Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#7): Molly Burch, Wells Fargo, Sinkane…

Molly Burch © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Premier album désarmant pour une enfant d’Hollywood, fille d’un producteur et d’une directrice de casting. Molly Burch touche au nirvana. À lire également, nos critiques des albums de Wells Fargo, Jesca Hoop, Moon Duo, Sinkane, Steve Noble, Pilgrim, Moker et Dal Sasso.

Molly Burch – « Please Be Mine »

DISTRIBUÉ PAR CAPTURED TRACKS/KONKURRENT. ****

Les lèvres de Molly… Elle n’était pas encore née que déjà les chantaient les Vaselines et Kurt Cobain. Parions d’ailleurs que vous y serez bientôt suspendus. La Molly à laquelle on pense s’appelle Burch. Originaire de Los Angeles et aujourd’hui installée à Austin, elle a grandi sous le soleil d’Hollywood. Élevée par un père auteur/producteur et une mère directrice de casting, nourrie par les vieilles comédies musicales et bercée par les voix de Patsy Cline, Billie Holiday et Nina Simone.

La demoiselle, qui a commencé à chanter devant un public habillée comme Divine (l’égérie de John Waters) dans une pièce de théâtre expérimental de sa soeur aînée, a étudié la performance vocale jazz à l’Université de Caroline du nord (Asheville), a depuis déménagé à Austin et a commencé à y écrire ses chansons. Inspiré par deux ruptures amoureuses (la seconde ne fut que passagère et le garçon a participé à tout l’album), le travail des Everly Brothers et d’un Sam Cooke, Please Be Mine a été enregistré en une journée dans le studio de Dan Duszynski (Cross Record) à Dripping Springs. Dans la banlieue de cet îlot démocrate qu’est Austin au beau milieu de la républicaine mer texane.

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Disque de sirène blessée, une sirène à qui un beau marin aurait brisé le coeur, Please Be Mine doit beaucoup à une voix sexy, sensuelle, enfumée. Une voix qu’on a envie de suivre n’importe où. Au bout du monde comme dans une ruelle sombre, inquiétante et crasseuse. Une espèce de voile soul, des petits relents de crooneuse par-ci par-là. À l’image d’une Victoria Legrand (Beach House) et d’une Hope Sandoval (Mazzy Star), Molly Burch envoûte. Molly Burch ensorcèle.

Il y a comme une évidence, un sentiment de simplicité, de facilité même, qui se dégage de ces chansons. Si bien que par moments, on se dit que ce disque n’est pas génial. Qu’il va nous taper sur le système, qu’il a même quelque chose d’assez banal. Bien enveloppé dans sa vibe rétro. Mais c’est encore, toujours, pour se faire rattraper par le timbre de Molly. 25 ans et des poussières. Entre (dream) pop, folk, soul et country, Nancy Sinatra, Patsy Cline et Widowspeak (déjà une signature Captured Tracks), la jeune Californienne signe un disque old school, langoureux, nostalgique. Un album pour emballer au bal de promo. Juste avant que les lumières se rallument ou en la ramenant chez elle sur la banquette de la décapotable prêtée par papa.

Molly Burch, c’est un peu une Lana Del Rey indie. Une Lana sans chirurgie esthétique. Avec cette atmosphère sépia, golden age du cinéma mais pas le côté fake, l’histoire réécrite et les yeux de biche pris dans les phares. De Downhearted à I Love You Still en passant par Please Be Mine ou Try, Molly Burch ne devrait pas vous laisser de glace. Et bien fondez maintenant… (J.B.)

Wells Fargo – « Watch Out! »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR NOW AGAIN/V2. ****

On y parlait peut-être de heavy music plus que de flower power. Internationale, la révolution hippie a cependant essaimé jusque dans des contrées insoupçonnées. Notamment au Zimbabwe où dans les années 70, une jeunesse progressiste défendait ses idéaux et empruntait les sentiers escarpés du rock psychédélique. Cette scène qui résonnait de la Zambie au Nigeria, Wells Fargo en fut l’un des chefs de file. Il signa même avec Watch Out (qui a donné son nom à l’anthologie ici présente) l’un des hymnes de la contre-culture. Pour la première fois distribuée en dehors du Zimbabwe et pour la première fois aussi rééditée depuis son premier pressage il y a quarante ans maintenant, la musique de Wells Fargo évoque irrémédiablement Jimi Hendrix. Mais elle doit aussi beaucoup au prog rock (Shades of Wells Fargo est un hommage et un clin d’oeil à Shades of Deep Purple), à James Brown et Black Sabbath.

