Entretien avec Jérémy Ferrari, prince de l’humour noir
Dans le cadre de la dernière représentation de son spectacle Hallelujah Bordel, Jérémy Ferrari sera à Louvain-la-Neuve le 28 mars prochain. Provocateur, incisif mais surtout très talentueux, le « golden boy » de l’humour qui frappe là où ça fait mal revient avec nous sur des sujets chauds. Voire brûlants.
Il a été révélé dans l’émission On n’demande qu’à en rire sur France 2. Maintenant, au même titre qu’Arnaud Tsamere ou Olivier de Benoist, il cartonne avec son propre spectacle: Hallelujah Bordel. Dans celui-ci, il aborde le thème de la religion et tire sur tout ce qui bouge. De plus, il est le producteur du festival Smile and Song qui se déroulera à Louvain-la-Neuve du 27 au 30 mars prochain. Nous sommes revenus avec Jérémy Ferrari sur son actualité.
C’est la dernière représentation de votre one man show Hallelujah Bordel, d’où est venu l’idée de ce spectacle?
En fait, c’est un spectacle qui se moque des extrémismes religieux. Je le répète souvent mais il n’est pas nécessaire de s’y connaître en religion ni de s’y intéresser pour se marrer en le voyant. Il n’y a pas besoin d’être expert pour rire quand on apprend qu’un mec avec les testicules écrasées n’a pas le droit d’aller à la messe. Et ça, c’est inscrit noir sur blanc dans la bible. C’est donc très accessible et c’est surtout un prétexte pour moi pour parler de la misogynie, de l’homophobie et du racisme. Après, c’est un spectacle qui va un peu plus en profondeur parce que souvent dans le domaine de la religion, les humoristes restent en surface. C’est aussi très dénonciateur, parfois absurde, parfois léger mais surtout provocateur et noir donc il faut venir avec pas mal de second degré.
Les gens sont parfois très à cran justement sur ce sujet de la religion. Est-ce que vous avez encore des retours négatifs après vos spectacles?
Oui, ça m’arrive. Mais franchement, les gens à cran sont une très large minorité. On les entend beaucoup parce qu’ils sont hargneux mais ils sont très faibles. Vous savez, dans ma salle j’ai des musulmans, des chrétiens, des juifs , des athées, des agnostiques, j’ai de tout. La dernière salle où j’ai été jouer, il y avait trois femmes voilées au premier rang et ce sont elles qui ont lancé la standing ovation alors que je n’y vais vraiment pas de main morte avec le Coran. Donc, je crois que les gens sont beaucoup plus ouverts et beaucoup plus intelligents qu’on ne le pense et effectivement, même si j’ai eu des problèmes dans le passé, ça reste très minoritaire. Je pense que les gens sont prêts à entendre de l’humour noir quand c’est fait pour les bonnes raisons. En l’occurrence, mon but dans Hallelujah Bordel n’est pas de me moquer des croyants mais de me moquer des extrémistes. C’est quand même plus un message de réunification qu’autre chose. Et puis surtout, le spectacle est basé sur le rire et avant tout, je monte sur scène pour faire rire les gens.
Justement, on a l’impression que c’est quelque chose qu’un humoriste comme Dieudonné a oublié. Que pensez-vous justement de tout ce remue-ménage autour de ce dernier? Le traitement de l’État français sur Dieudonné et Dieudonné lui-même sont deux débats qui sont totalement différents. Je pense qu’interdire les spectacles de Dieudonné a été une erreur. Le gouvernement actuel est conspué par les français parce qu’il est très mauvais. Donc quand un État se met contre un humoriste, il lui fait de la publicité. C’est exactement ce qui s’était passé quand Nicolas Sarkozy était décrié et qu’il a dit que Stéphane Guillon était l’humoriste le moins drôle de France. Résultat: d’un coup, il est devenu l’humoriste préféré des français. Donc, quand un gouvernement qui ne sait pas gérer l’économie et le chômage d’un pays comme la France dit que Dieudonné est l’ennemi du gouvernement, il rend populaire un humoriste qui ne l’aurait pas forcément été autrement. Ensuite, un gouvernement n’a en aucun cas le droit d’interdire un spectacle. Si la seule chose qu’ils ont trouvé pour combattre Dieudonné c’est interdire ses spectacles, c’est une énorme preuve de faiblesse. C’est aussi une insulte au public français que de penser qu’il est suffisamment stupide pour ne pas avoir un jugement personnel. Dans ce cas-là, il faut tout interdire. Si on commence à interdire un humoriste, interdisons aussi certains meetings. Quand on va dans plusieurs régions de France et qu’on voit les meetings du Front National, on peut les interdire aussi alors. Il ne faut pas aller dans cette voie-là. Un État ne doit pas se mêler de ce que raconte un humoriste sur scène. Même si on peut se demander si Dieudonné est encore un humoriste.
Et il y a aussi le débat sur Dieudonné lui-même.
