Critique | Musique

L’album de la semaine: Connie Converse – How Sad, How Lovely

Connie Converse © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Folkeuse du dimanche installée dans le village durant les années 50, Connie Converse s’est volatilisée en 1974. Héritage, splendide, d’une éternelle énigme.

C’est une histoire incroyable de beautiful loser au féminin. Une espèce de destin improbable à la Vashti Bunyan, moins bucolique mais plus mystérieuse encore, dont elle partage le timbre haut perché. Fille d’un pasteur baptiste, née en 1924 à Laconia, petite ville du New Hampshire qui n’a jamais compté plus de 18.000 habitants, Elizabeth Eaton Converse est une élève brillante au point d’en secouer la modestie pieuse de ses parents. Durant les années 50, installée à New York où elle décroche un boulot rédactionnel à l’Institute For Pacific Studies avant de travailler dans une imprimerie, Elizabeth, qui ressemble à une vieille fille un peu coincée, genre institutrice dans La Petite Maison dans la prairie, se met à composer des chansons qu’elle interprète à la guitare acoustique pour ses amis. En 1954, elle tape dans l’oreille de Gene Deitch. Cet animateur radio, réalisateur (Tom et Jerry, Popeye), producteur et auteur de BD qui a déjà immortalisé sur bandes John Lee Hooker et Pete Seeger dans les années 40, décide d’enregistrer sa voix toute fragile dans la cuisine de sa maison à Hastings-on-Hudson. Petite localité du comté de Westchester, au nord du Bronx. Une apparition au Morning Show de CBS présenté par Walter Cronkite ne lui ouvrira pas plus les portes des maisons de disques que celles des salles de concert.

En 1961, Connie part s’installer à Ann Arbor rejoindre son frère, prof de sciences politiques à l’Université du Michigan. Elle y travaille comme secrétaire puis comme rédactrice en chef du Journal of Conflict Resolution. Elle se contente d’exercer ses talents de singer et songwriter pour le plaisir de ses proches mais quand la publication académique déménage à Yale en 1972, elle accuse le coup. En août 1974, épuisée, dépressive, la quinquagénaire charge ses affaires dans sa coccinelle et disparaît. Elle laisse des lettres d’adieux à ses proches. Manifestant son désir de changer de vie. Plus personne n’aura la moindre de ses nouvelles.

L’histoire aurait très bien pu s’arrêter là et l’oeuvre de Connie Converse prendre éternellement la poussière voire se perdre dans l’oubli. Mais en 2004, tout bascule. Gene Deitch est invité par un historien de la musique à présenter ses chansons préférées dans une émission radio américaine et sélectionne dans sa playlist le One By One de sa protégée. Deux auditeurs, Daniel Dzula et David Herman, sont ensorcelés. Ils se mettront à traquer pendant trois ans les titres de Connie. Publié une première fois en 2009 et réédité cette année, How Sad, How Lovely comprend 18 extraits issus de la collection de Deitch, installé à Prague depuis plus d’un demi-siècle, et des enregistrements envoyés par Connie à son frère Philip dans les fifties. Cette merveilleuse compilation de chansons poétiques et dépouillées évoque à la fois une Vashti Bunyan et une Molly Drake. L’immortalité de comptines sans âge, balades mélancoliques et berceuses solitaires, comme la simplicité bancale de l’antifolk cher à une Kimya Dawson. How lovely indeed…

DISTRIBUÉ PAR SQUIRREL THING RECORDINGS/CAPTURED TRACKS.

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