Serge Coosemans

Le Parking des Marolles sera-t-il fumeurs admis?

Serge Coosemans Chroniqueur

Dimanche soir, histoire de couvrir un festival musical de 24 heures de protestation contre le projet de parking sous la place du Jeu de Balle, Serge Coosemans a débarqué dans les Marolles comme un véritable reporter de guerre. La bataille n’a pas eu lieu et c’est le Villo de retour qui a surtout failli tuer notre vieux pochetron au souffle court. Sortie de Route, S04E13.

La petite frime du moment, c’est de se montrer plus marollien qu’un totteleir de la Deevestroet. Sur Facebook tout comme IRL, on ne compte en effet plus les Marolliens de coeur de l’Altitude 100, de Tomberg, de Dansaert, du Parvis et même du XIe arrondissement. Tant mieux, vu que cela a permis à cette pétition contre la construction d’un parking sous la Place du Jeu de Balle de récolter 11.000 signatures, ce qui fait tout de même bien 4 fois plus de voix que le bourgmestre Yvan Mayeur n’a jamais eu d’électeurs. N’empêche, ce dimanche soir, alors que je débarque dans Les Marolles pour assister à ce festival de 24 heures de musique contre ce projet urbanistique décrié, c’est ma première réaction: « mais d’où sortent tous ces trous de culs, à part du Thalys? » Je me marre des looks et des accents de Parigots et je me demande si empêcher que l’on construise un parking sous la Place du Jeu de Balle serait devenu une nouvelle Guerre d’Espagne, avec ses brigades internationales venues combattre non plus le fascisme mais la bruxellisation? Au jeu du micro-trottoir, je suis d’ailleurs sûr que certains me répondraient qu’après tout, c’est la même chose, et c’est bien ce qui caractérise le climat politique du moment, pas qu’à Bruxelles ou même en Belgique, d’ailleurs. La vie citoyenne est devenu un énorme point Godwin permanent.

Moi aussi, je pense que le projet de transformation du centre de Bruxelles défendu par le bourgmestre Yvan Mayeur et sa majorité politique est assez minable. Ça n’a rien de visionnaire, rien d’ambitieux, c’est même tellement nawak et naïf qu’il est permis de penser que tout ça a été trouvé en jouant à Sim City complètement bourré un soir d’overdose de rochers à l’alcool de prune (ça doit bien se dégotter à Plaisirs d’Hiver ça, non?). Je suis contre cette foutaise, foncièrement contre. Pourtant, tout comme jadis Orwell à Barcelone, ceux dont je me retrouve allié de facto dans ce trip contriste me semblent eux aussi tenir une bonne couche. Déjà, je trouve que lorsqu’on est créateur de mode alternative, photographe arty ou même intermittent de la pompe à bière dans des bars de tatoués, ça la fout un peu mal de grogner contre la gentryfication puisque l’on est soi-même facteur de pré-gentryfication. Nananère. Ensuite, il y a donc trop de points Godwin dans les discours, mais aussi trop de « libéralisme ceci, de libéralisme cela », de caricatures du « gros riche écrasant le petit pauvre ». Ça ne veut plus rien dire, tout ça, ce sont même devenus des petits trucs faciles pour exciter les gens de façon pavlovienne, comme l’est un bon gros « Put your hands in the air » dans un mix de David Guetta. Dans les Marolles, il y a un projet de construction de parking sous une place hautement symbolique et patrimoniale alors qu’il existe deux parkings sous-utilisés à moins de 500 mètres de là sous des places dont tout le monde se fout. Pas besoin d’hystérie marxiste pour faire comprendre que c’est profondément débile et que le type (ou la jeune blonde libérale flamande) qui envisage très sérieusement que c’est ça l’avenir est plus que la moitié d’un halve gekloechte, comme on dit (de moins en moins) à l’ombre du Palais de Justice.

Le Parking des Marolles sera-t-il fumeurs admis?

C’est donc avec cette désinvolture politique certaine entre les deux oreilles que je débarque ce dimanche soir au Chaff, bistrot de la Place du Jeu de Balle lui-même d’ailleurs assez gentry, et qui organisait un festival musical de 24 heures en soutien à la fronde citoyenne. C’est une véritable performance, totalement improbable, montée à l’arrache en seulement quelques heures de networking par Rodolphe Coster, le programmateur, un travail de fou, bravo, vraiment. Certains ont accusé les bars participants (Le Chaff, La Brocante, Le Renard Bleu) de se servir de la mobilisation autour du scandale urbanistique pour se remplir les caisses et, disons les choses comme elles l’ont été, s’il est vrai que tout cela partait d’une intention très citoyenne, du fond du coeur, c’est en fait assez vite devenu un bon prétexte à la grosse rigolade alcoolisée. Je suis arrivé avec l’idée qu’il pouvait se passer plein de choses, y compris déplaisantes (kikou, Polbru), que je pouvais d’un instant à l’autre me retrouver dans la peau d’un reporter de guerre mais dans les faits, il ne s’est pas passé grand-chose de très racontable. C’était une joyeuse ambiance, bien qu’un peu bizarre, presque cachée, pas non plus vraiment mobilisatrice puisque le froid et le crachin ont fait fondre les 3000 participants annoncés sur Facebook à seulement quelques centaines de personnes. Etrangement, ce n’était pas non plus très bruyant et, en journée, la vie locale a même continué autour des bistrots comme si de rien n’était.

De la nuit, je retiens tout particulièrement le concert des Butcher Boogie, du punk bien gras, et l’ambiance caliente du Chaff sur le coup de 2 heures du mat, ambiance qui n’était pas sans rappeler l’Acrobate des nineties: à l’idée, il repoussera une mycose sur la langue des véritables connaisseurs. L’image de la journée, c’est le DJ du Chaff qui passe Mylène Farmer pour des touristes bouffant des hamburgers végétariens et tout le monde semble s’en foutre, lui y compris. Tout ce gros LOL peut également se résumer par une phrase entendue aux toilettes très tard dans la nuit et prononcée avec un accent parigot à couper au couteau: « Ouais mais ce parking, il sera fumeurs, au moins? »

Je ne voudrais toutefois pas avoir l’air de minimiser le truc, sa portée. Sur le moment, ça ressemblait aussi à un bal un peu triste, dans le froid et la pluie, la fête hystéro avant le verdict de mort annoncée. Restons toutefois calmes. Lundi soir, la motion politique était votée et ce parking pourrait donc en principe se construire. On sait toutefois que le plan est bien boiteux. « Est-ce que le parking est la solution? Nous ne le savons pas », aurait lâché Yvan Mayeur en personne, ce qui est surtout une stratégie politique en soi, vu que le plan est principalement défendu par Els Ampe, Open-VLD, autant dire un pion sacrifiable par les ténors PS et MR de Bruxelles-Ville. Cette fête a donc marqué le début de quelque chose, d’une mobilisation qui va continuer et, probablement, réussir à faire abandonner cette idée de parking comme ont jadis été abandonnées les idées d’extension du Palais de Justice et d’asphaltage de la place du Jeu de Balle. Ce n’est toutefois pas gagné, vraiment pas. Dimanche midi, le Promoteur et sa Fidèle épouse la Bureaucratie ont été pendus à un arbre de la place mais il reste encore à les enterrer. De préférence gueule en terre, histoire de pouvoir encore s’enfiler d’autres sloekskes en leur déshonneur, si cela ne tenait qu’à moi.

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