« À Liège, la réussite dérange, mais quand tu es dans la merde, tu peux compter sur les gens »

Fabrice Lamproye, dans le Reflektor liégeois © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’histoire du Reflektor est aussi celle de Fabrice Lamproye, quadra liégeois, juriste, créateur de feu la Soundstation, pilotant aujourd’hui en duo le festival Les Ardentes. Entre autres.

« Le Reflektor est aussi un lieu de résidence équipé qui se met à la disposition des artistes de Bruxelles et de Wallonie, comme Roscoe. C’est une obligation dans le contrat-programme qui nous lie à la Fédération Wallonie-Bruxelles: on est concessionnaires du Reflektor pour dix ans. » La FWB a financé plus de la moitié de l’aménagement du club -deux millions d’euros- en compagnie de la Ville de Liège. Fabrice Lamproye et son partenaire Gaëtan Servais ont, eux, investi à hauteur de 150 000 euros, pour fignoler notamment une régie son-lumières et une acoustique grand pro. Ces deux-là sont comparses dans le festival Les Ardentes et d’autres activités musicales gérées via une asbl et une société commerciale. En 2008, La Soundstation s’arrête: Lamproye et ses deux partenaires de l’époque se séparent et mettent en vente l’ancienne Gare de Jonfosse. Pendant une douzaine d’années, cette salle-studio-resto pluridisciplinaire a incarné un carrefour d’à peu près toutes les vibrations alternatives liégeoises. Pendant le gap de six-sept ans, Lamproye et Servais font grandir Les Ardentes -créées en 2006- et organisent des concerts là où ils le peuvent, comme à la Brasserie Sauvenière, aux Grignoux, voire au Forum mais surtout à la Caserne Fonck, vaste chose modulable entre 600 et 1500 visiteurs où « il faut à chaque fois tout amener, ce qui est lourd en termes de logistique ».

Lorsque la Ville de Liège, qui désire perpétuer un lieu façon Soundstation, acquiert l’espace du futur Reflektor, elle fait suivre, en 2011-2012, un appel d’offre pour débusquer de futurs gestionnaires. « On a vraiment été les seuls à répondre, explique Lamproye, même s’il existe d’autres associations que nous, comme JauneOrange ou Liège 3000, mais qui n’avaient sans doute pas envie de prendre un tel risque. On paie quand même 3500 euros au mois, ce qui met le seuil de rentabilité aux alentours d’une centaine de soirées à l’année, moitié productions propres, moitié locations. » La saga ne fut pas si simple à boucler, « le processus lourd et lent, la Ville -qui a mis un quart des deux millions d’euros- choisissant tous les prestataires via des marchés publics ».

En ce 4 mai, jour de notre discussion liégeoise, Lamproye est à la fois excité par le premier accueil –« les gens viennent et aiment, on est un peu au-delà de la moyenne de remplissage initialement fixée à 300 personnes par événement »– et conscient que, dans ce business, rien n’est jamais gagné. Ainsi le flop du concert de Colin Stetson & Sarah Neufeld le 27 avril: 50 entrées à peine. Ou les reproches faits à Fabrice d’être « pistonné politiquement » via Gaëtan Servais, très introduit au PS, ou encore de jouer au monopole sur Liège via ses alliances privilégiées avec Live Nation. « Moi, je n’y suis pas, au PS (sourire), et je pense qu’en Wallonie, on fantasme beaucoup sur le succès. Ici, à Liège, la réussite dérange, par contre quand tu es dans la merde, tu peux compter sur les gens (sourire). Quant au monopole, on n’a aucune volonté pareille, on est tout le temps en concurrence et pas forcément avec les Liégeois. Le vrai pari est de pouvoir attirer des gens par rapport à Gand ou Anvers. C’est un travail de longue haleine: j’ai commencé en 1992 avec des soirées à 100 personnes… »

Dans le Focus de cette semaine, le point sur le bouillonnement rock et électro à Liège. Mirage ou vrai printemps musical en bord de Meuse?

Avec les interviews de Fabrice Lamproye, Redboy (MLCD), Pierre Dumoulin (Roscoe), Audrey Di Troia (Full Colorz), DJ Kwak, Thomas Médard (The Feather), Bernard Dobbeleer, Kaer (Starflam)…

Un dossier illustré par le photographe liégeois David Widart.

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