3 questions à Andrew Dominik, réalisateur de One More Time with Feeling

Andrew Dominik, à Venise pour présenter son documentaire sur Nick Cave, One More Time with Feeling. © EPA/Claudio Onorati
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Il fallait assurément un proche pour réaliser un document aussi douloureusement intime que One More Time with Feeling, où les sessions d’enregistrement de l’album Skeleton Tree, des Bad Seeds, se confondent avec le contexte ayant conduit à son écriture, la disparition tragique du fils de Nick Cave, Arthur.

C’est donc vers Andrew Dominik que s’est tourné le chanteur, le réalisateur néo-zélandais étant une vieille connaissance, pour qui il avait d’ailleurs signé la musique de The Assassination of the Coward Robert Ford en compagnie de son complice Warren Ellis. Focus l’a rencontré lors de la Mostra de Venise, où le film était présenté en première mondiale.

Pourriez-vous revenir sur la genèse de ce projet, et son évolution?

A l’origine, Nick m’a demandé de tourner un film au départ des chansons de Skeleton Tree. Les chansons correspondent à environ 35 minutes de matériel, ce qui était insuffisant si l’on voulait que des gens aillent le voir au cinéma, et nous avons donc décidé d’intégrer d’autres éléments, sans vraiment savoir de quoi il s’agirait. Nous avons commencé à tourner, et le film a pris forme. Nick n’apprécie pas de faire du cinéma, c’est donc devenu quelque chose d’unique (…) Nous avons passé un contrat: il a décidé de me faire confiance, et je lui ai dit qu’il pourrait couper tout ce qui ne lui plaisait pas. En échange de quoi, il devait répondre à toutes mes questions et faire ce que je lui demandais. Vu ce qu’allait aborder le film, notre souci principal était de ne pas exploiter la tragédie, ni de « déshonorer » Arthur, et je pouvais d’ailleurs ressentir combien les sentiments de Nick à l’égard de l’entreprise étaient incertains. On ne sait pas toujours ce par quoi il passe, et je lui ai demandé d’ajouter une voix off. Il a enregistré, sur son iPhone, des textes de chansons qui n’avaient pas abouti, ses rêves, mais aussi ses réponses à des questions spécifiques que je lui posais. Au final, nous avions trois heures de matériel, embrassant différents sujets, et le film est devenu ce qu’il est.

Pourquoi avoir choisi de tourner en 3D?

J’ai une petite collection d’appareils photo 3D, et j’ai toujours trouvé fascinant de pouvoir regarder les visages des gens en trois dimensions, avec de la profondeur. Je tenais à tourner le film en noir et blanc, et je trouvais intéressant de combiner le côté élégant de ce dernier avec la dimension immersive de la 3D. Qui plus est, la musique de Nick Cave est spatiale, avec un véritable sens de la profondeur sonique, et un rapport des sons à l’espace. J’avais donc le sentiment que la musique et la 3D s’accorderaient au mieux. Je voulais que ce film soit une expérience. Il n’y avait pas vraiment d’histoire ni de narration, or ce sont des éléments qui ont tendance à interférer quand on regarde un film en 3D. J’ai considéré qu’en le tournant de la sorte, il serait plus expressif, et me permettrait d’atteindre les gens autrement. Pour moi, la 3D donne un autre regard sur le monde.

Ce film est-il aussi un substitut à la promotion que Nick Cave aurait dû assurer pour l’album Skeleton Tree? Et cette dimension a-t-elle influencé le contenu du film, et notamment la façon dont la douleur y est abordée?

Oui. Je me suis fixé pour règle de ne conserver que des éléments donnant un aperçu de ce en quoi consistait le fait de devoir composer avec cette douleur. Je ne tenais pas à ce qu’il y ait des émotions déplacées, il fallait que Nick ait quelque chose à dire sur le sujet. Je ne savais pas pourquoi il tenait nécessairement à faire ce film, mais ses motivations sont devenues plus claires à mes yeux à mesure que nous avancions. Nick a une vie publique, que cela lui plaise ou non. Et il sait que même si son instinct lui dit que cette histoire est du ressort privé, ce n’est pas non plus une position réaliste. Il a donc essayé de procéder d’une façon où il n’ait pas à s’exposer devant des personnes n’en ayant rien à faire. C’est une chose de me raconter à moi, qui suis son ami, ce par quoi il passe; c’en est une autre de devoir le faire devant des journalistes qui sont des étrangers. En d’autres circonstances, il peut parler pendant des jours à des journalistes musicaux et s’en porter très bien; mais avec la mort de son fils, vous imaginez? Et comment aurait-il pu faire une interview autour de l’album sans devoir en parler? Cela n’était pas envisageable, voilà donc sa réponse.

One More Time with Feeling est diffusé, en projection unique, dans les salles du réseau Kinepolis ce jeudi soir, à 20h. Lire notre critique.

Skeleton Tree, sortie le 9 septembre. Critique, et interview intégrale d’Andrew Dominik dans le Focus du 16 septembre.

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