Yvon, fainéant de la lune de miel

Yvon Vromman © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Alors que sort chez Crammed un album inédit d’Aksak Maboul/Les Tueurs de la lune de miel, Philippe Cornet exhume une interview de feu Yvon Vromman réalisée en 1985 et parue dans Rock au Royaume, Editions Infor-Jeunes.

Il est officiellement le chanteur des Tueurs de la lune de miel, le groupe belge le plus inégal, le plus insupportable, le absurde, le plus zazou, le plus trop. D’une reprise de Charles Trénet à la couverture de New Musical Express, les Honeymoon Killers (c’est les mêmes) sont capables de (presque) tout. Même d’une panne d’album depuis quatre ans.

C’est Yvon Vromman le grand coupable puisque dans les tueurs, il est le sachem des compositions. Il écrit les morceaux ou plutôt il est supposé le faire, alors les autres attendent qu’il ramène la copie.

YV: Le 33 Tours, c’est facile à dire. Les autres doivent tirer la gueule, c’est clair. Mais quand les gens liront ces lignes, ils pourront l’écouter. On sait qu’on peut le faire donc on ne le fait pas, c’est très zen (rires).

Mais qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps?

On a été très en vacances ces derniers temps mais on a quand même tourné énormément, en Allemagne, en Suisse, à Vienne, au Japon, en Angleterre, en France.

Les Tueurs font une scission paraît-il?

Oui, en quelque sorte, Véronique Vincent (la chanteuse) ne sera plus sur le prochain trente-trois, on n’a pas envie de faire exactement la même chose. Elle prépare un disque avec Marc Hollander (son boyfriend, boss de Crammed, fondateur d’Aksak Maboul) et peut-être le bassiste des Tueurs, Vincent (1).

Tu lui tirais la gueule quand c’était ton tour de chanter en scène?

Non non, on a toujours été très courtois l’un vis-à-vis de l’autre. Véronique, chaque fois qu’elle doit chanter, elle est malade, elle se sent mal. C’est donc qu’il se passe quelque chose…

Il semble que tu passes tes soirées à La Vague (bistrot d’Ixelles). On te dit être parfois écroulé sur le bar… pas de fatigue.

Oui, mais quand on travaille, on picole autant, alors je ne vois pas ce que cela change (problème insoluble, hé hé).

Le foie?

Ca va je crois.

Comment vis-tu?

Un peu de pognon, une histoire familiale. Je peins aussi, tu n’es pas venu à mon expo?

Euh non. Tu crois que les arts se rejoignent?

Là, mon garçon … (rires)

C’est possible de vivre de sa musique dans ce pays?

Ca doit être dur. Mais Arno de TC Matic doit y arriver parce qu’il me paie à boire. Une fois avec lui, on a parlé de rock toute la nuit.

Tu trouves que les groupes belges ne travaillent pas assez?

Les autres, je ne sais pas, mais nous, c’est sûr. D’ailleurs, ce nouveau disque est un luxe. Tout le monde l’attend dans le monde entier. Quand tu lis nos textes, ce n’est pas étonnant, ne rien foutre est bien dans la ligne de ce qu’on a fait jusqu’à présent.

Ce disque, il est produit par les Tueurs?

Plutôt oui, déjà entre nous, qu’est-ce qu’on peut s’engueuler! D’ailleurs si Crammed n’avait pas produit le premier disque (en fait le deuxième après Spécial Manubre), je ne vois pas qui aurait pu nous produire.

C’est bizarre que vous marchiez si bien en Allemagne!

Oui, mais on y est distribué par une grosse boîte. C’est vrai que c’est là que ça marche le mieux. Au Japon aussi, mais comme ils étaient déjà alliés en 40, je ne vois pas pourquoi çà changerait maintenant. Les Beatles ont commencé en Allemagne. Les tournées, c’est gai, on traverse une ville, on fait la balance, on rentre à l’hôtel, on fait le concert, on s’ennuie bien. J’adore la scène, le fait d’être en scène. J’ai fait une fois des one-man shows (au Monty, un piano-bar d’Ixelles) et cela devrait se développer dans les Tueurs. Le départ de Véronique fera qu’on va plus s’appuyer sur la mise en scène. Le rock, en concert, je trouve ça très triste sauf quand la musique est exceptionnelle, comme Captain Beefheart. A Boitsfort, le public nous a jeté une bouteille de bière, j’ai répliqué en jetant un bac. Après, Vincent est venu me dire « tu exagères quand même ». A Zürich, un punk m’a dit « toi, on t’aime trop, on va te tuer ». Les jeunes Suisses sont très bien. La dernière fois qu’on a joué à Paris, c’était au Rex pour Actuel, je n’aime pas trop ce milieu. Les branchés parisiens m’emmerdaient, je l’ai dit sur scène et cela les faisait rire, ils aiment être insultés par un groupe belge. Aller jouer à Beyrouth, j’aurais bien aimé, sous les bombes.

