M.I.A., prose combat
Entre provoc’ facile et discours tiers-mondiste, M.I.A. divise. Et ce n’est pas son nouvel album, aussi brillamment têtu qu’éprouvant, qui va arranger les choses…
M.I.A. est attablée à la terrasse d’un café, dans le centre de Bruxelles. Plus loin, devant la Bourse, une manifestation pro-palestinienne vient de démarrer. Quelques jours plus tôt, Israël a mené le raid meurtrier contre une flottille humanitaire en route pour Gaza. « J’irais bien voir jusque-là », avoue M.I.A., légèrement excitée pour le coup. Elle rapproche l’enregistreur: « Hey, vous avez entendu ça en Amérique: une manifestation PRO-palestienne! »
Avec M.I.A., le politique n’est jamais très loin. A l’heure du troisième album, il n’a même peut-être jamais été autant imbriqué dans la musique de la jeune femme d’origine sri-lankaise. Dès le début, avec Arular d’abord (en 2005) et Kala ensuite (2007), M.I.A. s’est posée autant en artiste audacieuse qu’en passionaria tiers-mondiste. Au programme, un mix concassé d’électro-hip hop-baile funk à la fois hypercoloré et tendu, voire batailleur, comme du punk. En filigranes, un discours revendicatif dans une planète électro qui a laissé tomber toute réflexion politique depuis longtemps. En 2007, la hype se transformera même en tube avec Paper Planes. Lors de la cérémonie de remise des Grammys 2009, elle déboule sur scène, accompagnée (adoubée?) par Jay-Z, Kanye West et Lil Wayne. La même année, elle se retrouve sur la liste des 100 personnalités les plus influentes élues par le magazine Times. Agit pop Evidemment, le retour de flamme devait bien arriver un jour. Il s’est récemment cristallisé autour d’un long portrait publié dans le New York Times. La journaliste Lynn Hirshberg y dépeint notamment M.I.A. comme une opportuniste à l’engagement suspect. Est mis en cause son appui à l’OLP ou aux Tigres tamouls, qui jusque l’an dernier, menaient une guerre civile contre le gouvernement sri-lankais. Plus loin, ce sont les habituelles contradictions entre le personnage de rebelle et le statut de pop star que la journaliste met en avant.
La réaction de l’artiste ne se fera pas attendre: M.I.A. lâchera sur twitter le numéro de téléphone de Hirshberg… Quand on la rencontre, on lui demande donc quel est le plus grand malentendu la concernant: « J’ai l’impression de passer parfois pour un chef de groupement terroriste. Au lieu de simplement me voir comme une personne qui a vécu un certain nombre de choses, et construit sa propre vie à partir de ça. Notamment à partir de l’idée que j’aurais pu être comme d’autres civils, simplement abattue au pied d’un arbre… »
Rebel with a cause M.I.A. est née Mathangi Arulpragasam, en 1975, à Londres. Très peu de temps après sa naissance, son père repart au Sri Lanka pour s’engager dans le combat de la minorité tamoule pour son indépendance. La mère de M.I.A. le suit bientôt avec la marmaille, mais elle ne retrouve plus la trace de son mari qui doit se cacher des autorités sri-lankaises. Au bout de 10 ans, la famille refait ses paquets pour l’Angleterre. Entre-temps, elle aura notamment connu les camps de réfugiés… Plus tard, à Londres, M.I.A. se lancera dans des études artistiques, pratiquera la vidéo, la photo… Mais c’est dans la musique qu’elle trouvera finalement le medium idéal pour véhiculer sa rage.
Aujourd’hui, la vie de M.I.A. a radicalement changé. Installée à Los Angeles, dans une Amérique avec laquelle elle entretient une véritable relation amour-haine, elle a donné naissance à un premier fils en 2009. Quelques semaines plus tard, au Sri Lanka, l’armée abattait l’un des derniers leaders historiques des Tigres tamouls, le gouvernement décrétant dans la foulée la fin du conflit long de plus de 25 ans.
Mais un autre événement l’a marquée au même moment: « La mort de Michael Jackson. Il a signifié beaucoup de choses dans ma vie. Il m’a accompagné dans mon exil du Sri Lanka en Angleterre. Et puis là, quand j’arrive à L.A., il meurt… C’était bizarre. C’est aussi son enfance qu’on perd un peu. En même temps, de nouvelles choses sont arrivées: Obama, la Chine qui prend le pouvoir, Internet qui devient la plus grosse entreprise au monde… »
Le nouveau disque intitulé ///Y/, (dites Maya), reflète ce chaos, avec ces échos quasi industriels (Steppin Up, Teqkilla…). On y trouve aussi des notes plus légères (Takes A Muscle, ou le single XXXO où M.I.A. se plaît même à chanter), mais dans l’ensemble, l’album reste très sombre et métallique.
Bien décidée à rendre coup pour coup (« I fight the ones that fight me », sur Lovalot), M.I.A. explique la signification du titre: « J’ai utilisé uniquement les symboles strike/slash/counterstrike/slash… du coup, en tapant attaque/contre-attaque, vous obtenez mon nom (rires). Au moins, le message est clair. L’idée est de continuer à se battre. »
Même si, elle le sait, son statut de pop star rendra toujours son propos politique suspect, soumis à caution. Tout le problème du décalage… « Un jour, lors d’un show à Londres, une gamine de 14 ans m’a envoyé une lettre. A l’intérieur, il y avait un petit bracelet. La lettre expliquait qu’elle l’avait reçu de sa mère, qui est morte par balle. Elle venait d’un camp de réfugiés au Liban… C’était après le concert, dans un club. J’étais naze, en train de boire, entourée de plein de monde… J’étais là avec cette lettre et cette chaîne sur laquelle il y avait encore du sang. Qu’est-ce que vous faites?… »
Réponse: continuer à pratiquer ce qu’elle appelle elle-même de l’infotainment, contraction du divertissement et de l’information. En rappelant que sa pratique artistique lui permet d’assurer le premier, et que son expérience de vie la rend assez crédible que pour donner sa version de la deuxième. « Je voudrais qu’on comprenne que je ne suis pas quelqu’un de la deuxième génération. Que je vais devoir porter tout ça jusqu’à la fin de ma vie. Ce qui n’est pas forcément facile tous les jours, mais je n’ai pas le choix. Vous devez être optimiste pour vous sortir de là et raconter votre histoire. Parce que personne d’autre ne va la raconter… «
M.I.A., ///Y/ , XL Recordings.
Laurent Hoebrechts
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