Into the Night: la fiction belge déploie ses ailes sur Netflix
Into the Night est la première production Netflix « made in plat pays ». La série événement aborde, entre récit catastrophe et anticipation sociologique, les fractures individuelles et collectives qui émergent en temps de crise.
La Belgique a sa première série estampillée « Netflix Originals »: Into the Night (1), dont la première saison est diffusée à partir du 1er mai sur la plateforme de streaming. A l’heure où celle-ci assure plus que jamais son empreinte sur l’industrie du cinéma et des séries, c’est un sceau de prestige. Ecrite par le showrunner américain Jason George (producteur à succès de Narcos), coproduite par Entre chien et loup (Ennemi public, Versailles), réalisée par le duo Inti Calfat et Dirk Verheye (la série VRT Over Water), Into the Night décolle du plat pays. L’histoire: dans un avion parti en catastrophe de Bruxelles, équipage et passagers tentent d’échapper au soleil qui, devenu mystérieusement mortel, décime les populations. Il n’y a d’autre solution que de voler à bord de cette improbable arche, toujours plus à l’ouest, alors que les tensions, les révélations et les réflexes de survie vont mettre en péril le fragile équilibre de ce microcosme ailé. Les Belges Laurent Capelluto (Zone blanche) et Pauline Etienne (Ennemi public, Le Bureau des légendes) y jouent les copilotes forcés par le destin à convoyer Astrid Whettnall (Baron noir), Nabil Mallat (De Dag), Jan Bijvoet (Peaky Blinders) ou encore Alba Gaïa Bellugi (Manon, 20 ans), entre autres noms présents au générique, pour fuir le lever du soleil comme la peste… ou le coronavirus.
Un vol ordinaire où tout déraille
« A un moment ou à un autre, la vraie nature d’un individu émerge. Dès que l’urgence retire la fine pellicule de contrat social qui équilibre nos échanges, il ne reste que les choix que chacun opère, bons ou mauvais. » Jason George résume en ces mots le coeur du récit qu’il a développé pour Into the Night, adapté d’un récit d’anticipation, The Old Axolotl, écrit en 2015 par le Polonais Jacek Dukaj. Nous l’avons rencontré en octobre dernier aux Nu Boyana Film Studios, en banlieue de Sofia, où s’est déroulée la majeure partie des soixante jours de tournage de la série. En compagnie de Inti Calfat et Dirk Verheye (un binôme connu dans le monde du clip et de la publicité sous le pseudo Norman Bates), il nous a conté la genèse et le développement d’un projet dont les thématiques font frontalement écho au temps présent.
Des personnalités d’origines diverses, confinées, en situation de crise.
L’ancien journaliste politique du New York Times devenu scénariste et producteur se souvient: « Dès que j’ai eu l’accord du producteur exécutif, Tomasz Baginski (NDLR: derrière la série The Witcher), j’ai développé l’idée de ce vol où tout déraille, de ce microcosme de personnalités d’origines diverses, confinées dans un seul lieu, en situation de crise, obligées de constamment se mouvoir. Il me fallait un point de départ qui pourrait rassembler une telle diversité de caractères. Durant mes recherches, j’ai appris que la population de Bruxelles était constituée d’environ 40% de personnes d’origine allochtone, ça m’a semblé le lieu parfait. Sur place, la maison de production Entre chien et loup m’a vivement conseillé de travailler avec Inti et Dirk. Leur enthousiasme, aussi bien pour le projet que pour leur métier de réalisateur, m’a séduit. »
L’enfer, c’est les autres
Des moyens technique colossaux ont été alloués au tournage: un Airbus 380 sur le tarmac de l’aéroport de Sofia, une réplique à l’échelle oe en studio pour les scènes d’intérieur, actionnée par une mécanique complexe reproduisant secousses et turbulences. Malgré cela, le duo de réalisateurs a tenu à maintenir le récit à hauteur humaine: « A l’inverse des blockbusters habituels, nous avons rangé la force qui frappe les habitants de la planète du côté du mystère, de l’invisible, de l’abstraction », décrit Inti Calfat. « L’influence sur les psychés n’en est que plus forte. Quand on ne peut voir ou comprendre la menace, un tas de mécanismes se mettent en branle »: manipulations, mensonges, théories du complot, fake news, instinct grégaire, individualisme aveugle ou sens du devoir sont les réflexes qui parcourent les zones de rupture entre les personnages. « Qui dois-je devenir si je veux survivre? C’est la question cruciale posée par la situation de départ », énonce Dirk Verheye. « Les personnages évoluent dans ce spectre complexe, qui voit des comportements, répréhensibles en temps normal, devenir si pas la norme en tout cas acceptables à une situation de vie ou de mort. Isolé dans cet avion, le groupe formé par l’impératif de survie devient une sorte de tribu avec ses règles propres. C’est vraiment une approche behavioriste », conclut-il.
