Giacomo « Nervoso »: Dour, drugs and rock’n’roll…

Romano Nervoso à Dour 2014 © Olivier Donnet
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Giacomo « Romano Nervoso » Panarisi, la plus grande et sale gueule de la scène belge, raconte Dour, ses good vibes, ses bad trips et sa guerre des poubelles.

Jeudi, avec Romano Nervoso et son glam punk de l’immigration, italienne forcément, il a joué à Dour pour la treizième fois. Dour, Giacomo Panarisi est tombé dedans quand il était petit. Souvenirs souvenirs.

Tu te rappelles de ton premier Dour?

J’étais déjà dans le public lors de la troisième édition. Une seule scène. De La Soul en tête d’affiche. J’avais douze piges. Mon grand frère avait créé un fanzine. Je pense que ça s’appelait Rupture ou un truc du genre. Il en a fait quatre exemplaires à tout casser. À l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur et d’imprimante. Alors, il faisait des collages. Utilisait une machine à écrire. Dans le genre des débuts d’Abus dangereux. Il avait eu des tickets gratuits. J’étais venu avec lui. C’était une journée Boucherie Production (les VRP, Pigalle, Happy Drivers, les Garçons bouchers). Que du rockab, de l’alternatif et De La Soul.

Sinon, en tant que musicos, j’ai joué ici treize fois. Que ce soit avec King for a day, Mirrorball, Hulk, Romano Nervoso, Les Anges, les Bikinians ou Driving Dead Girl. Quand ce ne sont pas des projets à moi, on m’appelle quatre jours avant pour dépanner parce que le batteur est mauvais. Comme c’est le meilleur festival de Belgique…

Le meilleur festival de Belgique?

C’est encore l’un des seuls chez nous qui garde un peu l’esprit Woodstock. Dour est assez libre et débridé. Il conserve une taille humaine. À Werchter ou au Pukkel, tu vois les mecs tout petits ou sur écrans géants. Tu veux aller chercher une pinte, ça te prend deux jours. Et puis, tu sens quand même cette haine anti-wallon dont tu n’as pas d’équivalent à Dour. Au Pukkelpop, tu comptes les groupes wallons qui sont passés ces dix dernières années sur les doigts d’une main. À Werchter, tu ne joues pas si tu n’es pas Stromae ou les Girls in Hawaii. Même les plus petits événements, c’est compliqué. Alors que chez nous, tu prends le Power Festival ou le Rockerill, on fait venir des Flamands avec plaisir et amour. Au nord, tu le sens dans l’accueil et dans le public. Avec Hulk, on a donné des tonnes de dates en Flandres mais on se faisait quand même traiter de sales wallons et de sales ciccios. On s’en battait les couilles. Ca faisait partie du jeu. Renaud qui a récemment tourné en Flandres avec son nouveau projet, me disait que pour lui, rien n’avait changé.

Vous étiez tout de même chez Live Nation à l’époque?

C’est vrai. Et quand Live Nation parle, les gens écoutent. Live Nation impose ses groupes. Ses groupes et ses tarifs. À la base, personne ne voulait d’Hulk en Belgique. On a eu la chance d’avoir un booker qui nous a développés en Hollande. Puis Live Nation s’est demandé comment des Belges cassaient la baraque là-bas sans qu’on entende parler d’eux ici. On avait enregistré l’album avec des Queens of the Stone Age. Ça les faisait mousser. Ils se branlaient dessus. Ils nous ont pris dans leur booking et notre première date c’était l’AB. Alors qu’avant, on n’avait rien, même pas le Botanique. On signe en février et en mars, on ouvre pour le MC5. Après, on a fait tous les festivals. À part Werchter parce qu’on n’y avait pas notre place. L’album qu’on a enregistré aux States s’est vendu à 10.000 exemplaires, ce qui est tout de même pas mal pour un groupe belge. On était des bad boys avec une réputation de mecs qui viennent une fois mais pas deux. On n’était pas trop les bienvenus et on aimait bien ça. Pourquoi? La came, l’alcool, l’humour louviérois qui devient très lourd à partir de minuit. Franchement, le cliché sex, drugs and rock’n’roll, on le tenait bien. C’est pas qu’on devait se forcer. Live Nation nous a virés après un an et demi. Ils croyaient qu’on était les nouveaux White Stripes… On rentrait pas dans leur truc. Et les gars ne voulaient pas pousser plus loin. Après tu trouves un autre booking. Faut faire jouer tes connaissances. Tu as moins de cachet et moins d’accès chez les Flamands.

