Lune!« , hurle un spectateur. Répondant en souriant qu’il faudra attendre la version la 7.0., le développeur cultive un vrai dialogue avec la salle.
L’effervescence de ce moment entre conférence de presse et one-man-show théâtral tient de la dimension très narrative de Final Fantasy XIV Online. Suivant deux autres mises à jour (Heavensward et Stormblood), Shadowbringers développe ainsi un pan entier de son scénario. Exactement à l’image de la nouvelle saison d’une série populaire sur Netflix ou Amazon…
« Le plus important pour nous est cette keynote, découvrir les nouveautés en temps réel et sentir les vibrations dans la salle! Avec un peu de recul, je me dis qu’on est des nerds finis… Et j’adore ça! C’est un peu comme le Download festival mais en jeu vidéo« , s’exclame Emma, de Londres, en plaçant des « c’est dingue » au bout de chacune de ses phrases. « Avec ma pote, Stacey, on est handicapées. On passe le plus clair de notre temps en ligne. S’il n’y avait pas cet événement, on ne se rencontrerait pas en vrai. Tu parles à tout le monde. C’est un jeu de piste pour trouver les gens IRL depuis le MMORPG. J’adore. »
Double vie, simple jeu
Lieux de socialisation, les boutiques de jeux vidéo et de disques disparaissent progressivement au profit de la vente dématérialisée. Les événements gaming « in real life » ont donc la cote. La dimension sociale de Final Fantasy XIV dope cette tendance. Kelly Quinquis, la community manager de Final Fantasy XIV totalise près de 7000 heures de jeu, soit dix mois de sa vie passés à former des équipes, élaborer des stratégies et combattre aux côtés de joueurs en ligne. Au-delà des autographes et autre merchandising, le Fantasy XIV Fan Fest brille donc comme un lieu de rencontre IRL relativement sûr. Si le courant ne passe pas lors de la rencontre avec un membre de son clan, le gamer peut se rediriger vers une foule d’autres activités.
« Quand vous parlez à quelqu’un en teamspeak, vous vous faites une image. Mais la plupart du temps, on se trompe bien entendu« , souligne René, 37 ans, employé de la poste allemande accompagnant son épouse Anne sur place. « Il y avait un type qui donnait des ordres vocaux à tout va dans le jeu. Quand on l’a rencontré pour la première fois à un meeting, il est resté sur une chaise pendant deux heures sans rien dire. C’était très gênant. Au final, ces meetings IRL permettent de voir si on peut pousser l’amitié plus loin. Ma femme est heureusement comme dans le jeu, elle donne son opinion directement. On s’est rencontrés dans le jeu et on a eu trois vrais enfants! »
L’idée même d’interagir avec de parfaits inconnus, dans un espace virtuel en ligne, relevait de la science-fiction à la fin des années 90. Aujourd’hui disparus, les MMORPG d’ EverQuest (1999) et d’Ultima Online (1997) ont ouvert un espace-temps expérimental, formidable et magique. Mais ce merveilleux a aujourd’hui disparu. La popularisation du genre auprès du grand public (via World of Warcraft), la banalisation des réseaux sociaux et la monétisation abusive du modèle du pay to win ont doucement effacé l’aura des jeux de rôle massivement multijoueurs. Des titres comme EVE Online, Elder Scrolls Online ou Planetside 2 poursuivent, certes, une belle carrière, mais les millennials préfèrent le sport électronique. En s’appuyant sur la fan base de Final Fantasy, Final Fantasy XIV Online redonne au final un peu de visibilité aux MMORPG auprès d’une génération de jeunes gamers. Celle-là même qui n’a jamais été bercée par le crachotement d’un modem asthmatique…
Plumes superstars
Final Fantasy XIV Online revient de loin. Sa première version a essuyé, en effet, un échec critique et public, en 2010. Si bien que Square Enix a décidé de redévelopper le projet de A à Z, trois ans plus tard. Se pratiquant via l’achat d’une copie et d’un abonnement à 13 euros par mois, cette refonte du jeu figure aujourd’hui parmi un des rares MMORPG (avec World of Warcraft) fonctionnant encore par abonnement. Témoignage de la bonne santé du titre, le concours de cosplay organisé pendant le Final Fantasy XIV Fan Fest de Paris forçait l’admiration. Kuribu, représentant une déesse blanche ailée (inspirée par la mise à jour de Shadowbringers) a survolé ainsi les 26 participants en lice, à la première place. Derrière l’oeuvre à plumes, l’oiseau de feu du Britannique Calley McCloud a épaté également la galerie en clignotant, au fil de 3.000 LED reliés à 17 batteries. Semblables au jeu, les mouvements du volatile habité par un humain ont même impressionné Naoki Yoshida, le producteur du MMO de Square Enix.
Organisé annuellement à Las Vegas, Paris et Tokyo, le Final Fantasy XIV Fan Fest draine depuis cinq ans de 4 à 5.000 visiteurs sur chacune de ses éditions. Mais la Kupocon célèbre également la série culte de Square, tous les ans en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada. Ce salon d’une journée s’étale comme un événement amateur, en hommage à cette saga qui a introduit le jeu de rôle japonais en Occident, dans les années 90. Si les grand-messes dédiées à des jeux spécifiques sont plutôt rares, on notera tout de même que le Runefest réunit à Londres la communauté de RuneScape, MMORPG lancé en 2001. De l’autre côté de la barrière, des compétitions de sport électronique raflent la mise en matière d’événement gaming. Une finale de League of Legends dépasse ainsi sans peine les 10.000 entrées payantes (comptez plus de 120 euros le ticket) en stade. Le tout gonflé par des audimats de centaines de millions de vues sur Twitch et YouTube, qui se partagent le gâteau des chaînes de streaming pour jeu vidéo.
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