1967, l’année de grâce (2/7): The Velvet Underground and Nico

Le Velvet et Nico... Moe Tucker, tout sourire à l'arrière de la photo, dira plus tard avoir échangé trois phrases avec la mannequin durant l'entière carrière du groupe new-yorkais. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Putes, travestis, freaks, paumés, camés… Le Velvet Underground, sponsorisé par Warhol, plonge le rock dans les bas-fonds new-yorkais et lui offre des ambitions artistiques radicales.

« Si vous jouez encore ce morceau demain, vous êtes virés. » « Ce groupe ne remplacera jamais rien sauf le suicide.«  »Si c’est ce dont l’Amérique a besoin, nous allons tous mourir d’ennui, parce que c’est une célébration de la pire débilité élitiste.« La patronne du Café Bizarre dans le Greenwich Village qui les a embauchés pour jouer six soirs par semaine (« un café minable où on faisait fuir les gens« , dira Lou Reed), Cher qui assiste à un spectacle de l’Exploding Plastic Inevitable en 1966 et Ralph J. Gleason, l’un des cofondateurs du Rolling Stone (par ailleurs biographe du Jefferson Airplane), ne sont pas le seuls à cracher sur le Velvet Underground dans les années 60. Les réactions sont souvent virulentes à l’égard de ce groupe étrange et malsain emmené par un étudiant en littérature juif bisexuel, provocateur et perturbé, et un fils de mineur gallois qui se rêve chef d’orchestre. Leur premier album, ce disque à la banane « produit » par Warhol, n’en est pas moins considéré aujourd’hui comme l’une des pierres angulaires du rock. La faute notamment à des chansons aux lumières artificielles qui baignent dans la crasse, les drogues dures et les perversions sexuelles… Un monde peuplé de prostituées, de travestis, de junkies, de paumés et de freaks bien loin du Summer of Love qui s’annonce au loin. « Hey white boy, what you doin’ uptown? » Dans les chansons de Reed, on attend son dealer (I’m Waiting for the Man), on célèbre la domination physique (Venus in Furs) et mentale (Femme Fatale). On vit aussi l’injection, du bout de la seringue, en compagnie du drogué (Heroin)… La musique se chargeant d’en recréer les sensations physiques.

Le Velvet Underground (qui a emprunté son nom à un essai sur les comportements sexuels hors normes) se fait repérer dès 1965 au Café Bizarre par deux collaborateurs d’Andy Warhol: Gerard Malanga et Paul Morrissey. « La première chose qui m’a marqué a été Maureen parce qu’on ne pouvait pas savoir si c’était un garçon ou une fille, raconte ce dernier. La deuxième fut l’alto électrique de Cale. La troisième fut le morceau Heroin.« 

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Plus proche d’un producteur de cinéma (le fric, les grandes directions…) que de musique, Warhol encourage Reed et le Velvet à ne pas se brider. La musique doit rester brute. Les textes ne peuvent en aucun cas être adoucis ou censurés. Le maître du Pop Art leur souffle à l’oreille quelques idées. La plus excentrique sera abandonnée: terminer I’ll Be Your Mirror par une griffe artificielle pour que le titre de la chanson se répète en boucle jusqu’à ce que l’auditeur retire lui-même le bras de son tourne-disque.

En échange du mécénat d’Andy qui trouve Cale et Reed « fabulous« , le Velvet Underground se voit imposer une beauté glacée arrivée à la Factory au bras du Rolling Stones Brian Jones. Nico a déjà chanté sans succès du Serge Gainsbourg et du Gordon Lightfoot. Mais pour Morrissey, qui offre au groupe un salaire régulier, le chanteur qui n’a aucune personnalité doit s’effacer. « Il fallait au groupe quelque chose de beau pour contrebalancer le genre de laideur stridente qu’il essayait de vendre, ira-t-il même jusqu’à déclarer. Et combiner à cela une fille vraiment magnifique, devant toute cette décadence, était ce qu’il fallait. »

« On n’a pas vraiment senti qu’on avait le choix. Je veux dire par là que soit on se barrait, soit on avait une chanteuse », commentera Lou Reed. John Cale embrayant: « Quand Nico nous a été présentée comme une sorte d’appât à gros titres, j’ai commencé à me rendre compte qu’Andy était un manipulateur de médias, le grand maître de toute cette histoire. »

The Velvet Underground et Nico
The Velvet Underground et Nico© DR

Les drogues, l’alto et Zappa…

254 West 54th Street (le rez-de-chaussée accueillera plus tard la célèbre boîte de nuit Studio 54). En avril 1966, le Velvet se retrouve pour quelques nuits dans un studio pas très glamour de Broadway. Planchers à moitié arrachés, murs troués, le Scepter Studio est en cours de rénovation. Une dizaine d’heures de session entrecoupées de crises de nerfs. Puis d’autres en mai à Los Angeles avec Tom Wilson, producteur noir connu pour son boulot avec Bob Dylan et Simon and Garfunkel. Nico ne chante finalement que trois morceaux sur le disque… Le label Atlantic est hostile aux chansons sur la drogue. Elektra est insensible aux charmes de l’alto. The Velvet Underground & Nico atterrit chez MGM-Verve qui les achète mais préfère consacrer son budget de promotion aux Mothers of Invention de Frank Zappa. L’album ne sort pratiquement qu’un an après son enregistrement.

Encore une anecdote? Malin, le coproducteur de l’album, Norman Dolph, âgé de 27 ans, ne se fait pas payer en dollars mais par une oeuvre de Warhol. Une pièce de sa Death and Disaster Series que Dolph, devant faire face à un divorce, vendra 17.000 dollars en 1975. « À l’époque, je me souviens m’être dit que Lou Reed ne devait pas encore avoir gagné autant d’argent avec son disque. Mais ça vaudrait environ deux millions de dollars aujourd’hui… » Si Cale le qualifiera plus tard de vendeur de chaussures, Dolph rétorquera: « Si vous tombez sur lui, demandez-lui sa pointure, je lui enverrai une putain de paires de pompes.« 

En 1967, Warhol n’est plus très présent à la Factory et suggère au Velvet de prendre son indépendance. « J’y ai réfléchi et je l’ai viré. Car je pensais qu’il était nécessaire pour nous d’évoluer. Il était furieux et m’a traité de rat« , raconte Reed. Les deux fortes personnalités ne se parleront quasiment plus jamais.

Cover story

1967, l'année de grâce (2/7): The Velvet Underground and Nico

« Je ne sais pas, dira Lou Reed 30 ans plus tard, si on aurait eu un contrat sans la beauté de Nico et la promesse d’Andy de réaliser la pochette. » Et quelle pochette… Sur les premiers exemplaires, la banane, autocollante et légendée « Peel Slowly and See », peut même être pelée. Elle laisse apparaître la chair du fruit dont la couleur, rose, renforce le symbolisme phallique. Selon la légende, la colle aurait même contenu du LSD…

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