Serge Coosemans

La politique festive bruxelloise: des mojitos, du glühwein, du chocolat, tarladidada

Serge Coosemans Chroniqueur

D’un pavé lancé sur le piétonnier à la critique de la politique festive de la Ville de Bruxelles, il n’y a qu’un pas que Serge Coosemans franchit allègrement et avec une joie très carnassière, en bon troll de compétition. La direction de l’hôtel (de Ville?) l’aurait-elle cherché? Sortie de Route, S04E41

Au-delà des querelles de piétonnier – la particule fine est-elle soluble dans le Pentagone ? Celui qui préfère pour son picnic le panorama des bureaux de l’ONEM aux bords des lacs est-il complètement fada?-, l’actuelle politique évènementielle bruxelloise pose une question plus vertigineuse encore. C’est suite à une sortie remarquée de Philippe Close, l’échevin du Tourisme de la Ville de Bruxelles, notamment cité dans un petit billet de notre excellent confrère Nicolas Baygert sur le site de La Revue Nouvelle, que l’on se rend pleinement compte de ce qui est vraiment en marche au coeur de la capitale. Alors qu’on lui demandait, « non sans sarcasme », si Bruxelles-Les-Bains et le nouveau piétonnier n’en viendraient pas à se faire un jour concurrence, Philippe Close répondit le plus sérieusement du monde que non, car tout ce que proposait la Ville de Bruxelles en matière d’animation était complémentaire et non de nature à se phagocyter. « Nous avons fait le pari d’un Bruxelles qui n’arrête jamais et où il se passe tout le temps des choses », s’est emballé Close. « Plus il y a d’événements, mieux c’est! L’idée, c’est qu’il y ait toujours quelque chose à faire à Bruxelles. »

Je ne sais plus où, Michel Houellebecq a un jour dit qu’il ne considérait pas la France comme son pays ou sa nation, mais comme un hôtel. Moi, Bruxelles, c’est pareil: j’attends de cette ville qu’elle soit pratique, fonctionnelle, propre, qu’il y ait du wifi partout, que j’y trouve facilement ce que je cherche, que j’y sois bien traité, correctement nourri et poliment orienté par le petit personnel.

Je n’ai par contre aucune envie de participer aux activités de groupe, aux excursions organisées, de visiter les cuisines, de m’entretenir avec le manager, encore moins de répondre aux questionnaires de satisfaction et de signer le Livre d’Or. Je ne désire pas devenir de ces lieux un client fidèle et participatif, de devenir de cette ville un citoyen enthousiasmé par ce que propose le petit prospectus à l’accueil.

Dès lors, quand on me demande si je veux une ville où il y a toujours quelque-chose à faire, je suis piégé. Je peux difficilement répondre non sans passer pour un pisse-froid ou un grincheux, alors que je ne suis qu’un usager discret dont les passions sont ailleurs, qui n’est là que par commodité, qui n’a aucune envie d’entretenir un rapport émotionnel aux lieux, aussi parce que si je devais m’investir émotionnellement, ça barderait en fait assez fort. Dans cet hôtel où j’ai pris mes habitudes par hasard, pour des raisons autres qu’affectives, indéterminées on va dire, j’ai en effet bien des raisons de pester: la douche est plutôt froide, on croise régulièrement quelques cafards le long des plinthes défraîchies, les fenêtres ferment mal, les soubrettes volent la petite monnaie et le beurre du petit déjeuner est souvent rance. Dans l’absolu, je m’en fous mais si on insiste, je me lâche : « non mais ça va deux secondes, les fêtes au méchoui, les karaokés, les lancers de nains, le bikram et les récitals Frank Michael! Si vous voulez vraiment que votre putain d’hôtel ressemble à quelque-chose, réparez d’abord les commodités de base et faites pisser droit votre personnel, nom de Zeus! » A peine exposé le fond de ma pensée, de type neutre et taiseux qui rase les murs, qui mène sa petite vie dans son petit coin, voilà donc que je rejoindrais dans les statistiques de l’hôtel les mécontents vociférants, les emmerdeurs patentés, les haters nés, les trolls. C’est un piège et ce piège, je pense qu’Yvan Mayeur, Philippe Close, leurs partenaires, leurs admirateurs et leurs suiveurs s’en servent très consciemment pour caricaturer les critiques actuelles à l’égard de leurs projets mégalomanes et de leurs polémiques en cours. Et ça ne marche dans la bataille de l’opinion que parce leur grande question n’est pas complète. Le débat est pipé.

The Happiest Place on Earth

Je pense en effet que la véritable question n’est pas de savoir si nous voulons une ville où il y a toujours quelque-chose à faire (évidemment que oui), la véritable question, c’est plutôt voulons-nous une ville où il y a toujours quelque-chose à faire proposé par la Ville de Bruxelles et ses partenaires ? Voulons-nous une ville où l’activité festive est décidée, normée et imposée par le pouvoir en place ? Voulons-nous une ville où le Bourgmestre utilise une certaine culture populaire et même des zestes de contestation, notamment écologique, à des fins de branding territorial mais aussi personnel ? Voulons-nous une ville qui ne tienne pas compte des besoins réels des habitants et des pratiques festives existantes mais impose à la truelle et avec tonitruance un agenda évènementiel inspiré du mode de fonctionnement des parcs d’attractions, une tendance mondiale pourtant abondamment décriée ? Voulons-nous une ville où des crevards urbains bouffent, picolent et hurlent à 3 heures du matin sur des tables de pic-nic en plein boulevard « réapproprié par le citoyen » mais où le moindre bar dansant qui laisserait s’échapper un ou deux décibels de trop à 22h07 est susceptible de se manger fissa une fermeture administrative ? Voulons-nous une ville qui encourage la biture à Plaisirs d’Hiver et Bruxelles-Les-Bains mais pourrait très bien interdire un jour la vente d’alcool en magasin après 22 heures et peu importe que les lois existantes concernant l’ivresse sur la voie publique suffisent amplement à régler les débordements éthyliques constatés dans les rues et sur le piétonnier ? Bref, voulons-nous d’une ville à la Fawlty Towers, l’hôtel le plus foutraque et hystérique de l’histoire de la comédie à la télévision ? Question bonus : à quand des mimes sur le piétonnier pour demander aux gens de la boucler ? C’est tellement convivial, un mime qui vient vous pourrir la discussion.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content