Wells Fargo, qui se retrouvait dans le message fraternel et anti establishment des hippies, a commencé à jouer dans des stades à l’occasion de battles, une vieille tradition, devant des publics blancs, noirs, indiens… qui ne se mélangeaient pas. A bravé la police et défié les lois racistes qui régissaient la vie dans ce qu’on appelait jadis la Rhodésie. Le tout en faveur d’un changement démocratique.

Pas de seconde chance. Les onze morceaux de ce disque ont été captés en une seule prise. Onze chansons toutes enregistrées aux Teal Studios à Salisbury (aujourd’hui Harare) et sorties sous la forme de six 45 Tours en 1976 et 1977. Ceux de rockeurs qui se rassemblent pour montrer, crier, jouer avec du groove, du psychédélisme et des guitares (et même un petit côté reggae: Open The Door) que le gouvernement a tort et que la révolution est en marche. (J.B.)

Jesca Hoop – « Memories Are Now »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR SUB POP. ***(*)

De Jesca Hoop (1975, Santa Rosa, Californie), on avait surtout retenu jusqu’ici le parcours (une éducation dans la foi mormone, le pied mis à l’étrier musical par Tom Waits dont Hoop gardait les enfants, les collaborations avec Elbow, Iron &Wine, etc), davantage que les disques – trois albums à tête chercheuse. Avec Memories Are Now, elle reste toujours insaisissable, partant de la musique folk (Pegasi) pour mieux la tordre, et l’électriser (Cut Connection). Ce coup-ci, elle réussit pourtant un disque à la fois dépouillé et terriblement consistant. Un album faussement simple, où chaque morceau avance de nouvelles idées (Animal Kingdom Chaotic). Le tout en évitant que les libertés prises ne paraissent forcées ou maniérées. Ce qui s’appelle sonner juste. (L.H.)

Moon Duo – « Occult Architecture, vol. 1 »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR SACRED BONES/KONKURRENT. ***

L’hypnose est un art difficile à maîtriser. Mais le Wooden Shjips Erik Ripley Johnson (guitare/voix) et sa moitié Sanae Yamada (clavier/voix) sont depuis longtemps passés experts en la musicale matière. Cinquième album du duo (leur premier vrai disque en trio puisque le batteur de tournée John Jeffrey les a rejoints pour tout l’enregistrement) et coup d’envoi d’un diptyque qu’il promet de boucler cette année, Occult Architecture, vol. 1 tente par les oreilles mélomanes de pénétrer les inconscients les plus revêches. Il y a toujours du Can et du kraut dans ces sept morceaux dominés par le synthé. Mais on y entend aussi un plan de Dandy Warhol (un petit côté Hard On For Jesus) et quelques sonorités très années 80 (Will of the Devil). Sympa mais pas la meilleure navette pour une exploration lunaire. (J.B.)

Sinkane – « Life & Livin’ It »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR CITY SLANG. ***

Avec les albums Mars (2012) et surtout Mean Love (2014), Ahmed Gallab, aka Sinkane, avait enfin réussi à dépasser le simple statut d’homme de main de la scène indie US (collaborateur pour Caribou, Yeasayer…) ou de directeur musical hip (le projet Atomic Bomb! réhabilitant le musicien nigérian William Onyeabor), pour proposer une tambouille musicale particulièrement relevée. Un mélange de pop, krautrock, funk, et afrobeat, qui n’oubliait jamais d’avoir des sentiments. Le nouveau Life & Livin’ It prolonge la formule, voire l’étend, pour le meilleur et, parfois, il faut bien l’avouer, le moins bon (le disco de Telephone, le reggae de Won’t Follow). Même diluée, la formule conserve toutefois son capital sympathie. Ouf… (L.H.)

