Serge Coosemans
Has-beens after all: Daft Punk, les Jar Jar Binks du secteur électronique
SORTIE DE ROUTE | Notre chroniqueur ne fait pas que dans la militance noctambule et le rapport de terrain éthylique, il lui arrive aussi de nous faire part de ses théories de comptoir. Cette semaine: Daft Punk = Star Wars. Pour le pire.
Sur Twitter et Facebook, cela fait plus d’un mois que je tricote des grosses vannes sur Daft Punk, complètement sidéré par leur gros disco pompier de nouveau son qui n’aurait pas dépareillé un album tardif de Claude François ou Sacha Distel. Je rigole de ces slows puceaux à la voix de robot, plus tocards qu’une scène d’amour chez Michael Mann. Je pouffe de cet hommage raté, honteux même, à Giorgio Moroder, sonnant plutôt comme du Marc Cerrone. Daft Punk plays disco, c’est carrément pire que Rod Stewart sings Sinatra ou même Helmut Lotti goes Classic. Je ne comprends pas plus cet album, Random Access Memories, que je ne comprends les gens de Knokke-le-Zoute qui se promènent avec des pantalons jaunes en été. C’est pour moi au-delà du mauvais goût, de la pure pathologie, la preuve que l’antimatière peut prendre forme pseudo-artistique et humaine. Hater de la première heure, comme disent les abrutis, cela fait 15 ans que le soi-disant génie de Daft Punk me laisse complètement de marbre. Par contre, c’est bien la première fois que les deux nigauds me font vraiment rire, maintenant qu’ils sont plus fragiles et donc sujets à pichenettes amusées qu’arrogants, victorieux et casques-à-claques. Encore que.
Un truc m’a toujours étonné: à part Rollin & Scratchin, aucun DJ de ma connaissance n’a jamais passé Daft Punk en soirée (moi oui, et je me suis fait huer!). Le groupe est soi-disant réputé chez les producteurs et les clubbeurs mais tous ont tendance à estimer qu’ils seraient dans une soirée de merde ou en train d’entendre prester un deejay de kermesse si leur musique devait passer sur la sono. C’est d’autant plus étrange que cela n’a rien à voir avec un rejet du mainstream, puisque des tubes bien plus putassiers, Inner City ou Technotronic par exemple, restent terriblement fédérateurs en toutes circonstances. En fait, Daft Punk a ce statut très particulier de groupe dont on parle beaucoup trop dans les médias et sur les réseaux sociaux, que l’on écoute chez soi et à la radio mais, qu’à part en concert, quasi personne ne veut apprécier en public. Autre chose: Daft Punk, c’est Star Wars. Comme le succès et les méthodes de George Lucas ont bouleversé l’industrie du cinéma, le succès de Daft Punk a transformé le monde des musiques électroniques. Pour le pire.
Avant Daft Punk, la culture techno-house la plus médiatisée n’était certes pas toujours bien maline, ni même fort passionnante, mais au moins, prônait-elle autre chose que l’hédonisme consumériste et l’approche geek de la vie. Elle générait des idées utopiques, communautaires, futuristes, technologiques, écologiques et sociales. Et puis, Daft Punk est arrivé et Daft Punk n’avait strictement rien à dire là-dessus. Eux, se présentaient simplement fans, donc consommateurs, et principalement désireux de sortir le meilleur album POP possible. Trop premier degré pour être vraiment cyniques, ces deux couillons étaient probablement plus intègres et idéalistes que beaucoup d’autres mais surtout très naïfs. Naïfs au point de ne pas pouvoir prévoir, encore moins contrôler, les effets pervers de leur succès. Daft Punk a fait comprendre la musique de dancefloors au grand-public, vendu aux majors une idée qui jusque-là échappait totalement à l’establishment culturel. Vu le cashflow et l’enthousiasme généré par le coup de poker, labels et médias ont ensuite privilégié un format plus facile: la French Touch (ou, en Angleterre, le Big Beat), les gros samples évidents, les figures souriantes et reconnaissables. L’album techno sous pseudonyme vu comme un pur trip mental, futuriste et drogué, a été mis au frigo au profit de concepts à l’identité plus reconnaissable, aux gimmicks catchy, avec deux singles obligatoires par heure enregistrée et morceaux plus mélodiques utilisables par la publicité.
Et donc, moi, ça me rappelle drôlement George Lucas dégommant le Nouvel Hollywood des auteurs sans vraiment le vouloir mais lançant néanmoins le systématisme du blockbuster crétinoïde, de l’héroïsme gnangnan et des effets spéciaux à gogo. Tout comme celle de Star Wars dans le cinéma, l’influence de Daft Punk sur la musique électronique a largement infantilisé une forme d’entertainment qui jusque-là charriait des idées et un imaginaire plutôt excitants et novateurs. Les véritables mavericks se sont vus quasi placardisés et les geeks ont pris le pouvoir décisionnel. Le goût s’est détérioré, l’imagination appauvrie. Ce qui est nettement plus grave que la sortie d’un bouffon d’album dont il reste permis de totalement se foutre et c’est bien pourquoi il me semble important, à chaque nouvelle manifestation de Daft Punk, de rappeler que sans eux, le monde des musiques électroniques se porterait sans doute nettement mieux, artistiquement et sociologiquement parlant. Encore que vu leur très petite forme en 2013, pour continuer à parler le Star Wars, ils sont désormais bien plus proches de Jar Jar Binks que de Han Solo. Has-been after all, donc. Ouééé, fêêêêête!
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