Qui dois-je devenir si je veux survivre?
Dans cette ambiance de huis clos, où l’enfer, c’est forcément les autres, il fallait, pour Dirk Verheye, que tout semble réel, plausible: l’anglais n’est pas la lingua franca de cette équipée tournée essentiellement en français, et respectant les dix langues maternelles des acteurs, leurs accents, leurs dialectes. Ensuite, les deux réalisateurs se sont pliés aux contraintes spatiales d’un véritable avion et de sa réplique. « La caméra a dû s’installer dans le peu d’espaces libres, dans l’allée, entre les sièges, afin de donner des images les plus plausibles possibles », explique Inti Calfat. « Il fallait faire ressortir la sensation de prison panoptique d’où les personnages ne peuvent échapper », poursuit son acolyte. « Pour mieux exploiter les espaces narratifs cachés, à couvert (flashback, révélations…). De la tension entre le visible et l’invisible, le transparent et le confus, naît la réponse à cette question ultime: l’humanité peut-elle encore s’unir pour le bien commun ou l’intérêt personnel finira-t-il par nous déchirer? »
(1) Into The Night: une série Netflix créée par Jason George. Avec Laurent Capelluto, Pauline Etienne, Astrid Whettnall, Nabil Malla, Jan Bijvoet, Alba Gaïa Bellugi, Stefano Cassetti, Mehmet Kurtulus. A partir du 1er mai.
Laurent Capelluto a été remarqué à la télévision dans Les Revenants (Canal +) et surtout Zone blanche (RTBF), où il incarne un procureur coincé entre le corps de Pierre Richard et le cerveau d’Hercule Poirot. Dans Into the Night, il incarne Mathieu, commandant malgré lui de cet Airbus fuyant le cataclysme solaire, simple mortel embarrassé par une charge de héros prométhéen.
Mathieu, votre personnage, montre toute la difficulté qu’il y a à endosser la responsabilité de leader en temps de crise…
La question, pour mon personnage comme pour les autres, c’est de savoir s’ils vont rester les mêmes à travers les épreuves, ou si celles-ci vont révéler d’autres pans de leur personnalité. Mathieu est le copilote de l’avion, même pas le commandant. Mais la situation dramatique, les circonstances fâcheuses que traversent l’équipage et les passagers vont l’imposer, l’emmener très vite hors de sa zone. Il n’a absolument rien d’un leader naturel, on s’en rend compte très vite.
Quelle a été votre réaction à la lecture du scenario?
Quand je découvre un scénario, je m’imprègne assez vite de mon personnage, je cherche son point de vue. Ici, c’était impossible de ne pas quitter le point de vue du spectateur, tant ce que je lisais me paraissait prenant, spectaculaire, intense. Durant ma première discussion avec Jason, par vidéo interposée, je lui ai davantage parlé de l’histoire que de la manière dont je m’y projetais. Ce qui m’a plu aussi, c’était le choix de Bruxelles non pour des raisons de financement mais bien des questions de script, qui ont amené Jason à travailler avec des acteurs et actrices qui collent à la géographie. C’est la carrure internationale de Bruxelles, cet échantillon de diversité et d’humanité, qui donne le sens à l’histoire. Et c’est cet échantillon que les circonstances insolites vont mettre à l’épreuve.
C’est la première fois que vous vous retrouvez dans une telle production internationale. Comment avez-vous vécu le tournage?
C’était une ambiance nouvelle, tout à fait excitante. Même si je connaissais la majeure partie du casting belge, il y avait un rythme de travail, des moyens tout à fait conséquents. Etonnamment, tout autour nous donnait l’impression d’être dans un film d’action, mais sans le côté spectaculaire et pyrotechnique. C’est vif, précis, rapide, efficace. D’un autre côté, j’ai été surpris par la profondeur des personnages, cette complexité et cette noirceur qui se révélaient au fur et à mesure. Le rythme de travail a été intense. Nous étions, les douze actrices et acteurs, en permanence, entre juillet et octobre derniers, dans un avion. Il y avait la sensation d’appartenir à un groupe de gamins qui font ensemble d’incroyables découvertes. C’était assez magique, cette ambiance de troupe de théâtre bloquée dans un Airbus. Depuis lors, les avions me semblent familiers, et je souris au personnel de bord comme à des membres de ma famille (rires).
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