Dieudonné a été très drôle. Il a même été un des humoristes les plus talentueux de sa génération. Mais depuis quelques années, il a commencé à dévier en s’acoquinant avec des gens comme Alain Soral. Ensuite, il a fait ce sketch chez Fogiel qui n’est pas drôle et qui ressemble plus à une opinion personnelle et le vrai Dieudonné s’est révélé. Au lieu de laisser passer l’orage et de prendre tout cela avec humour et recul, il commence à rentrer dans une lutte politique soi-disant contre le sionisme. Sauf que là, c’est lui qui détermine qui est sioniste et qui ne l’est pas. Et, au fur et à mesure, on se rend compte que tous ceux qui ne sont pas d’accords avec lui seraient sionistes. Ses spectacles se sont transformés en meeting politiques, il commence à s’entourer de gens qui sont les pires pourritures et il enfonce le clou. Un autre exemple, le débat de la quenelle qu’on a désignée comme étant antisémite. Je trouve que c’est un faux débat parce que ce geste il le faisait déjà depuis 10 ou 15 ans et ça n’avait jamais été un geste antisémite. Sauf que, quand il y a des personnes qui vont devant l’école où Merah a tué des gamins juifs et qu’ils se prennent en photo en faisant des quenelles, que son copain Soral va devant des cimetières juifs faire la quenelle et que Dieudonné lui-même ne dit rien, d’une certaine façon il acquiesce. Et on ne peut pas acquiescer ça. Quand Dieudonné se sert d’un enfant cancéreux, malheureusement décédé depuis, qui fait une quenelle pour faire sa promotion et faire sa pub, c’est à vomir. Et puis c’est devenu une machine à fric. La preuve quand il dit sur Internet « je préfère mourir libre que vivre esclave ». Le lendemain, il apprend qu’on va lui fermer ses comptes et alors il abdique. Il signe le procès-verbal, il accepte de sortir les propos antisémites de son spectacle et il demande à ce qu’on tourne la page. Il s’est caché devant la liberté d’expression pour avoir des propos absolument terribles et il a sali cette liberté. En tout cas il a perdu mon admiration et son statut d’humoriste.
Vous avez été révélé par Laurent Ruquier dans l’émission On n’demande qu’à en rire et il vous a repris dans L’émission pour tous. Cette rencontre, c’est le tournant de votre carrière?
Oui, totalement. C’est même le début de ma vraie carrière. Laurent a été sensationnel avec moi. Il s’est battu pour que je puisse toujours dire ce que j’avais à dire. Il m’a défendu, il m’a aidé, il m’a conseillé et il m’a fait grandir. Il a été très paternel avec moi et très fidèle aussi. Je lui en serai éternellement reconnaissant et c’est pour ça que quand il m’a rappelé je suis revenu vers lui, parce que je ne peux rien lui refuser.
Après la télévision, le one man show et la radio on se disait que la prochaine étape serait le cinéma. Justement, vous avez quelque chose de prévu à ce niveau-là.
En effet, j’ai eu la chance de développer un scénario avec Julien Seul, le producteur de L’Écume des jours pour un projet que j’ai débuté avec Philippe Lefebvre, le mari de Catherine Barma. On s’est associé à Julien qui va donc essayer de produire le film. Ce sera une comédie sombre, sociale et cruelle un peu comme Le Père Noël est une ordure que j’aime beaucoup. Je n’ai pas la prétention d’arriver à ce que mon film soit aussi drôle mais en tout cas je vais essayer. L’univers du long-métrage sera celui du chômage mais des deux côtés de la barrière. Du côté des chômeurs et du côté des travailleurs pour Pôle emploi. Le pitch est très provocateur, surtout en période de crise.
Plus près de chez nous, vous produisez aussi le festival Smile and Song à Louvain-la-Neuve. C’est un projet qui vous tenait à coeur?
Je suis très fier de ce projet et j’en suis très content. Il va y avoir un gala d’ouverture le 27 mars qui va être incroyable où j’ai réussi à réunir 18 artistes sur scène. Des gens comme Jean-Marie Bigard, Chrisophe Alévêque, Éric Métayer, Éric Antoine, Anne Roumanoff, Raphaël Mezrahi, Arnaud Tsamere, moi-même et beaucoup d’autres. Et ces humoristes formeront aussi des duos inédits dans lesquels on mélangera les générations. J’ai commencé à voir les répétitions et c’est formidable. Ce sera présenté par Arnaud et moi-même et ça va être assez grandiose. Le 28, il y aura la dernière représentation en Belgique de Hallelujah Bordel, le 29, Youssoupha viendra chanter à Louvain-La-Neuve avec des rappeurs de son label et on termine le festival le 30 avec le nouveau spectacle d’Olivier de Benoist.
Pourquoi la Belgique?
La Belgique parce que j’ai un lien particulier avec ce pays que j’aime beaucoup vu que ma grand-mère était Belge. Un des seuls regrets que j’ai d’ailleurs est que celle-ci n’ait pas pu voir l’accueil qui m’est réservé en Belgique, je crois qu’elle aurait été très émue.
Après la fin de votre spectacle, l’actualité de Jérémy Ferrari ce sera quoi?
Je vais me consacrer à l’écriture de mon nouveau one man show: Vends 2 pièces à Beyrouth qui démarrera en juillet 2015 et qui va parler de la guerre. Je vais aussi me consacrer à l’écriture de mon film que l’on va tourner normalement en mars et ce sera déjà pas mal. Je crois que je vais faire une vraie pause en télévision, à moins que l’on me propose quelque chose de très intéressant et de différent.
Entretien Olivier Eggermont (stg)
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