Steve Nobel & Kristoffer Berre Alberts – « Coldest Second Yesterday »

JAZZ. CLEAN FEED CF380 (InstantJazz.com) ****(*)

Un titre de saison pour ce duo inédit réunissant le batteur anglais Steve Noble (que son association avec Peter Brötzmann a remis à la place qui lui revient: l’une des premières parmi les percussionnistes en activité) et le saxophoniste ténor Kristoffer Berre Alberts (que nous connaissions comme membre des quartettes scandinaves Cortex et Snik). Disons d’emblée que la rencontre entre le vétéran britannique et le jeune souffleur norvégien a accouché de l’un des meilleurs disques free entendu depuis longtemps. Volant à des années lumières de ce qu’il a montré jusque-là, le saxophoniste se hisse au niveau d’un Peter Brözmann (auquel il est impossible de ne pas se référer) tout en rappelant également un saxophoniste aussi important que l’allemand dans l’histoire de la musique improvisée, le londonien Evan Parker. Des grands noms, certes, pour évoquer un musicien encore au début d’une carrière qui vient toutefois d’enfanter ici, d’un grand disque (la prise de son est à la hauteur de la performance des musiciens) dans lequel Steve Noble prend toute sa part en ne cessant de relancer et de stimuler, dans le foisonnement qui lui est habituel, son partenaire. Lequel délivre, sans reprendre son souffle durant les 34 minutes que dure ce CD de 3 titres, des phrases directes, vives, orageuses ou, au contraire, savamment chantournées. (Ph E.)

Moker – « Ladder »

JAZZ. EL NEGOCITO RECORDS eNR051 (elnegocitorecords.com) ***(*)

Moker, qui vient de fêter ses 16 ans d’existence, s’inscrit avec Ladder dans la continuité de ses prédécesseurs. Si les compositions, partagées entre le trompettiste Bart Maris, le saxophoniste Jordi Grognard et le guitariste Matthias Van de Wiele (pilier du groupe), laisse une place grandissante à l’improvisation, la musique continue de passer allègrement du free bop au jazz rock, de l’électro (Maris, Lieven Van Pee) au répétitif/ambiant (?), sans jamais se contredire. Sans doute pas le meilleur album du groupe (Moker, paru sur le même label en 2009 tient à notre avis toujours la corde), mais pour les amateurs (dont nous sommes), aussi nécessaire que ses prédécesseurs. (Ph.E.)

Christoph Irniger Pilgrim – « Big Wheel Live »

JAZZ. INTAKT RECORDS CD271 (www.intaktrec.ch) ***(*)

Deuxième album de Pilgrim dont le saxophoniste ténor (suisse) Christoph Irniger est le leader, Big Wheel live se veut le Best Of d’une récente tournée allemande. Composé de Stefan Aeby (piano), Dave Gisler (guitare), Raffaele Bossard (basse) et Michi Stulz (batterie), le quintette interprète 6 titres dont 3 signés par le saxophoniste. Mais, aussi intéressantes que soient ces compositions (toutes dominées par la qualité instrumentale très supérieure d’Irniger), Big Wheel nous a laissé un peu sur notre faim, trop d’entre elles traînant en longueur avant que le groupe ne décide enfin d’en développer le potentiel (l’exact inverse étant, d’ailleurs, aussi vrai). Un défaut qui ne condamne pas ce Live mais en dilue quelque peu l’impact. (Ph.E.)

Christophe Dal Sasso – « Les Nébuleuses »

JAZZ. JAZZ & PEOPLE JPCD 816005 (jazzandpeople.com) **(*)

Les nébuleuses sont celles d’Orion, du Crabe, de l’Oeil du chat ou de l’Hélice, complétées par d’autres titres (comme Les Piliers de la création) tournés vers l’espace et que le quintette de Christophe Dal Sasso s’efforce d’illustrer musicalement. C’est peu de dire que le résultat est tout sauf une réussite et que l’on reste stupéfait par les réactions d’une presse française dithyrambique devant un objet qui se décrit lui-même, sans rires, comme se situant entre « principes sériels et jazz post-coltranien » (?). De cette musique consonante, linéaire, banale et anémiée par les arrangements pompeux d’un insupportable trio à cordes, on ne retiendra, en sa faveur, que les solos de son saxophoniste, le remarquable David El-Malek. (Ph.E.)

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