Jean-Benoît Ugeux frappe deux fois
Au théâtre dans le Golgota Picnic, à voir au Singel d’Anvers. Au cinéma dans Le Conseiller et Partouze, au FIFF, à Namur. Souvent dans des personnages qui prennent la tangente, Jean-Benoît Ugeux est un acteur XXL.
De temps en temps, on s’attarde sur le casting d’un spectacle étranger et on tombe sur un Belge. Et donc, ce week-end, le discret Jean-Benoît Ugeux joue dans un spectacle du metteur en scène argentin, insolent et clash, Rodrigo Garcia. Pas n’importe quelle pièce, ce Golgota Picnic (2011), auréolé de souffre, qui esquisse un Jésus de Nazareth complètement allumé. Résultat: les cathos intégristes -surtout en France- ont crié au blasphème.
On chope donc l’artiste, entre Milan et Thionville, l’occasion d’en savoir un peu plus. « Je l’ai rencontré au stage européen ‘l’école des maîtres’. Pas de bol, pour des raisons de santé, j’ai dû arrêter. Alors, chaque jour du stage, je lui ai écrit une lettre. Le courant est passé. Un jour, il m’a appelé pour une carte blanche qu’il donnait en France, ensuite pourGolgota Picnic. Il n’y pas d’histoire, la pièce questionne l’héritage visuel qu’on a reçu du Moyen-Âge, des images du Christ saignant sur sa croix. On joue sur un Christ foireux et démago, ce qui a provoqué un lever de bouclier des cathos intégristes. C’est con, car Garcia ne s’exclut pas de cet héritage. En France, c’était insupportable. Il avait des CRS et des chiens policiers. Les spectateurs nous applaudissaient, en plein spectacle, comme si on faisait un acte héroïque, politique. Alors que finalement, ce n’est qu’un spectacle de plus de Rodrigo Garcia. En Autriche, on n’a pas eu de problèmes, au Brésil, pays pauvre et religieux, non plus, alors qu’on parle du Christ et qu’on gaspillait pas mal de bouffe. Le plateau est recouvert de milliers de petits pains hamburgers sur lequel on joue, on se cloue, on se balance de la peinture etc. Dans la veine de Garcia, cela reste le corps comme marchandise mais moins furie. Si demain, il m’appelle, j’y retourne. C’est un artiste qui se crame et se risque à chaque création, avec une exigence qui demande une endurance physique à l’acteur, fort impliqué dans un travail d’improvisation. Ca me plaît. »
Pessimiste joyeux
J.B. Ugeux est un de nos comédiens fétiches qu’on retrouve souvent dans des rôles de cyniques ou de types errants. Comme ses derniers succès sur les planches, interprétant un Houellebecq (La possibilité d’une île, adapté et mis en scène par Aurore Fattier), ou encore le rôle d’un bourgeois cynique cloitrant son jeune amant dans Goutte d’eau sur pierre brûlante de Fassbinder, mis en scène par Gaspar Langhoff. « C’est clair, poursuit-il, que je ne suis pas un roi de la farce. On vient aussi me chercher pour ce genre de rôle cynique, glauque mais toujours avec un certain humour. Je suis plutôt un pessimiste joyeux à dire: sous la blague, la vie de chacun est terrible. »
Sorti du Conservatoire de Liège en 1999, le comédien est très tôt branché pluridisciplinaire. Il se casse donc en Flandre, bosser et vivre à Gand, au sein de la Cie Victoria, jouant dans les spectacles de Wayn Traub (coqueluche du moment), Lise Pauwels, créant par la suite deux spectacles, très vidéos, avec sa comparse Anne-Cécile Vandalem (Zaï, Zaï, Zaï, et le succès Hansel et Gretel). Un temps, il passe sans éclat par la case metteur en scène avec SPRL, assez classique. On le préfère quand il est dans l’audace expérimentale comme dans son superbe spectacle-installation Brigitte, à base de vrais messages (assez menaçants) laissés sur un répondeur. L’artiste a plus d’un art dans son sac: créateur des badges loufoques, de photographies « belgitude », des « viaïkus » (vidéo-haïku), etc. Un travail politique et poétique, presque laboratoire et plasticien, qu’on suit sur son site Apoptose.org, Vimeo et sa page Facebook.
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Ciné d’art fauché
Plus visible est sa casquette d’acteur de cinéma, pour les amateurs d’art et d’essai. Il possède un beau panel de courts métrages. « Pour l’instant au cinéma, les projets les plus intéressants sont les plus fauchés. Je bosse sur des projets de potes et dès qu’ils ont des sous, ils ont la pression pour engager des acteurs français. » Au ciné, donc, il joue dans Ca rend heureux de Joachim Lafosse, cosigne le scénario de Mobile home, reçoit des prix d’interprétation pour trois court-métrages: Viande de Bruno Deville, Retraite de François Pirot etMichel de E. Marre et A. Russbach.
Cette année, entre autres, il file à Venise sur le tournage de No Tears, un court-métrage de son ami plasticien, Wolfgang Natlacen, donne la réplique à Poelvoorde dans Akwaba de Benoît Mariage, joue dans Bouboule de Bruno Deville… Actuellement, il est l’affiche du FIFF dans deux court-métrages: Partouze de Matthieu Donck, « un film drôle sur deux copines d’aquagym qui décident de pimenter leur vie » et dans Le Conseiller (entre un banquier et un agriculteur) d’Elisabeth Llado…
Côté vie privée, J.B. Ugeux se dit « trompettiste du dimanche », aimer la botanique, l’escalade, le cyclisme et se décrit « travailleur et bourgeon ». Il lit Bukowski, Michaux, Carver, Koltes, Ibsen, Walser et Tchékhov pour la vie. Écoute Cage, Schonberg, Beethoven, Bach, pas mal de noise, voir même un peu de world music. Est branché Radio Campus sur la FM et France Culture, point barre. Au cinéma, il apprécie Hanneke, Pialat, Mia Hansen-Løve… Bref, autant de territoires artistiques qui pourraient donner le « la » à cet artiste singulier, timide en apparence, rarement branché dans la bière mondaine des « after »-spectacles. Du talent, sous exploité dans le mainstream, à suivre presque en circuit parallèle…
- Golgota Picnic, les 4 et 5 octobre à Anvers. www.desingel.be
- Le Conseiller et Partouze, au FIFF. www.fiff.be
- Site de l’artiste: www.apoptose.org
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