Romano Nervoso est plus sage?

Musicalement, Romano est moins violent. Plus influencé par les Hives que par Black Sabbath. Plus accessible aussi. Du temps de Hulk, les Queens n’étaient pas encore aussi gros qu’aujourd’hui. Mauvais timing. Quand on a lancé Les Anges, ça défonçait mais personne n’adhérait. Alors que maintenant, quasi tout le monde utilise des claviers dans le genre. On était là cinq ans trop tôt.

Débarque Mika Hell du Rockerill. Et la conversation de virer sur le réalisateur Jean-Jacques Rousseau hospitalisé il y a quelques jours dans un état proche de la mort.

Mika Hell: Il a une triple fracture du crâne. La cage thoracique défoncée. Et les deux jambes broyées. Chopé par une bagnole devant un café. Après une embrouille dans un bistrot, un mec a attendu dehors, vu des gens sortir et foncé avec sa caisse dans le tas avant de se barrer. On avait plein de projets avec Jean-Jacques. On devait tourner dans quinze jours. Ce gars est un génie. Son problème, c’est qu’il utilise des gens qu’il ramasse dans des bistrots. Mais ses scénarios et ses dialogues, c’est de la balle.

GP: Je repense à une scène. C’est la fin du monde. Le mec est aux chiottes. Il en peut plus. Tu te demandes ce que ça fout là. Pendant ce temps à Farciennes…

Dour, ça représente quoi Mika à tes yeux?

Pour moi, c’est le village d’irréductibles gaulois. Cette ambiance que tu ne retrouves nulle part ailleurs. Plein de festivals sont sympas hein. Mais le Pukkelpop tout ça, je ne m’y retrouve pas. J’y suis retourné il y a deux ans. Je me suis fait chier comme un rat mort. C’est trop carré. D’accord, ici, tu n’es nié à Woodstock. Loin de là. Il y a des trucs Belgacom, bazar, qui n’ont rien à foutre dans un festival. Mais tu es obligé malheureusement pour le pognon.

La programmation est quand même de moins en moins rock’n’roll.

MH: Est-ce la programmation ou le public qui est moins rock’n’roll? Je me pose parfois la question. Mon fils écoute de tout mais quand il est ici, il va voir de l’électro, du dubstep. Il est avec ses potes. Ils ont entre 20 et 25 ans. Et ils se défoncent la gueule là-bas. C’est la fête.

GP: Faut aller à l’Hyperfest. Il reste plus que ça mec. De toute façon, du rock, tu n’en as plus à la télé. Tu n’en as plus à la radio. Si à un moment donné, tu ne te casses pas le cul à chercher sur le Net, tu n’es plus servi. Il n’y a jamais eu autant de sorties que maintenant mais elles ne sont pas médiatisées du tout.

MH: Moi, à Dour, j’attends de me prendre des grosses claques. Des trucs comme Gwar, par exemple. Je sais plus musicalement à quoi ça ressemble, mais c’est un truc de festival. Comme un Sunn O))), un Nashville Pussy, un Iggy Pop… Avec eux, il se passe des trucs sur scène.

GP: Les groupes aujourd’hui, ils investissent dans les fringues pas dans les lights.

MH: Giacomo, juste avec son petit jeu de scène, il fait déjà son effet. Allez, Blood Red Shoes, c’est pas mal mais ça doit jouer dans un bistrot. Ecoutez plutôt les Glucks.