Avant les vacances, vous avez fait une tournée au Japon avec Minimal Compact (je regarde le kimono qu’il porte). Ça t’a impressionné!

J’ai adoré. Il y a là tout un monde qu’on ne soupçonne pas, toute une civilisation. C’est plus grand, plus fort, plus important. Les gens sont adorables, très gentils. On est arrivés, tout à fait accueillis, on est rentrés par la bonne porte, ce n’est pas le cas pour tout le monde et c’est vrai que cela peut être difficile. Mais ils ont le souci que les choses soient belles. Ils ne sont pas individualistes mais les minoritaires le sont vraiment, j’aurais peur pour eux parce que…

Yvon raconte que le groupe a donné une pléiade d’interviews à des journalistes très scrupuleux dans leur travail, hyper-documentés sur les Tueurs et Aksak Maboul. Ils ont même eu une double page dans le Paris-Match local. « On a pris le train et tout le monde lisait ce canard. Mais je ne suis pas sûr qu’on nous ait reconnus. Pour eux, on se ressemble un peu tous. »

En France, vous êtes passés à côté du tube avec Route Nationale 7, une reprise de Trénet, tu l’as rencontré?

Oui, cela n’a été qu’un gros succès radio. J’admire beaucoup Trénet. Il a bien aimé paraît-il. Je me suis toujours dit que j’allais lui envoyer le disque avec une petite lettre d’accompagnement et puis… Je suis aussi très fan de Talking Heads et de Brian Eno. Tu sais, Eno est venu nous voir à Paris et n’est pas entré parce qu’il y avait trop de monde! Il a parlé à Marc, des Tueurs, d’Aksak Maboul. J’étais sous la douche parce que je prends toujours une douche froide avant la scène, et puis quand je suis sorti, on m’a dit « tiens, Brian Eno vient de partir… »

Le rock belge?

Pardon? Bon, je ne crois pas qu’esthétiquement, il y ait un rock belge. Indochine m’a piqué l’idée de la chanson sur Bob Morane (quel rapport?). Les Tueurs, c’est belge dans la mesure où on vit en Belgique où beaucoup d’influences se mélangent. Le plus spécifique dans le rock belge, c’est qu’il n’y a pas de spécificité. L’étiquette rock, je n’y tiens pas tellement, moi, je veux faire de la chanson mais avec une autre musique. Le prochain album sera plus chanson mais on pourra taper du pied. En Belgique, il y a beaucoup de gens obscurs mais qui pourraient aller très loin. C’est une question d’infrastructure et de bizness. Ce n’est pas la qualité qui prime mais tout est au niveau du dealing. C’est assez puant tout çà. Les magouilles qui faussent le truc de faire de la musique.

Tu as une journée type de travail?

Non. Je travaille sur les chapeaux de roue. Pour mon expo de peintures, j’avais les invitations de peindre et puis je m’y suis mis les quinze derniers jours.

Le principe de la dernière minute, comme Gainsbourg?

Gainsbourg a vraiment la qualité en ce moment, je suis d’accord quand il dit « la chanson est un art mineur qui va parfois jusqu’au majeur » (Les Tueurs ont également repris Laisse tomber les filles écrit par le beau Serge).

Vous saviez qu’Yvon a joué avec Lio dans Les années 80, un film réalisé par Chantal Akerman, une maquette jamais sortie? Cela doit être complètement égal à Jean-François Jones, le batteur des Tueurs que je croise au marché de la Place du Châtelain et à Gérard Fenerberg, guitariste du même groupe, vu au Delhaize de la chaussée de Waterloo: « Les négociations sont en cours, on se téléphone avec Yvon ».

(1) l’album en question (Véronique Vincent & Aksak Maboul with the Honeymoon Killers, Ex-futur album) paraît maintenant, en octobre 2014, chez Crammed Discs.

Dans le Focus du 10 octobre, dossier de 4 pages sur l’histoire du disque, ainsi que sa chronique.

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