« Dans le milieu musical, les filles ont appris à se défendre et se battre pour leurs droits! »

© JULIEN MIGNOT
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Grâce au parrainage de Manu Chao, la pétillante septuagénaire Calypso Rose, star de la musique calypso, retrouve une seconde jeunesse. Et une nouvelle notoriété.

Assise sagement sur le bord du lit, Calypso Rose a les yeux fatigués, mais le sourire XXL. Dans la chambre d’un palace bruxellois, la chanteuse de 76 ans assume un planning promo de superstar. Ce qu’elle est d’une certaine manière, avec ses « 800 chansons » et une carrière longue de quasi six décennies. Même si jusqu’ici, sa notoriété ne dépassait pas réellement les limites des Caraïbes. Et plus précisément encore, celles de Trinité-et-Tobago. C’est là qu’elle a grandi et bâti sa réputation de « reine du calypso ».

Entre balancements chaloupés et rasades de steelpan, la musique calypso est loin d’avoir connu le même sort que son lointain voisin, le reggae jamaïcain. Il y a bien eu le Rum and Coca-Cola, popularisé par les Andrew Sisters, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1956, Harry Belafonte a également sorti l’album Calypso, qui s’ouvre par la célèbre Banana Boat Song (Day-O). Le disque fut le premier LP à dépasser le million d’exemplaires vendus. C’est sans doute ce qui vaudra au genre de se retrouver au générique d’une foule de navets hollywoodiens (jusqu’à donner l’idée à Robert Mitchum d’y aller de son propre album, Calypso – Is Like So…!, en 57). Depuis, la musique semblait surtout réservée aux amateurs d’exotica fifties. Seul un crustacé parvint encore à lui redonner un coup de popularité: chanté par le crabe Sébastien, Sous l’océan a permis à La Petite Sirène des studios Disney de remporter l’Oscar de la meilleure chanson, en 1989…

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On en était donc là, jusqu’à ce que le nouvel album de Calypso Rose se retrouve tout à coup programmé en radio. Au printemps dernier, le titre Abatina a commencé à tourner en boucle. Dans la foulée, la chanteuse s’est retrouvée programmée au festival Esperanzah!, aux côtés notamment d’un certain Manu Chao. Cela n’était pas complètement un hasard. L’album Far from Home a en effet bénéficié de la production du chantre altermondialiste… Depuis le carton du Buena Vista Social Club, l’industrie du disque raffole de ce genre d’histoires où d’anciens musiciens oubliés retrouvent tout à coup les feux de la rampe. Ajoutez la « caution » Manu Chao, et la « prise » était à peu près assurée. Et tant pis si, derrière les manettes, le Français a pu avoir la main lourde. Un peu comme il l’avait fait avec Amadou & Mariam, Chao a indéniablement permis d’ouvrir de nouvelles portes. Et de jeter une lumière sur une trajectoire pas banale, c’est le moins qu’on puisse écrire.

Voleur de lunettes

Calypso Rose naît Linda McCartha Sandy Lewis, à Tobago, en 1940, au sein d’une famille nombreuse (onze enfants). Elle est longtemps tenue à l’écart de la musique calypso. Son père, pasteur baptiste, ne veut pas qu’elle écoute cette « musique du diable ». « Avec le petit transistor, on parvenait juste à capter les radios country western américaines, explique-t-elle. C’est tout ce que j’écoutais. » Et de commencer tout à coup à chanter: « Seven lonely days make one lonely week/Seven lonely nights make one lonely meeeeeeee », et de se mettre carrément à yodler, avant d’éclater de rire.

La musique calypso, elle ne la découvrira donc qu’un peu plus tard, quand elle sera « adoptée » par son oncle, à l’âge de neuf ans. « Il n’avait pas d’enfant. Mon père a dit: « Voici les miens, fais ton choix. » Comme un petit chien que l’on achète au marché! C’est comme ça que j’ai quitté mes parents pour Trinidad. Mais la lady de la maison, ma tante, était quelqu’un d’adorable. »

Elle possède aussi une imposante collection de vinyles, dont pas mal de disques de calypso: ceux d’Attila the Hun, King Radio, Roaring Lion… « C’est comme ça que j’ai appris à connaître cette musique. » Sa première chanson lui vient en tête à l’âge de treize ans. « Un jour, on est sorties faire des courses. Tout à coup, dans la rue, j’ai aperçu un type foncer sur une femme et lui piquer les lunettes qu’elle avait sur le nez. C’était incroyable, je n’avais jamais vu ça! À Tobago (la plus petite des deux îles, 300 kilomètres carrés à peine, contre près de 5000 pour Trinidad, NDLR), les gens dorment la fenêtre et la porte ouvertes! J’étais choquée. À partir de cette scène, j’ai imaginé Glass Thief, voleur de lunettes. »

© DR

C’est comme cela qu’elle commence à composer des morceaux calypso, qui arrivent jusqu’aux oreilles des stars du genre. Surnommée Crusoé Kid (Tobago est souvent désignée comme l’île où le héros de Daniel Defoe a fait naufrage), elle est bientôt rebaptisée Calypso Rose, « parce que la rose est la mère de toutes les fleurs! » Dans un milieu essentiellement masculin, elle réussit rapidement à se faire une place. Ses titres de gloire: entre 1972 et 1976, elle remporte à cinq reprises le titre de Calypso Queen, lors du fameux carnaval de Trinidad. L’un de ses morceaux, Wah She Go Do, est adapté par la chanteuse américaine Bonnie Raitt. En 78, elle se retrouve sur la même scène que Michael Jackson. Quelques années auparavant, c’était avec Bob Marley qu’elle prenait la route. « C’était quelque chose! Il était très spirituel. Chaque fois, avant de monter sur scène, il prenait le temps de « méditer »… », rigole-t-elle, mimant un énorme stick.

Comme la superstar reggae, Rose s’est aussi régulièrement emparée de thématiques plus sociales. Le titre No, Madame dénonçant les salaires des domestiques à Trinité-et-Tobago, a amené, dit-on, le gouvernement à fixer une rétribution plancher. Sur Far from Home, elle chante également I Am African. « Oui, parce que je ne peux pas oublier que mon arrière-grand-mère est arrivée comme esclave, arrachée à sa terre d’Afrique, en Guinée. Elle est morte quand j’avais cinq ans. Tous les soirs, elle allait se poser face à la mer, le regard dans le vide. Un jour, elle m’a dit: « Personne ne sait dans quelles terres il sera enterré à l’heure de sa mort…« « Avant de partir, on lui demande encore si les femmes sont plus présentes aujourd’hui dans le milieu musical. « Oui, les filles ont appris à se défendre, à se battre pour leurs droits. Car, bon sang, Dieu n’a pas donné tous les privilèges aux hommes! Encore aujourd’hui, partout dans le monde, à travail égal, les hommes continuent d’être mieux payés! Ce n’est pas normal. Il faut changer ça maintenant! Faites savoir que le Dr McCartha Sandy Lewis Calypso Rose vous a dit ça! »

Calypso Rose, Far from home, distribué par Because/Warner. ***(*)

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