GP: Les festivals sont devenus un business de programmateurs. Tu as quatre mecs qui fourguent leurs bands. Live Nation, deux ou trois bookers comme Nada… Ce qu’ils te filent, c’est ce qu’ils vendent. Et ce qui se vend, c’est plus vraiment le rock. Notamment parce qu’il n’y a pas la promo derrière. Prends Werchter, c’est le festival des majors. On te sert quand même pas mal de merdes. Regarde Muse, il y a quand même un paquet de trucs en playback. Les mecs qui envoient, je n’en connais plus trop dans le mainstream. Les trois quarts des groupes maintenant même les Queens te flanquent des choeurs enregistrés. Tu n’as plus cette idée d’envoyer la purée et de castagner.

Tu as toujours eu une conception très entertainment du rock…

GP: Moi, si je claque 40 boules, faut que je m’amuse. Je ne me contente pas de quatre blaireaux qui regardent leurs pompes. Si leur musique me plaît, j’écoute leurs disques chez moi. Surtout qu’avec tes vingt euros de boissons, t’es déjà à 60. Si le mec, tu le vois danser, il y a des chouettes lights, c’est quand même plus intéressant. On est tous d’accord non? Tu as des exceptions. Motörhead par exemple.

MH: Pourquoi ces groupes jouent plus ici d’ailleurs?

GP: Motörhead, il va pas faire quarante gigs en Belgique. C’est Live Nation, il le met où? Aux Lokerse Feesten. Il y a de ça aussi. Je parle en connaissance de cause. Tu as souvent des clauses d’exclusivité. Une année, on a fait le Pukkel et pas Dour. J’ai dit arrête, Dour, c’est quand même chez moi. Et on m’a répondu non non. Tu fais le Pukkel, tu fais pas Dour. Mais si tu veux, tu peux aller aux Gentse Feesten. Faut quand même réaliser que Dour reste pour beaucoup un deuxième choix. Jack White, il viendra jamais ici. Les Queens of the Stone Age ne joueront plus non plus. Les Hives sont à l’affiche cette année mais c’est le bout du bout. La toute fin de leur tournée. Pour la plupart des gros groupes, Dour est un festival B. Pour moi, c’est A+.

MH: En même temps, pourquoi, on n’a aucun de tous ces groupes de rock garage californien? Un White Fence, il vient jouer pour 600 balles.

Quels sont les trucs les plus dingues que vous avez vus à Dour?

GP: J’ai plein de grands souvenirs. Des concerts des Queens, de Fantômas, de Tool. Un gig de Fu Manchu aussi, sous la pluie. Je sais pas si c’était de la bonne herbe ou l’alcool qui était puissant. Mais c’était fabuleux. J’ai quand même vu des trucs, sous l’influence de drogues, que j’avais jamais vécus ailleurs. Le troisième jour de Dour sous LSD, les gens sont un peu crades et vite transformés en zombies. J’ai parfois flippé. J’ai notamment le souvenir d’un bad trip en 2001. Horrible. Sinon, ce qui m’a marqué à jamais, c’était les bagarres de fin de camping. La guerre des poubelles. Je ne sais pas s’ils la font encore. Mais tous les dimanches soirs et lundis matins, les deux camps du camping se balançaient leurs poubelles. C’était un événement, on avait créé des techniques spéciales de lancement. Moi, ma spécialité, c’était de pisser dans des bouteilles d’eau. Je fermais mal le bouchon et je balançais. Tu étais aspergé de ma pisse. Le carnage. La dernière fois que j’y ai participé, c’était en 1999.

MH: Le camping, à l’époque, c’était quelque chose. Tu avais encore les bagnoles et les camionnettes à côté de toi. Ils ont fini par les interdire. Des mecs bourrés se cassaient le samedi soir et roulaient sur les tentes… Nous, on débarquait à quarante. Avec nos barbecues. Certains ne rentraient même pas au festival. Ils faisaient que les afters. Je me souviens d’une édition où je n’ai jamais retrouvé ma tente en quatre jours. En même temps, elles se ressemblent toutes.

>> Retrouvez les photos du concert de Romano Nervoso.

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